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La fin du grand chambardement

Lucie Petit

Après des années de mouvements et de chamboulements au sein du petit monde des firmes phytosanitaires, chacune semble avoir trouvé sa place en 2019. Si la plupart se sont montrées très discrètes, d’autres ont fait parler d’elles, entre finalisation d’organisation, investissements mais aussi déboires judiciaires.

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L’année 2019 semble marquer d’un point final toutes les réorganisations du paysage mondial des firmes de phytos-semences amorcées ces dernières années. Sauf nouvelle annonce totalement inattendue, bien évidemment. Bayer, renforcé l’année dernière par Monsanto, s’impose toujours comme le leader mondial du secteur. Syngenta devance le géant allemand en ce qui concerne les produits de protection des plantes avec quelque 9,70 Mds€ de chiffres d’affaires sur ce segment. À première vue, la hiérarchie n’a donc que peu bougé et devrait perdurer ainsi pendant encore quelque temps. Toutefois, de tous ces chamboulements est né Corteva Agriscience, fruit du rapprochement 100 % agricole de Dow et DuPont. Sans surprise, la nouvelle venue s’est directement hissée au deuxième rang mondial des firmes phytos-semences avec un chiffre d’affaires total de 14 Mds$, au coude à coude avec BASF pour la troisième position en phytos, qui représentent près de la moitié de son CA. En France, Corteva pèse 235 M€ dont 60 % en produits phytosanitaires, soit 141 M€. Avec 7 % de part du marché français, elle est ainsi le 4e acteur phytos.

Corteva tous azimuts

Même si Corteva s’était déjà dévoilée depuis pas mal de temps, sa naissance officielle aura sûrement été l’évènement majeur de cette année. Depuis combien de temps une société d’une telle ampleur n’avait-elle pas vu le jour ? Le 1er juin 2019, Corteva Agriscience est officiellement devenue une société indépendante, rompant ainsi tous liens avec Dow, ainsi qu’avec DuPont. Dans la foulée, elle a été introduite en Bourse le 4 juin au New York Stock Exchange, où elle a été valorisée à hauteur de plus de 20 Mds$. « Nous sonnons aujourd’hui la cloche pour envoyer un message qui résonnera dans le monde entier. Corteva Agriscience est là, et nous sommes engagés à être un nouveau type d’entreprise dédiée à l’agriculture », se félicitait alors Jim Collins, CEO de la société. « Avec les forces combinées de Dow et DuPont, nous avons l’un des plus puissants pipelines d’innovation », ajoutait Igor Teslenko, président Europe. Dès lors, la jeune société a affiché ses ambitions, notamment en protection des plantes, en déclarant qu’elle sera à l’origine d’une substance active sur quatre à venir sur le marché. En France, elle annonçait en février dernier lancer six nouvelles matières actives dans les trois ans à venir, ce qui devrait l’aider à atteindre son objectif de croissance de son chiffre d’affaires France de 100 M€ d’ici cinq ans. Pour affirmer ses ambitions, la jeune société ne lésine pas sur les moyens et multiplie les investissements dans le monde entier. Dernière annonce en date, un investissement en capital de 145 M$ dans son usine de Midland, aux États-Unis, pour augmenter de 30 % sa capacité de production de ses insecticides d’origine naturelle, à base de spinosynes. Et la France ne fut pas en reste cette année, avec de gros investissements dans l’usine de Cernay en Alsace, mais également un projet concernant les technologies de traitements de semences dans le Sud-Ouest (lire encadré p. 14).

Bayer toujours dans la tourmente

On ne peut dresser un panorama de l’année qui vient de s’écouler sans évoquer Bayer. La menace glyphosate de feu Monsanto continue de peser sur son image, ainsi que sur son portefeuille. La première grosse condamnation de Monsanto, à la suite du procès intenté par le jardinier américain Dewayne Johnson fin 2018, pour « ne pas avoir informé de la dangerosité du Roundup », semble avoir amorcé une inévitable succession de poursuites, ponctuées de défaites. Et inévitablement, l’action du géant allemand s’effondre : en avril 2019, moins d’un an après l’intégration de Monsanto, l’entreprise allemande accusait une chute en Bourse de près de 45 %. À ce moment-là, 5 000 poursuites judiciaires étaient engagées aux États-Unis. Le 26 avril, lors de la première assemblée générale depuis le rachat de Monsanto, 55,5 % ont d’ailleurs voté contre le conseil d’administration et sa stratégie. Autre scandale, la révélation au grand jour d’un listing de 1 475 personnalités mondiales commandé par Monsanto en 2016 en fonction de leur positionnement par rapport au glyphosate, dont 466 en France. Si l’enquête achevée le 5 septembre n’a « démontré aucun comportement illégal », selon Bayer, cette affaire n’a fait qu’attiser l’incendie.

Le 14 juin, Bayer annonçait toutefois investir environ 5 Mds€ d’ici dix ans dans le développement de nouvelles méthodes pour lutter contre les mauvaises herbes. Cependant, cela ne suffira sûrement pas à faire oublier Monsanto et ses casseroles. Malgré tout, la direction de Bayer n’a jamais remis en cause le rachat de Monsanto ni le « caractère sûr » du glyphosate. Au 11 octobre, 42 700 requêtes visant le glyphosate étaient recensées aux États-Unis, contre 18 400 à la fin du mois de juillet. Monsanto n’est donc pas près de tomber aux oubliettes, malgré son escamotage il y a maintenant plus d’un an.

+38 % de chiffre d’affaires pour BASF

L’autre géant allemand, BASF, semble de son côté dans une bonne dynamique. En 2019, le chiffre d’affaires de sa division Agricultural Solutions a connu une hausse spectaculaire de 38 %, pour atteindre 4,4 Mds€. Cette augmentation s’explique en grande partie par l’acquisition d’actifs et d’activités cédés par Bayer pour le rachat de Monsanto. D’ailleurs BASF, société presque exclusivement consacrée aux produits phytosanitaires, a annoncé en octobre vouloir augmenter son CA de 50 % d’ici 2030 en s’appuyant notamment sur de nombreux lancements : 30 nouveaux produits devraient être commercialisés d’ici 2028 pour un potentiel de plus de 6 Mds€ de chiffre d’affaires.

Le 5 juin dernier, BASF a inauguré aux États-Unis un centre de recherche mondial exclusivement consacré aux méthodes d’application des produits phytosanitaires. « Grâce à̀ce nouveau centre de recherche, nous pourrons proposer aux agriculteurs de nouvelles technologies qui réduiront à la fois la dérive et les doses d’utilisation, et qui répondront aux exigences des tests réglementaires », déclarait alors Paul Rea, vice-président Amérique du Nord de BASF Agricultural Solutions. Depuis 2015, la firme développait et testait son système de transfert clos de produits phytosanitaires, Easyconnect. Composé d’un bouchon spécifique prémonté sur les bouchons des produits, et d’un système de transfert externe, Easyconnect permet un transfert direct des produits dans les pulvérisateurs et donc d’éviter les déversements accidentels. En 2019, BASF a fédéré autour de ce système quatre autres firmes, qui ont d’ores et déjà lancé des tests auprès des agriculteurs : Adama, Corteva Agriscience, Nufarm et Syngenta. D’ici à 2022, une large gamme de produits équipés de ce nouveau bouchon devrait être proposée par les entreprises engagées.

Enfin, autre temps fort de l’année, le Français Vincent Gros est devenu le président mondial de BASF Agricultural Solutions, le 1er juillet 2019. Ainsi, pour la première fois, ce poste est occupé par un Français.

Discrétion pour les autres

Cependant, si l’on écarte ces trois géants, la plupart des autres sociétés se sont faites très discrètes. Comme Syngenta, pourtant numéro 1 mondial des phytos. Le vieil adage « Pour vivre heureux, vivons cachés » s’appliquerait-il aux firmes phytos ?

Cette année a été créé le nouvel UPL, UPL OpenAg, à la suite de l’absorption éclair d’Arysta Lifescience. En effet, entre l’annonce de Platform Specialty Products Corporation de la vente, pour un montant de 4,2 Mds$, de sa société à UPL en juillet 2018, et la finalisation de l’acquisition par UPL en février 2019, il ne se sera écoulé que quelques mois. D’autant plus que tout cela semble s’être déroulé sans encombres et en toute discrétion. Le nouvel UPL présente ainsi un chiffre d’affaires de près de 5 Mds$ avec un portefeuille de produits enrichi, de la protection des cultures aux biosolutions.

La part belle au biocontrôle

Si le biocontrôle reste encore très minoritaire sur le marché de protection des plantes avec 8 % de parts de marché, sans compter le cuivre, il s’avère depuis quelques années déjà le cheval de bataille de la majorité des sociétés phytos. Pour la première fois, le 8 octobre dernier, Bayer a organisé une journée consacrée au biocontrôle, « Ensemble, réussir le biocontrôle », à l’intention de plus 160 acteurs de la prescription. Durant cette journée, Bayer a présenté les résultats d’une enquête qu’elle a menée auprès de 120 distributeurs pour identifier les leviers de développement, les attentes en matière de formation, mais aussi celles vis-à-vis de Bayer. Trois leviers clés en sont ressortis : clarifier le positionnement technique des produits, améliorer la facilité d’emploi, et enfin la formation et l’accompagnement des agriculteurs. Concernant ce dernier point, Bayer a annoncé travailler sur un plan de formation qui devrait voir le jour d’ici deux ans.

La division française de BASF a pour sa part signé un partenariat avec le réseau SATT, Société d’accélération du transfert de technologies, pour « mettre en place une opération de scouting technologique », communiquait la firme début novembre. L’objectif est de collaborer avec les acteurs de la recherche publique et privée sur des projets de développement du biocontrôle. Cette opération de scouting technologique aurait déjà permis à BASF d’accéder à 70 % de la recherche publique française, afin d’identifier les technologies de biocontrôle disponibles, notamment à base de microorganismes. « BASF entame désormais, aux côtés de SATT, la phase de validation et de preuve de concept des projets retenus par le groupe pour des potentiels développements et partenariats », expliquait Anne Resweber, responsable biocontrôle. Enfin, Corteva Agriscience, qui représente 10 % du marché du biocontrôle en France, avance de forts objectifs de progression à cinq ans. « C’est un axe que l’on accélère très fortement », précise Maxime Champion, directeur marketing. Aujourd’hui, le biocontrôle pèse pour 5 % de son chiffre d’affaires en protection des plantes, l’objectif est de l’amener à 15 % d’ici 2025.

« Les besoins des agriculteurs orientent nos innovations »

C’est dans ce contexte d’évolution et de concentration du secteur phytos, mais aussi de pressions réglementaire et sociétale, que nous nous sommes tournés vers les agriculteurs pour avoir leur ressenti vis-à-vis des firmes phytos. Selon notre baromètre ADquation-Agrodistribution, 52 % des agriculteurs interrogés estiment que les firmes phytos comprennent leur besoin, et le chiffre monte à 61 % en grandes cultures. « Nous ne sommes pas étonnés par ces résultats, ce n’est pas énorme, mais cela prouve tout de même que l’on va dans le bon sens, et il va falloir accentuer cela », réagit Jean-Philippe Legendre, DG France de Corteva Agriscience. « En tant que nouvel acteur, notre notoriété est faible auprès des agriculteurs, et c’est un vrai objectif pour nous de répondre à leurs besoins. Mais il faut du temps pour créer la relation. Aujourd’hui, ce sont ces besoins qui orientent nos innovations », conclut Maxime Champion.

© Lucie Petit - Le 4 juin 2019, le New York Stock Exchange (NYSE) s’est paré des couleurs de Corteva à l’occasion de son entrée en Bourse.

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