Covid-19 Coops-négoces : des maillons qui assurent
Face à une situation inédite qui aurait pu mener au chaos, la chaîne alimentaire remplit pleinement le rôle qui lui est alloué. Coops et négoces répondent présent sur tous les fronts. Reste à anticiper au mieux toute casse économique et assurer l’après. Par la rédaction et les correspondants
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En préambule de cet évènement spécial Covid-19, nous tenons à vous remercier de votre mobilisation, vous tous, acteurs précieux de notre filière agricole et alimentaire, dont l’intérêt vital a été mis en lumière, malheureusement sur fond de tragédie sanitaire et humaine. Survenant au moment de la reprise de végétation et des semis de printemps, la pandémie n’a pas laissé le choix : il fallait assurer afin d’accompagner les agriculteurs sur le terrain et de continuer à écouler les productions, voire à les transformer. Un plan de continuité de l’activité s’imposait alors que le « restez chez vous » vidait les rues.
Dès la veille de l’annonce du confinement, les ministres ont mis le monde de l’alimentaire sur le « pied de guerre ». Aux premières loges, les fédérations syndicales ont alerté leurs troupes, relayées par leurs représentants en région et les réseaux économiques. Jeune négociant, Nicolas Sérazin se rappelle les tout premiers instants : « Notre réseau Impaact était déjà en état d’urgence le 15 mars et nous a invités à faire de même. Négoce Ouest, que j’ai contacté dans la foulée, était également sur le pont. L’après-midi du dimanche fut salutaire : au calme chez moi, j’ai pu mettre à plat un plan de continuité de l’activité avec mon épouse. Dès lundi matin 8 h, chaque salarié avait reçu un mail annonçant les premières mesures prises. Mardi midi, début du confinement, nous étions prêts après quelques réajustements. » Le jeune dirigeant a tout prévu : attestations professionnelles et personnelles, masques FFP2, gel fourni par un fournisseur d’hygiène de traite. « Cela a rassuré tout le monde, surtout les plus anxieux. » Après être revenu sur la réduction de moitié des équipes de livraison en raison de la forte activité qui se profilait, il a pu aborder plutôt sereinement cette situation inédite. « En étant ainsi préparé, je n’ai pas cédé à la panique qui a fait fermer certains sur l’instant. »
Des fédérations et réseaux présents
Ce travail d’anticipation et de préparation — dans la mesure où un tel événement peut le permettre — souligne le rôle de ces organisations qui chapeautent les secteurs d’activité. Ainsi que celui des réseaux économiques « qui font aussi un travail énorme pour accompagner les entreprises », souligne le président de la FNA, Antoine Pissier. Il ne manque pas de rappeler par ailleurs le travail accompli par les équipes de sa fédération du négoce : « Décryptage des textes, notes de service et d’information… Une crise comme celle-ci montre combien l’adhésion à un syndicat professionnel est utile, voire une question de pérennité de l’entreprise. Pour preuve, les mails de remerciement de nos adhérents reçus chaque jour. » De même, du côté de La Coopération agricole, les services sont au taquet pour accompagner les 2 400 coopératives.
L’état d’urgence créé par le Covid-19 a entraîné en effet tout un arsenal législatif à s’approprier et qui a débuté par la loi d’urgence du 23 mars 2020, suivie de la publication d’une première vague d’ordonnances le 27 mars, puis d’une seconde avec cinq ordonnances le 1er avril. Et d’une dernière ordonnance en date du 22 avril, applicable dès le lendemain, qui autorise notamment le chômage partiel individuel. Un foisonnement de réglementations qui fait dire à Antoine Pissier que « les règles sont précisées ou modifiées au fil de l’eau. Il est alors parfois difficile de décider, quand les informations successives apportent davantage de flou sur les modalités de mise en œuvre. »
En contact régulier avec les cellules de crise des ministères, les présidents syndicaux ne chôment pas. À la tête d’une fédération qui couvre de nombreuses filières, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, se retrouve de ce fait à monter quotidiennement au front pour prendre le pouls et défendre des mesures censées limiter la casse pour certaines entreprises prises dans l’étau du quasi-arrêt de la RHD et du coup de frein sur certaines exportations. « La première étape fut de faire reconnaître comme activité prioritaire toute la filière alimentaire, de la production à la distribution, y compris dépôts et Lisa, puis de travailler à l’adaptation de nos outils en tenant compte des mesures de prévention sanitaires. »
Un guide pour le plan de continuité
Très rapidement, La Coopération agricole a fait parvenir un guide à ses coopératives pour mettre en place un plan de continuité d’activité et les aider à s’organiser. À la FNA, avant le confinement, « nous avons beaucoup communiqué sur les mesures de protection et des messages de prudence, évoque Didier Nedelec, délégué général. Faire des tours de plaine seul, communiquer par téléphone avec les agriculteurs. »
L’enseignement à tirer de cette période complexe est, d’une part, la capacité de mobilisation des équipes, comme l’illustre le nouveau baromètre hebdomadaire du négoce (ci-dessous) qui sera prolongé après le confinement. Et, d’autre part, la capacité d’adaptation et d’agilité des entreprises. Une résilience que le président de la FNA relève, tout en soulignant « la grande force de la filière agricole française à travailler ensemble ». Une capacité d’adaptation au sein même de la chaîne alimentaire avec des modifications de ligne de production pour absorber le changement de mode de consommation ou produire du gel désinfectant. Quand d’autres secteurs se mettent à produire des masques ou des respirateurs.
Tous les élans de solidarité, auxquels notamment les coopératives et négoces participent, confirment d’ailleurs ce champ du possible (lire ci-dessous). Hier, on ne parlait que d’individualisme. Et aujourd’hui, la solidarité frappe à toutes les portes. Qu’en restera-t-il ? Il est tentant de faire un petit clin d’œil, en se référant à un dogme selon lequel pour ancrer de nouvelles habitudes, il faut les reproduire 21 jours d’affilée.
Plus concrètement, même s’il est encore hâtif d’établir un bilan fourni des apprentissages de cette crise sanitaire, quelques pistes se dessinent. « Il restera des acquis de cette situation inédite, observe Dominique Chargé. Dans un premier temps, elle conforte l’idée que les entreprises doivent travailler sur des plans de continuité de l’activité pour faire face à ce genre de risque et sur un plan de consolidation de l’approvisionnement de la chaîne alimentaire. D’autre part, je vois là aussi un renforcement de la protection sanitaire à faire perdurer. »
Par ailleurs, le recours au télétravail constitue une véritable rupture pour la plupart. Il pourrait en ressortir une nouvelle organisation permettant de réduire des déplacements pour des réunions pouvant se suffire d’une rapide visioconférence, ou encore pour des salariés éloignés du bureau, télétravaillant alors une à deux journées par semaine. Avec, à la clé, une réduction des frais de transport et des émissions de GES, dans un contexte où les cartes de pollution avant et après ont dû marquer les esprits. Et moins de stress, comme le remarque un chef d’entreprise. Toutefois, encore faut-il que « le bon fonctionnement du réseau internet soit garanti, précise Dominique Chargé. En zone rurale, nous rencontrons souvent des soucis de fiabilité. » Et le virtuel a ses limites pour Antoine Pissier, lequel constate que « le contact de visu manque dans cette période de confinement. L’âme de nos entreprises, c’est la proximité et donc le contact humain. »
Inscrire des actions dans le temps
Cependant, certaines initiatives mises en œuvre durant le confinement pourraient perdurer. EMC2, qui a innové avec un tour de plaine en journal télévisé interactif, pense le renouveler en hiver sur des thématiques se dispensant d’un tour de plaine. La coop bretonne Le Gouessant réfléchit à toutes ses actions pour qu’elles s’inscrivent dans le temps. C’est le cas de sa démarche de formation d’une cinquantaine de ses techniciens en nutrition animale à certaines tâches en usine d’aliment, afin de constituer une force de réservistes.
Une approche que l’on retrouve sur les plateformes d’appro en productions végétales où des TC et managers sont prêts à remplacer les personnes en poste, comme chez Euralis. Et aussi dans des sociétés de transport qui forment des conducteurs du secteur bâtiment à la nutrition animale et se serviront de cette réserve pour pallier toute absence à l’avenir.
Une multitude de nouvelles pratiques ou habitudes pourraient encore être là demain. Des groupes de discussion sur WhatsApp, ou sur Zoom ou Teams, continueront à vivre. C’est aussi l’opportunité, pour des outils de préconisation à distance, de renforcer leur déploiement.
Incertitudes sur la trésorerie
Toutefois la priorité aujourd’hui est d’endiguer les difficultés économiques qui se profilent. Même si le secteur alimentaire peut être considéré comme privilégié eu égard à d’autres secteurs qui ont dû tout stopper, « nous avons aussi des difficultés en regard de cette crise », constate Antoine Pissier. Les fournisseurs d’appro sont bien au rendez-vous (lire p. 11), mais certaines filières accusent le coup, comme l’horticulture, le maraîchage, la pomme de terre ou encore la vigne, en raison de la perte de débouchés. À cela, vient se greffer le ralentissement des services postaux qui retarde la réception des paiements d’agriculteurs réalisés surtout par chèque. L’ensemble fait craindre des problèmes de trésorerie pour certaines entreprises du fait de ces soucis de paiement (lire p. 7). Aussi, la FNA a édité un guide des aides aux agriculteurs pour que les équipes terrain puissent les orienter vers des soutiens financiers. En outre, des surcoûts sont attendus avec la hausse du coût du transport et les investissements en équipements de protection.
Pour l’instant, peu de négociants ont sollicité les aides, surtout sur les activités en lien direct avec les agriculteurs. « Quelques-uns ont déjà demandé le PGE (prêt garanti par l’état). Il y a un fort risque de besoin à venir pour beaucoup avec les incertitudes sur l’évolution de la trésorerie », estime Antoine Pissier. Des dispositifs de chômage partiel ont pu être mis en place, notamment sur les activités durement touchées, et le décalage du règlement des charges sociales a été mis en place chez certains négoces.
Des mesures sont étudiées
Quant au secteur coopératif, le président de LCA en appelle au soutien des pouvoirs publics dans un contexte où certaines coopératives voient leur activité fortement grevée par l’arrêt à 80 % de la RHD, ainsi que par la dégradation des exportations dans un secteur comme le vin. Sur un plan plus général, les entreprises rencontreraient une hausse des coûts globaux de 8 à 10 % qui n’est pas répercutée. « Nous allons avoir besoin d’un soutien à la trésorerie et aussi à la recapitalisation des entreprises qui ont souffert. Nous étudions en ce moment, avec les ministères concernés, toutes les mesures possibles. » Préférant rester réservé sur ce dossier sensible, Dominique Chargé insiste sur la nécessité de « compenser les surcoûts et les pertes à court et moyen terme, mais aussi pouvoir investir dans l’avenir et assurer les transitions agroécologiques sur lesquelles nous continuons de nous engager ».
Des marchés fort perturbés
Pour limiter la casse économique, La Coopération agricole en appelle à la réouverture « des circuits RHD, dans tous les établissements permettant le respect des distanciations sociales garantes de la sécurité des convives et des salariés ».
En effet, les huit semaines de confinement auront eu raison de débouchés cruciaux pour le blé tendre, en premier lieu la meunerie et l’éthanolerie, ainsi que pour l’orge brassicole et le maïs, alors que l’export vers pays tiers, à un niveau record, sauve cette campagne commerciale (lire p. 53). De même, le secteur viticole a bien souffert. Les coopératives viticoles françaises se sont rapprochées de leurs consœurs italiennes et espagnoles avec lesquelles elles font la moitié de la production européenne, pour demander à la Commission européenne d’agir. Une Commission qui s’est fait tirer l’oreille pour enfin finir par proposer des mesures exceptionnelles de soutien de marché en lait, fleurs, pommes de terre et viande bovine, ovine et caprine, avec des aides communautaires au stockage privé pour une partie de ces marchés.
Dans cette ambiance quelque peu délétère, la profession souhaite obtenir des délais supplémentaires pour l’entrée en vigueur de nouvelles législations comme la séparation conseil et vente phytos, qui avait déjà fait l’objet d’une telle demande avant la crise.
Reculer des dates d’échéance
D’autre part, la coopération agricole espère pouvoir faire reculer à fin 2021 l’obligation de mise à jour des statuts coopératifs. « Nous attendons une réponse des pouvoirs publics sur ces demandes très pragmatiques qui permettront aux coopératives de pouvoir fonctionner dans les mois qui viennent. Nous attendons également une réponse sur la question de l’assimilation des ristournes et intérêts aux parts sociales à des dividendes, qui n’a pas lieu d’être car nous considérons ces sommes versées comme un complément de revenu pour les agriculteurs. Les assimiler à des dividendes les priverait de ce versement s’ils sollicitent des aides de l’État », explique Dominique Chargé.
En revanche, des délais sont accordés pour la date de déclaration des CEPP reportée au 31 mai, et pour les agréments phytos et Certiphytos dont la fin de validité se situe durant l’état d’urgence ou le mois suivant. Trois mois de validité supplémentaires sont accordés à partir de la fin de l’état d’urgence.
La fin de cette période est quelque peu appréhendée comme un saut vers l’inconnu. Le déconfinement va amener à gérer dans la durée les mesures de prévention d’une pandémie qui peut repartir à tout moment. Pour le président de LCA, « notre capacité à pouvoir répondre sur la durée aux besoins des marchés est liée à la façon dont on sera capable d’assurer notre équilibre économique. Des plans de continuité d’activité pour respecter les mesures barrière seront à élaborer, notamment pour la prochaine collecte de céréales avec de nouveaux surcoûts à supporter. »
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