« L’intelligence artificielle ne va pas remplacer les conseillers »
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Antoine Cornuéjols travaille depuis une trentaine d’années sur l’intelligence artificielle (IA), « tout ce qui vise à mieux comprendre la cognition humaine et à résoudre des problèmes qui demandent du raisonnement ».
Quelles sont les perspectives de l’IA en agriculture ?
La révolution en cours, c’est l’explosion des capteurs afin de piloter les cultures et les élevages pour une aide à la décision tactique, au quotidien, mais aussi stratégique. Ainsi, on commence à voir arriver des capteurs qui vont regarder et prédire le comportement des animaux (maladies, chaleurs…), à pouvoir calculer les émissions de gaz à effet de serre des parcelles. On va aller vers de la robotique de précision plus poussée que ce qui se fait avec le machinisme agricole actuellement, on va voir de plus en plus d’engins autonomes se promener dans les champs et faire de la pulvérisation ou du binage automatiques. Ce que l’on voit émerger aussi, ce sont des fermes complètement automatisées, par exemple en hydroponie, dans un milieu totalement contrôlé par l’IA. Et puis, on peut imaginer dans quelques années des systèmes qui, à la suite d’une requête, iront chercher les informations sur des sites internet, des blogs, des forums d’échanges, par exemple entre coops et agriculteurs, et vous feront une synthèse. Ce n’est pas pour demain, plutôt dans une dizaine d’années, mais c’est quelque chose auquel je crois beaucoup.
Demain, l’agriculture n’aura-t-elle plus besoin de conseillers ?
Je ne le crois pas, en tout cas pas dans les quarante prochaines années. Les machines ne vont pas remplacer les conseillers. Elles sont très performantes pour percevoir des choses de manière neutre, aller fouiller plein de bases de données, intégrer des informations provenant de plein de capteurs, aider à établir des scénarios, bref pour amplifier l’intelligence, en revanche, elles ne le sont pas pour combiner du raisonnement et de l’apprentissage. C’est beaucoup plus un dialogue qu’il faut attendre entre l’expert et la machine, plutôt qu’un remplacement de l’un par l’autre. Le conseiller apporte de l’expertise, et la machine l’assiste en apportant des prédictions associées à cette expertise. Ceux qui n’utiliseront pas l’IA seront handicapés.
Quelle est la priorité de travail dans le domaine agricole ?
C’est de faire en sorte que les pouvoirs publics, mais aussi les coopératives, les instituts, garantissent que les données, qui sont le carburant de ces systèmes d’intelligence artificielle, restent contrôlées par ceux qui les produisent et ne soient pas sous l’emprise de plateformes qui pourraient devenir des prescripteurs et dicter ce qu’il faut faire à tout le monde. En même temps, il faut que ces données puissent être exploitées par tous : pas simple de concilier souveraineté et ouverture. Il est essentiel enfin que des standards soient établis pour que différents systèmes puissent se parler – c’est l’interopérabilité –, et enfin que ces systèmes aient des interfaces simples, que l’on puisse facilement comprendre et utiliser.
On dit que l’IA consomme beaucoup d’énergie…
On peut espérer qu’il résulte davantage de gains issus de l’IA que d’inconvénients. Mais il ne faut pas se leurrer. Même s’il existe plein de programmes de recherche pour essayer de limiter cette consommation, les systèmes d’IA nécessitent des moyens informatiques colossaux. Si le cloud était un pays, ce serait le 5e plus grand consommateur d’électricité au monde. En France, 15 % de l’électricité consommée l’est pour le numérique.
Renaud Fourreaux
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