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Le numérique pour réduire l’usage des phytos

SEBASTIEN CHAMPION

Détecter au plus vite et localiser les bioagresseurs des cultures permet de limiter l’usage des produits phytosanitaires. Le numérique, pourtant indispensable, peine à s’imposer sur le terrain.

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Les agriculteurs doivent aujourd’hui composer avec de nouvelles obligations, dont la réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Ils doivent également faire face à la disparition de nombreuses solutions et amorcer une transition vers les produits de biocontrôle qui ont plutôt un mode d’action préventif.

Pour faire face à ces nouveaux défis, il est avant tout nécessaire d’optimiser les pratiques et l’utilisation des produits actuels. « L’efficience des intrants passe par une prise de décision optimisée, le postulat de départ, c’est que l’on ne veut traiter que où et quand c’est nécessaire », a insisté Julien Orensanz, de CAP 2020, le 3 décembre dernier, lors d’un séminaire organisé par la chaire AgroTIC sur la thématique du « numérique au service de la réduction des intrants ». Et le numérique est bien l’un des premiers leviers pour atteindre cette efficience, avec la détection et l’identification précoce et la localisation précise des risques qui pèsent sur les cultures : maladies et ravageurs.

Télédétection et proxidétection

Concernant les maladies des cultures, trois objectifs sont à atteindre : l’automatisation de la détection, la quantification et la localisation des symptômes. « L’idéal serait même de détecter les maladies avant l’apparition des symptômes visibles, mais en pratique c’est très difficile et cela exige des capteurs très coûteux, explique Christian Germain, professeur titulaire de la chaire. Au champ, le plus réaliste reste la détection dès que les symptômes sont visibles. » Actuellement, la détection des maladies s’effectue grâce à deux types de technologies : la télédétection, par des objets volant de type drones, et la proxidétection permise par des capteurs fixés, par exemple, sur les tracteurs. Les images sont ensuite classiquement analysées selon la signature spectrale des pixels avec les indices de végétation. En proxidétection, grâce à l’ultra-haute résolution, ce qui émerge est la détermination de la forme et de la texture des objets à partir des images collectées. Enfin, en télédétection, la détection des symptômes par des séries temporelles d’images est actuellement en développement.

Les images sont ensuite traitées de deux façons. L’approche dite « classique » analyse les images enregistrées en deux étapes. Des algorithmes adaptés, qui sont conçus en amont, traitent les images et construisent les attributs (forme, couleur) qui permettent ensuite la localisation des objets touchés par la maladie par un système de classification et segmentation. Pour améliorer cette technologie, il est nécessaire d’avoir une connaissance des cycles des maladies toujours plus fine pour construire des algorithmes les plus fiables possible.

IA et deep learning

La deuxième approche repose sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, dit « deep learning ». Ce système permet la détection des symptômes en une seule étape. Il permet une construction automatique des attributs en les comparant à une base de données constituée d’images, qu’il a « apprises », représentant ou non les symptômes visés. Les symptômes sont ainsi directement localisés.

Le deep learning est un type d’IA inspiré du cerveau humain et de ses neurones. Des neurones artificiels sont organisés en couches, chacune correspond à une caractéristique donnée de l’objet à reconnaître. Des images représentant cet objet, avec différentes caractéristiques, mais aussi d’autres objets, lui sont soumises et sont analysées par chaque couche de neurones, l’une après l’autre. Dès qu’une « erreur » est constatée pour une caractéristique donnée, l’image est renvoyée aux niveaux précédents pour adapter et affiner le modèle mathématique. À terme, le système aura appris à reconnaître l’objet et ses caractéristiques qu’il est censé détecter et le fera automatiquement et sans intermédiaire. À la différence, l’approche classique se contente d’exécuter les règles prédéterminées dans l’algorithme. Pour le deep learning, l’objectif est donc d’avoir des banques d’images toujours plus massives pour « entraîner » le système et, par conséquent, avoir une détection des symptômes toujours plus fiable, et notamment éviter les erreurs dues aux symptômes confondants, par exemple en vigne où une décoloration des feuilles peut avoir plusieurs causes.

Résolution spatiale et temporelle

La gestion des pressions des ravageurs passe par un suivi précis de ces derniers. Une prise de décision efficiente s’appuie sur une collecte d’informations précises, fidèles à la réalité. « Et cela passe par une meilleure résolution temporelle ainsi qu’une meilleure résolution spatiale, explique Julien Orensanz. Depuis quelques années, on assiste à une numérisation du suivi des bioagresseurs, avec le passage de pièges manuels à des pièges automatisés. Ces pièges connectés font sauter le verrou du temps de suivi. » Plus le pas de temps est fin, plus on gagne en réactivité. Une marge de progrès réside cependant dans l’optimisation du placement des pièges pour éviter le biais spatial. L’idée est de cibler des zones sensibles pour anticiper. Ces pièges connectés, s’ils permettent en premier lieu d’assurer un suivi fin des ravageurs, ont aussi pour vocation d’améliorer la connaissance et donc la modélisation de leurs cycles de développement. Associés à d’autres données collectées au champ, par exemple météorologiques, les modèles conçus gagnent en précision et fiabilité et permettent d’optimiser le positionnement des traitements. Les utilisateurs sont également en demande de pièges aux spectres plus larges, pour notamment appréhender les ravageurs émergents.

Affiner les règles de décisions

Que ce soit les ravageurs ou les maladies, tout l’enjeu, pour l’optimisation et le bon positionnement des traitements, réside dans l’acquisition toujours plus importante de données. Le constat est simple, plus il y a de données, plus les modèles construits et les règles de décisions qui en découlent sont fins et précis.

Ces outils numériques de détection des bioagresseurs sont cependant encore peu répandus et surtout utilisés en recherche et expérimentation. Des freins techniques, comme la formation et l’accompagnement, et économiques, avec le coût des équipements, restent à lever pour qu’ils se répandent dans les exploitations agricoles.

Lucie Petit

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