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Unicoque lance une bouteille à la mer

La coopérative Unicoque et ses adhérents se retrouvent face à une impasse sanitaire pour la production de noisettes.

Avec une production 2024 de noisettes détérioriée par deux ravageurs, la coopérative Unicoque subit un manque à gagner de 30 M€ et demande à traiter l’urgence phytosanitaire pour sauver cette filière.

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« Nous nous faisons fusiller en plein vol par une absurdité totale », affirme Jean-Luc Reigne, directeur général de la coopérative Unicoque (Lot-et-Garonne), leader français des fruits à coque, qui voit sa production 2024 de noisettes fortement dégradée par, essentiellement, deux insectes ravageurs.

Depuis que la matière active acétamipride (famille des néonicotinoïdes) ne peut plus être utilisée en France, c’est-à-dire l’été 2020, les 300 producteurs adhérents d’Unicoque sont orphelins d’une solution phytosanitaire efficace contre le balanin, coléoptère dont le vers infeste les noisettes, et la punaise diabolique. Alors que cette molécule est autorisée dans l’UE jusqu’en 2033 et que le seul produit phyto autorisé en France à ce jour est inefficace.

La moitié du potentiel collectée

D’où le désarroi affiché par la coopérative dans un communiqué de presse du 22 octobre et par son directeur général, dans l’interview qu’il nous a accordée, face à la situation catastrophique de cette année qui génère un manque à gagner de 30 M€.

En effet, sur un potentiel de 13 000 t de noisettes, seule la moitié a pu être récoltée en raison des dégâts causés par le balanin et les pluies tout du long du cycle de production. Et sur les 6 500 t collectées, 30 % ont été rendues inaptes à la consommation et non commercialisables à cause des attaques de punaise diabolique qui perce la coque avec son stylet et se nourrit du fruit tout en laissant un goût très amer.

Cet insecte, originaire d’Asie de l’Est et polyphage, a été observé en France pour la première fois en 2012, en Alsace, et ensuite en 2015 en Nouvelle-Aquitaine, région d’Unicoque. Il est présent dans différents pays, notamment des pays européens voisins par lesquels il est arrivé dans l’Hexagone et qui, eux, ont accès à des solutions phytos efficaces.

30 % de la collecte est impropre à la consommation à cause de la punaise diabolique. (© Rachid Hamidi)

« Nous n’avons jamais connu cela »

« Les dégâts causés par ces ravageurs montent en puissance depuis quatre ans. L’an dernier, nous avons perdu 20 % de la récolte et subi 13,6 M€ de manque à gagner », explique Jean-Luc Reigne. Cette année, la majorité des lots de noisettes livrés à la coopérative ne permettent pas de fournir des produits finis conformes aux normes internationales de commercialisation. Les 2 000 tonnes altérées par la punaise diabolique sont mélangées à l’ensemble du volume collecté sans moyen de les trier vraiment.

Ces normes internationales classent les produits en trois catégories, extra (3 % de défaut), 1 (5 %) et 2 (6 %). Or, « nous sommes cette année en moyenne à 10-12 % de défaut. Deux tiers des lots sont au-dessus des seuils avec des réfactions de prix à la clé. Seulement 30 % de la collecte sera commercialisable à la norme CEE-Onu, détaille le DG d’Unicoque. Nous n’avons jamais connu cela, car nous étions jusque-là toujours en catégorie extra. »

Un déficit programmé pour aider les adhérents

Pour compenser le manque à gagner de ses producteurs, la coopérative va leur verser un prix suffisamment rémunérateur. En regard des prix de commercialisation dégradés, elle a alors projeté un déficit de plusieurs millions d’euros sur son exercice 2024-2025. Une première dans son histoire. « Nous pouvons apporter un soutien à nos producteurs car la structure financière de la coopérative est très saine. Nous pouvons nous le permettre sur une campagne, mais pas sur deux », souligne Jean-Luc Reigne.

Les 7 000 hectares de verger sont répartis sur des exploitations qui sont heureusement en polyculture pour la plupart. Mais la dynamique de développement en cours depuis quelques années risque d’être brisée, alors qu’il y avait eu « une croissance de la production à deux chiffres entre 2015 et 2020 avec un niveau de surfaces implantées sur cette période équivalent à celui des quarante années précédentes ».

« Nous nous faisons fusiller en plein vol par une absurdité totale », déclare Jean-Luc Reigne, directeur général de la coopérative Unicoque. (© Unicoque)

Monter à 25 % d’origine France

Or le marché existe. Les besoins nationaux en noisettes sont couverts seulement à 10 % par l’origine française. La coopérative Unicoque fournit 85 à 95 % de ces 10 %. « Nous avons les moyens de monter à 20-25 % d’origine nationale », estime son directeur. D’autant que d’autres coopératives sont en train de tester cette production. « Cinq coopératives du nord de la Loire ont identifié la noisette comme une piste de diversification avec l’idée de travailler des synergies avec nous. Elles sont dans l’attente aujourd’hui, même si leurs régions sont moins touchées par ces ravageurs pour l’instant ; ce qui pourrait évoluer. »

Mais encore faut-il que les utilisateurs nationaux privilégient un peu plus l’origine française, 90 % des volumes consommés étant donc importés, majoritairement de Turquie, à des prix compétitifs. Et Unicoque vend alors 55 % de ses volumes à l’export, plus précisément vers l’UE, à des transformateurs préférant la qualité extra qui est sa marque de fabrique.

Deux options se présentent

Le devenir de la coopérative dépend en fait des mesures qui pourraient être prises pour soutenir la filière. « Nous ne cessons de répéter que la situation se dégrade au fil des ans depuis 2020, mais nous n’avons aucun retour à ce sujet », se désole le directeur, ne comprenant pas cette indifférence dans un contexte où la souveraineté alimentaire est prônée, ainsi que le développement des territoires, deux clés de voûte de la stratégie de la coopérative.

Deux options se présentent. « Soit nous arrivons à obtenir des décisions cohérentes en accord avec l’objectif de souveraineté nationale et avec les règles de nos voisins européens, et tout reprend son cours. Soit rien ne bouge dans les six mois et la production française sera alors menacée. Dans ce cas, nous devrions revoir notre stratégie en nous orientant vers du négoce, devant importer des noisettes pour les transformer sur notre site. »

Noisettes dégradées. (© Unicoque)

Une situation ubuesque

Jean-Luc Reigne souligne l’absurdité de la situation. « Nous pourrions importer des fruits d’Italie ou d’Espagne et les transformer sur le territoire national, alors qu’ils sont traités avec de l’acétamipride interdite sur ce même territoire. »

Toutefois, la coopérative a engagé des programmes de recherche pour trouver des alternatives. Ainsi, elle a procédé à des premiers lâchers de guêpe samouraï, insecte auxiliaire parasitant la punaise diabolique. « Il nous faudrait plus de moyens car l’élevage de cet auxiliaire est coûteux et il faut compter au moins trois à cinq ans d’ici le déploiement de cette technique. » Si la Région apporte un soutien financier, les pouvoirs publics « ne mettent pas un centime pour nous aider ». Ce qui renforce l’amertume de la situation.

Mais dans l’immédiat, appuyés par un rapport d’expertise de la Draaf affirmant que « la situation ne pouvait être maîtrisée dans les conditions de moyens de lutte réglementairement autorisés », producteurs et salariés demandent la mise en place des procédures nécessaires face à l’urgence phytosanitaire qui les concerne, ainsi que l’harmonisation des règles phytosanitaires entre la France, l’Espagne et l’Italie.

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