Intoxication aux pesticides Le soutien s'organise autour des ex-salariés de Nutréa
Lundi 30 mars, près de Rennes, 200 personnes sont venues soutenir quatre ex-salariés de Nutréa dans leurs démarches à la suite d'une intoxication par des insecticides de stockage.
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Depuis l'estrade où il se tient, de ses mains, Laurent Guillou, 45 ans, se fait un masque pour inhaler le moins possible les molécules chimiques des parfums provenant de l'assemblée réunie ce lundi 30 mars à Betton, près de Rennes (Ille-et-Vilaine). Depuis cinq ans, cet homme ne supporte plus aucune substance chimique dans un rayon de 1 kilomètre. Brûlures des muqueuses buccales, compression de la colonne vertébrale, douleurs musculaires, fatigue chronique... Ce sont ses principaux symptômes induits par l'hypersensibilité chimique multiple (MCS en anglais).
Cette maladie s'est déclarée depuis son intoxication par des grains traités en urgence, voire en surdosage, avec des insecticides de stockage en 2009 et en 2010, dont du Nuvan Total, à base de dichlorvos, interdit depuis 2007. Il était alors à la réception des matières premières sur le site de Plouisy (Côte-d'Armor) de la société d'alimentation animale, Nutréa. Ces céréales provenaient d'un silo à plat, voisin d'une centaine de mètres, de la coopérative Eolys, aujourd'hui fusionnée dans Triskalia, actionnaire à 60 % de Nutréa, les autres 40 % étant détenus par Terrena. Une maladie irréversible, du fait notamment de l'atteinte par le dichlorvos, selon le professeur de l'université de Washington, Martin Pall, spécialiste de la MCS, que ces hommes ont rencontré lors d'un colloque à l'Assemblée nationale en octobre 2014.Après une nouvelle période de forts malaises en 2010 et avoir alerté en vain autour de lui avec ses collègues, Laurent Guillou dépose une plainte contre X le 25 mai 2010 pour que « cet empoisonnement cesse ». Le 27 mai 2010, c'est au tour de l'Inspection du travail d'envoyer « un procès verbal d'infraction au procureur de la République ». Le doigt est alors mis dans l'engrenage judiciaire.Des licenciements contestésLa faute inexcusable de Nutréa a été reconnue en septembre 2014 par le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Saint-Brieuc pour Laurent Guillou et son collègue, Stéphane Rouxel, également opérateur de réception des matières premières. Depuis, ces deux hommes sont en attente de l'expertise médicale qui permettra d'évaluer l'indemnisation des préjudices subis. Deux autres salariés de Nutréa sont aussi touchés par la même pathologie, Pascal Brigant, adjoint au transport et chauffeur-livreur d'aliments et Claude Le Guyader, chauffeur-livreur d'aliments. Ces derniers viennent d'obtenir également une victoire, car la cour d'appel de Rennes désavoue en fait dans son jugement rendu hier, le 1er avril, la MSA sur le taux d'IPP (taux d'incapacité permanente) de 5 % attribué à ces deux hommes en acceptant la tenue d'une nouvelle expertise. Pour cela, elle a nommé un médecin parisien.Ces quatre hommes ont été licenciés après avoir été déclarés inaptes à leur poste par la MSA, envers laquelle ils sont d'ailleurs très remontés. En effet, c'est un vrai parcours du combattant pour obtenir une juste reconnaissance en matière de taux d'IPP. 25 % ont été accordés à Laurent Guillou et Stéphane Rouxel alors que le régime conventionnel pourrait attribuer 80 % d'IPP. Du fait de la faute inexcusable de leur employeur, Laurent Guillou et Stéphane Rouxel contestent leur licenciement aux Prud'hommes devant lesquels était prévue, fin mars, une comparution, en fait reportée en raison du retard dans l'expertise.Pour sa part, Nutréa souligne qu'elle a respecté la procédure légale après avoir proposé divers postes de reclassement. « Mais nous ne pouvons aller nulle part. Même dans les bureaux à Plouisy, où un poste nous était proposé, les symptômes se manifestaient », souligne Laurent Guillou.Recours déposé à la cour d'appelQuant à la plainte au pénal, enclenchée avec le dépôt de plainte contre X en mai 2010 de Laurent Guillou et Stéphane Rouxel, elle a été relancée avec une demande de constitution en parties civiles reçue le 13 mars dernier par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc. Moins d'une semaine après, ils ont appris son irrecevabilité car le procureur ne s'étant pas saisi du dossier dans les trois ans suivant la plainte initiale, ils auraient dû agir de leur côté avant la fin de ce délai. Ils ont signifié dans la foulée leur non-acceptation de cette irrecevabilité. Et c'est la cour d'appel de Rennes qui va saisir leur recours.Toutefois, ces hommes se disent prêts à accepter une solution amiable offrant une reconnaissance juste et légitime de leurs préjudices pour compenser, entre autres, la forte baisse de leurs ressources financières. « Nous sommes prêts, en étant assistés de maître Lafforgue qui défend leur dossier, à discuter avec Triskalia », souligne, lors de la soirée de Betton, Serge Le Quéau, syndicaliste à Solidaires Bretagne qui accompagne Laurent Guillou et Stéphane Rouxel depuis 2010. Un arrangement à l'amiable avait déjà été proposé à Nutréa en 2011, mais la société n'avait pas donné suite.Le mouvement de soutien s'amplifieEn attendant, tout un mouvement de soutien se déploie à observer l'émulation présente lors de la soirée de Betton. De conférence de presse (septembre 2011) en articles dans divers médias, émissions télé (comme « Envoyé spécial », en mars 2013) et radio (reportage d'Inès Léraud sur Radio France, en février dernier), des comités de soutien se montent, des pétitions sont lancées. Il est même question d'un livre voire d'un film. « Nous acceptons toute médiatisation, car nous craignons que notre affaire finisse par être étouffée », explique Laurent Guillou.De leur côté, Nutréa et Triskalia déclarent se fier à la procédure en cours et démentent dans une information à la presse divers points qui sont véhiculés, notamment l'arrêt volontaire de la ventilation pour des raisons d'économie. Cependant, dans son audition en 2012 par les sénateurs moteurs du rapport « pesticides, vers le risque zéro », le directeur de Nutréa reconnaît que des traitements ont été réalisés dans l'urgence à la sortie du silo. Alors qu'il existe un système de ventilation que Laurent Guillou a pu pratiquer quand il surveillait, à une époque, les silos de céréales.Situation très sensibleQuoi qu'il en soit, cette situation est très sensible et va au-delà des faits énoncés. « Ces ex-salariés sont des lanceurs d'alerte et des défricheurs sur une maladie mal reconnue en France, alors qu'elle est reconnue par l'OMS et dans plusieurs pays, note Serge Le Quéau. D'autres salariés sont touchés mais n'osent pas parler par peur de perdre leur emploi. »Cette affaire remet en exergue les risques encourus par les salariés et la nécessité de les prévenir à défaut de pouvoir les supprimer. Ainsi que la nécessité de s'assurer du bon fonctionnement des procédures qualité existantes à tous les niveaux de l'entreprise. Le site de Plouisy est en effet Iso 9001. A ce jour, le DRH de Nutréa, Nicolas Douillard affirme que tous les moyens de sécurité et de protection sont en place et évoque l'idée d'organiser des visites du site de Plouisy qui a fait l'objet de récents investissements.
Hélène Laurandel
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