Ça bouge dans les semences
Fusion d’entreprises, accès à la recherche, protection des semences, biodiversité, le monde des semences est en effervescence ces dernières semaines, sur fond de besoin de financement et de questionnement de la société. Par Blandine Cailliez
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Même si le secteur des semences est moins concentré que d’autres activités, il a enregistré ces derniers mois deux évènements importants : la fusion d’Euralis semences et Caussade semences Group pour donner naissance à Lidea (lire p. 8), et le regroupement des activités semences de Terrena avec sa filiale Jouffray-Drillaud pour former Cérience (lire ci-contre).
Un accord en blé hybrides
Les entreprises semencières ont aussi l’habitude de tisser des alliances en recherche. Le dernier accord de taille, annoncé le 20 avril, concerne RAGT semences et Bayer qui ont décidé d’unir leurs programmes de recherche en blé hybride. « Cet accord, signé pour cinq ans dans un premier temps, va mobiliser plusieurs millions d’euros », précise Laurent Guerreiro, DG de RAGT semences. Les blés hybrides commercialisés jusqu’à présent en France sont issus d’un process d’hybridation chimique. Malgré des travaux conséquents engagés depuis des années, la sélection par la voie génétique est beaucoup plus complexe que pour les orges. « Nous travaillons depuis cinq ans sur la méthode de stérilisation mâle cytoplasmique, indique-t-il. Mais nous n’avons pas levé l’intégralité des verrous. » Le partenariat avec Bayer, qui déploie une approche très complémentaire, avec des méthodologies de sélection, systèmes de production de semences et solutions numériques différents, devrait permettre de les lever.
Le financement de la recherche est une question fondamentale pour les sélectionneurs qui y consacrent, selon Semae (ex-Gnis), entre 15 et 18 % de leur chiffre d’affaires. Thierry Momont, président de la section céréales à paille et protéagineux de l’interprofession, a suggéré, lors des rencontres annuelles de cette section, le 8 avril dernier, une solution complètement inédite pour renforcer son financement (lire ci-dessous). La question de la rentabilité des protéagineux et du financement de la sélection se pose de façon encore plus cruciale. « La Région Hauts-de-France, qui souhaite devenir la première région productrice de graines protéagineuses en France, notamment pour approvisionner ses unités industrielles, est en train d’étudier un projet pour contribuer à redynamiser cette filière, explique Philippe Lerebourg, directeur d’Unisigma. Ce projet consiste à accorder aux agriculteurs une subvention de 100 à 150 €/ha sur l’achat de semences certifiées. » Cette aide permettrait de faire vivre des producteurs de semences, de mobiliser davantage de royalties pour les sélectionneurs, de renforcer les programmes de recherche… Et de recréer un cercle vertueux en faveur des protéagineux.
Les sélectionneurs sont aussi gênés par un accès limité aux nouvelles méthodes de sélection pourtant utilisées dans d’autres grands pays agricoles. Le flou qui encadre ces nouvelles techniques depuis des années a poussé l’UFS, l’Union française des semenciers, à demander une réouverture de la réglementation européenne sur les OGM avec 27 organisations professionnelles. Aujourd’hui, les sélectionneurs français craignent d’utiliser des méthodes de sélection comme la mutagénèse dirigée par peur de voir leur nouvelle variété être classée OGM. Les colzas résistants aux herbicides obtenus par mutagénèse aléatoire et culture in vitro, actuellement autorisés, pourraient à l’avenir être considérés comme OGM. « La réglementation OGM entraînerait, pour la constitution du dossier d’homologation d’une nouvelle variété, des coûts rédhibitoires de 35 et 50 M€, souligne Laurent Guerreiro, qui est aussi président du Comité obtention de la section maïs & sorgho à l’UFS. Cela se traduirait par une diminution du nombre d’entreprises ayant accès à ces méthodes et d’espèces travaillées, ainsi qu’une perte de diversité. Le contraire de ce que veulent certains de nos opposants. » « Pour sortir de cette impasse, nous suggérons que ne soient pas considérées comme OGM les plantes obtenues par croisement sexué ou obtenues par mutagénèse pour lesquelles ne subsiste pas d’ADN étranger dans leur génome », explique Emmanuel Lesprit, directeur du pôle Amélioration des plantes à l’UFS.
La vapeur et l’ozone en désinfection
« La disparition de produits de protection des semences est aussi une grande source d’inquiétude, ajoute Thierry Momont. En colza, par exemple, nous n’avons plus de solution de traitement de semences. En pois, il existe encore des produits autorisés, mais qui sont menacés à court terme. » Agora propose depuis un an le traitement des semences à la vapeur par le process suédois Thermosem. « Le procédé est intéressant pour éliminer les pathogènes sur les semences, souligne Aymeric Dezobry, responsable semences à la coopérative. Mais le réglage est assez délicat, il faut trouver un compromis entre excès de température qui risque de tuer le germe et température trop faible, pas assez efficace. » Agora teste aussi, avec l’école d’ingénieurs UniLasalle Beauvais et l’UFS, l’ozone pour désinfecter les semences, un process non encore homologué en France « L’intérêt est que l’ozone a une durée de vie très courte, la molécule ne s’accumule donc pas », indique-t-il. Si ces procédés innovants permettent de détruire les pathogènes véhiculés par la semence, il reste à protéger la graine de ceux qui sont dans le sol. Les alternatives viennent pour le moment des produits de biocontrôle et des biostimulants, des marchés encore en balbutiement. « Actuellement, quatre produits de biocontrôle sont autorisés en traitement de semences en France, Cerall, Copseed, Intégral Pro et Votivo, précise Flora Limache, d’IBMA France. D’ici à trois ans, nous attendons beaucoup d’innovations. Des travaux sont aussi en cours sur l’utilisation de substances naturelles et microorganismes en “consortia”, c’est-à-dire en association. » Dans un contexte d’évolution climatique, les biostimulants peuvent présenter un intérêt en TS. « Ils peuvent notamment améliorer la résistance à la sécheresse », assure Laurent Largant, de l’Afaïa, syndicat des fabricants et metteurs en marché des intrants du sol.
Un épisode de gel sans précédent
Cette année, les agriculteurs ont dû faire face, en plus des contraintes habituelles, à un épisode de gel les 6 et 7 avril que le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a qualifié de « pire catastrophe agronomique de ce début de siècle ». Arboricultures et vignes ont été extrêmement impactées. En grandes cultures, le colza a été concerné et Arvalis a constaté un peu de gel d’épis en céréales, mais les cultures les plus touchées ont été les betteraves sucrières et le lin. La CGB estime entre 30 000 et 50 000 ha sur 370 000 ha, les surfaces qui ont dû être ressemées. La coopérative Cristal Union a immédiatement décidé de fournir gratuitement les semences à ses adhérents concernés. Pour les agriculteurs, c’est une double peine : en plus de devoir ressemer leurs parcelles gelées, la législation interdit l’utilisation de semences de betteraves traitées avec des néonicotinoïdes deux fois dans la même parcelle.
La préservation de la biodiversité est aussi une préoccupation majeure des semenciers. Huit acteurs du monde des semences et des ressources génétiques végétales d’horizons divers, dont l’UFS, Semae, et le Geves, ont créé le 19 avril un tout nouveau fonds, le Fonds de dotation pour la préservation de la biodiversité des espèces cultivées et de leurs apparentées sauvages. Ils en ont confié la présidence à Marion Guillou, ancienne PDG de l’Inrae. Autre nomination toute récente, celle de Jean-Marc Bournigal à la direction générale de Semae. Vétérinaire de formation, et DG de l’AGPB depuis près de quatre ans, il a occupé plusieurs postes au sein du ministère de l’Agriculture, dont celui de directeur de cabinet du ministre Bruno Lemaire.
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