Le collectif comme pourvoyeur de bien-être
Pression sociale, financière, climatique… La santé mentale des agriculteurs peut être mise à rude épreuve. Pour la préserver, les stratégies collectives et l’accompagnement dédié sont à privilégier.
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« La transition agroécologique, une charge mentale de plus ? » Tel était l’intitulé de la table ronde proposée par le pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation lors de la présentation de son programme de transition vers l’agriculture régénératrice Solnovo, le 26 janvier dernier, sur le campus de Bordeaux Sciences Agro. Une thématique peu abordée qui fait l’objet du projet Mentagro (2021-2023). Financé par la caisse centrale de la MSA, il étudie les impacts de la transition agroécologique sur la santé mentale des agriculteurs et cherche à identifier des solutions, notamment « se questionner sur le rôle que peuvent jouer les stratégies collectives pendant cette phase », explique Maël Sommer, membre du projet et maître de conférences en sciences de gestion à l’université Toulouse III – Paul Sabatier.
« Le monde entier gouverne ma cour »
Les questions de durabilité « génèrent des tensions qui sont, dans la durée, délétères pour les agriculteurs », observe-t-il. Des tensions qui sont accentuées principalement par trois facteurs : le manque de ressources, le changement et la pluralité. Selon lui, les TPE de manière générale manquent de moyens ou encore de compétences face à la question « comment faire ? ». De plus, dans un secteur en pleine mutation, en proie à la volatilité des marchés, du climat et des attentes sociétales, les agriculteurs déplorent le peu de visibilité. S’ajoute à cela la pluralité. En effet, pour Anne-Laure Gatignon Turnau, également professeure en sciences de gestion à l’université Toulouse III et membre du projet Mentagro, tous les acteurs se mêlent d’un métier qui est d’abord un gagne-pain et qui n’est pas là pour répondre aux maux sociétaux. « Le monde entier gouverne ma cour », se désolait un agriculteur interrogé dans le cadre du projet. Un sentiment partagé par Thierry Dussac, agriculteur à Auvillar (Tarn-et-Garonne), témoignant lors de la table ronde. « Après la transmission, on devait faire nos preuves et, en plus, on a changé le mode de culture. Il ne fallait pas se planter : le voisin, la famille, tout le monde nous regardait. Ça a été dur psychologiquement. »
Des efforts peu valorisés
Il y a peu de reconnaissance de l’action responsable. Les efforts sont peu valorisés et « à terme, ça pèse », prévient Maël Sommer. Avec des modèles de durabilité très évolutifs, les agriculteurs n’osent plus faire de choix. Pourquoi ? « Parce qu’à peine ils mettent en place des démarches puis des actions, amortissent les investissements, que leurs choix se retrouvent quelques années plus tard remis en cause », explique-t-il. Une équation complexe, qui crée des tensions pour l’agriculteur. Si ces dernières sont nécessaires pour stimuler la recherche de solutions, elles peuvent toutefois altérer la santé mentale, générer des attitudes défensives et finalement dégrader leur capacité à faire face à ces enjeux. Et puis, pourquoi changer quelque chose qui marche ? Pour Michel Lagahe, ingénieur en agriculture et directeur du pôle conseil au Cerfrance Gascogne Occitane, les pouvoirs publics doivent amener de la vision à long ou moyen terme : « On ne change pas ses pratiques parce qu’on a une promesse d’aides pour deux ans. Il faut des garanties à cinq ans, pour savoir un peu où aller. »
Un côté énergisant
Aujourd’hui, « ce qu’on observe, c’est que les agriculteurs sont seuls dans leur prise de décision. Ils sont en recherche de références », constate Michel Lagahe. Alors, comment répondre à ce besoin de mutualisation ? Grâce aux dispositifs de collectifs. En effet, le partage d’expériences rassure les agriculteurs qui se sentent soutenus face au changement. L’accompagnement n’est pas non plus à négliger. Aider les agriculteurs à répondre à la question « comment faire ? » les sécurise psychologiquement. Ils développent un sentiment de maîtrise et d’apaisement sur les risques environnementaux, réglementaires, etc. Thierry Dussac déplore justement le manque de soutien technique dans sa région : « Aujourd’hui on cherche, on fait des essais, on se plante et, économiquement, ça nous impacte. » Le collectif agit également sur le comportement des agriculteurs qui prennent conscience des problématiques de durabilité. « Rentrer dans un collectif de transition agroécologique, c’est aussi un moyen de m’auto-imposer une rigueur sur des sujets que je repousserais et que je finirais par ne pas faire », retranscrit Maël Sommer. Pour certains, la transition a un côté énergisant. Elle redonne du sens à leur travail et renforce leur estime de soi. C’est également le moyen de contribuer à la transmissibilité de leur exploitation. Entrer dans la transition, c’est « réduire les risques sur le long terme de devoir faire face à une marche qui deviendrait trop importante à gravir », analyse Maël Sommer.
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