Semences : la France peut-elle garder son leadership ?
Parmi les leaders sur l’échiquier international, la France a accueilli en juin le 70e congrès mondial des semences. Au-delà des chiffres très positifs, la filière a du mal à voir comment se construire un avenir dans un environnement européen et national qui la bride de toute part. Par Blandine Cailliez
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Le marché mondial des semences et les échanges entre pays sont en constante progression. L’ISF, International Seed Federation, qui a tenu son congrès annuel du 3 au 6 juin, à Nice, après l’Australie en 2018, et avant l’Afrique du Sud en 2020, estime le chiffre d’affaires mondial des semences vendues aujourd’hui à 50 milliards de dollars. « Ce marché augmente en moyenne de 2 % par an, constate Michaël Keller, secrétaire général de l’ISF. Mais les échanges entre pays progressent encore plus vite. Ils se montaient en 2017 à 12 Mds$, soit six fois plus qu’en 2001. » Il n’est donc pas surprenant que cet évènement majeur pour les entreprises semencières connaisse un succès grandissant. Organisé par l’UFS, l’Union française des semenciers, il a réuni en quatre jours 1 720 congressistes originaires de 63 pays, et a battu ainsi un record.
De fait, la France a toujours été un précurseur dans la sélection végétale, et son climat, la qualité de ses terres et la volonté des entreprises et des agriculteurs-multiplicateurs lui ont permis de longue date d’exceller dans la production de semences de bon nombre d’espèces.
Aujourd’hui, la France, qui exporte la moitié des semences produites sur son territoire, confirme sa place de numéro deux mondial des exportateurs de semences toutes espèces confondues, et de numéro un des espèces de grandes cultures, fourragères et pomme de terre (voir infographie ci-contre). Pour le marché intérieur, les semenciers sont confiants dans le dynamisme de la demande et dans le rôle que les semences vont jouer pour réduire le recours à la chimie. Bioline Semences de France et Exélience viennent d’investir dans de nouvelles unités de production, et Soufflet et Actura ont annoncé un projet commun pour 2022.
Gare à la concurrence américaine et asiatique
Mais la France saura-t-elle garder cette place de leader, tant l’avenir de la filière semble bridé ? « Nous avons placé parmi les priorités de notre fédération l’accès aux méthodes récentes d’amélioration des plantes (NBT, new breeding techniques) à l’ensemble des pays », a insisté le président de l’ISF, l’Espagnol Eduard Fito, au cours du congrès. Certains pays, notamment sur le continent américain, disposent déjà d’une réglementation claire à leur sujet. Ce n’est pas le cas de l’Europe. « L’absence de réglementation est une menace pour l’innovation, précise-t-il. Aujourd’hui, l’un des principaux objectifs de la sélection est de contribuer à la durabilité de l’agriculture et à la réduction de l’utilisation de la chimie. » Pour lui, c’est l’avenir des semences en Europe qui est en jeu, mais aussi celui de toute l’agriculture. « Sans l’accès à l’innovation, l’avenir de l’agriculture est en péril », indique-t-il.
« Nous travaillons dans le cadre de l’association européenne des semences, l’Esa, pour que le cadre réglementaire évolue et que les entreprises puissent bénéficier de la sécurité juridique pour innover », précise Franck Berger, président de l’UFS. Les entreprises ne cachent cependant pas leur inquiétude. « En Europe, on sent une crispation autour de l’innovation, ajoute Michaël Keller. Nous rencontrons beaucoup de gouvernements dans le monde, et les discussions sont souvent très différentes de celles que nous avons avec les représentants des gouvernements européens. Des pays comme la Chine voient l’accès à l’innovation sous un angle complètement différent. »
Le ministère de l’Agriculture français est pourtant conscient de la nécessité de renforcer la recherche génétique. Selon un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qu’il a commandé et qui vient d’être publié, « la France et l’Europe doivent renforcer la recherche variétale face à la concurrence américaine et asiatique puissante et aux nouvelles attentes agricoles ». Pour ses auteurs, le secteur de la recherche en semences est aujourd’hui « exposé de manière inédite à de nombreux défis ». Ils préconisent d’ailleurs à la France et à l’Europe de « lancer une expertise scientifique collective des nouvelles biotechnologies de sélection pour évaluer les risques alimentaires et environnementaux, et le rapport coût/bénéfice, et de communiquer ses résultats auprès du grand public ». Les auteurs conseillent aussi de relancer le développement variétal sur des espèces pour lesquelles le catalogue français est mal pourvu, comme les protéagineux, légumineuses et plantes de service, d’évaluer davantage les mélanges variétaux et de lancer une expertise scientifique afin d’évaluer la résilience des semences paysannes au regard des changements climatiques.
Montée en puissance des semences illégales
Autre préoccupation de l’ISF mise en avant au cours de son congrès, la lutte contre les semences illégales. « Les ventes de semences frauduleuses sont en train de prendre de l’ampleur, constate Eduard Fito. Nous avons décidé de placer parmi nos priorités la lutte contre ces pratiques illégales qui vont du vol d’une lignée parentale à un sélectionneur, à la vente de semences contrefaites avec usurpation d’un logo d’entreprise. » Pour lui, les agriculteurs sont les premières victimes de ce phénomène, en achetant des semences qui ne correspondent pas à la bonne variété et qui peuvent véhiculer des parasites ou ne pas germer. L’ISF estime que ce commerce illégal se développe partout, en Afrique, Asie, Amérique du Sud, mais aussi en Europe, puisqu’un trafic lié au crime organisé a été dénoncé récemment en Italie. « En France, la vente de semences illégales est encore marginale, note Claude Tabel, vice-président de l’UFS. Mais elle a tendance à se développer avec la montée en puissance des achats sur internet et des échanges via les réseaux sociaux. »
L’incompréhension du grand public
La filière semences en France est davantage concernée par des remises en cause et attaques incessantes de la part d’associations ou d’organisations. « Un des gros enjeux de la filière est de faire comprendre notre métier par une stratégie de communication plus offensive et plus pédagogique », reconnaît Franck Berger. La filière est même parfois montrée du doigt de manière très agressive, comme dans l’émission télévisée Cash Investigation, diffusée le 18 juin. Attaqué directement au cours de cette émission sur le travail des enfants en Inde, le fait de sous-payer ses salariés, la standardisation de ses variétés de légumes ou leur manque de goût, Limagrain a immédiatement démenti dans un communiqué. « Les images vues dans le reportage sont choquantes, mais ce que l’on a vu, ce ne sont pas des sites Limagrain », explique par exemple le semencier. Ou encore : « Les chiffres montrés dans le reportage sont émis par l’ONG ICN et concernent la situation générale en Inde. » Même constat concernant la rémunération de ses salariés, ou le manque de diversité et la faible qualité nutritionnelle de ses tomates…
Le Gnis a lui aussi été épinglé au cours de l’émission. « Dans la démarche d’ouverture et de transparence dans laquelle nous nous sommes engagés, ne pas répondre aurait pu faire croire que nous avions des choses à cacher, indique le groupement dans un communiqué. Nous avons donc décidé de répondre à l’interview même si nous savions que la tonalité serait par nature polémique. » Il a lui aussi réagi et mis en ligne sur son site les vraies réponses aux questions posées lors de l’émission. Mais combien de journaux ont pris la peine de reprendre les communiqués du Gnis ou de Limagrain ?
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