La France cherche le bon équilibre
Si la réduction des usages de produits phytos dits conventionnels est en cours, le chemin pour atteindre les objectifs fixés est parsemé d’embûches. En attendant, il est impératif de trouver le juste équilibre.
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Après une importante chute en 2019, les ventes de produits phytosanitaires conventionnels sont reparties à la hausse en 2020. Les quantités de substances actives, hors usages en agriculture biologique et hors produits de biocontrôle, se sont en effet élevées à 44 036 t, selon les données provisoires publiées par le ministère de l’Agriculture en juillet dernier, contre 35 729 t en 2019, soit une hausse de 23 % sur un an. « Il est nécessaire de souligner que les quantités de substances actives vendues ne reflètent ni les quantités effectivement appliquées, ni la période d’application des traitements. La hausse de la redevance pour pollutions diffuses au 1er janvier 2019 a vraisemblablement conduit une partie des agriculteurs à stocker des produits phytopharmaceutiques fin 2018 afin d’anticiper cette hausse, générant une hausse marquée des ventes en 2018, suivie d’une baisse particulièrement importante en 2019 », affirme le ministère. « Cette augmentation de la redevance pour pollutions diffuses se répercute en décalage sur les ventes aux agriculteurs par rapport à son application, cette augmentation en 2020 était donc attendue », confirme Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP.
Malgré cette augmentation, les ventes de substances actives conventionnelles se sont toutefois affichées 20 % en dessous de la moyenne 2012-2017. Selon le ministère, « la moyenne triennale est la plus faible depuis dix ans, elle diminue plus récemment de 5,7 % entre 2017-2019 et 2018-2020. » Cette tendance se confirme d’autant plus pour les substances les plus préoccupantes, CMR1, avec une baisse de 93 % par rapport à leur niveau de 2016. « Les efforts doivent se poursuivre pour réduire encore davantage l’utilisation des produits phytopharmaceutiques », conclut le ministère. En effet, bien que les derniers résultats du plan Ecophyto, qui en est à sa version 2 +, depuis avril 2019, n’aient pas été dévoilés, les chiffres restent en deçà du cap fixé. Pour rappel, l’objectif est de réduire l’usage des produits phytos de 25 % à l’horizon 2020, et de 50 % d’ici 2025. Cela étant désormais appuyé au niveau européen, le plan Farm to Fork ayant, pour sa part, fixé l’objectif de − 50 % à l’horizon 2030.
Ecophyto toujours plus chahuté
Mais alors, peut-on parler d’échec ? En février 2020, la Cour des comptes avait déjà mis les pieds dans le plat. « Dix ans après, les objectifs fixés ne sont pas atteints, mais plusieurs leviers peuvent favoriser l’évolution des pratiques agricoles, pointait-elle du doigt dans un référé adressé à Édouard Philippe, alors Premier ministre. En dépit de ces actions et de la mobilisation de fonds publics pouvant être estimés, pour 2018, à environ 400 M€ (dont 71 M€ prélevés sur la RPD), plusieurs travaux d’évaluation ont dressé un bilan réservé de l’action menée. La Cour constate, pour sa part, que les effets des plans Ecophyto demeurent très en deçà des objectifs fixés. » « Les plans Ecophyto qui se succèdent ne sont pas des échecs, mais le résultat est un échec. On n’a pas attendu la Cour des comptes et ses recommandations pour le savoir », avait concédé Didier Guillaume, alors ministre de l’Agriculture, quelques jours plus tard.
Et un an après cette alerte, c’est cette fois-ci la Fondation Nicolas Hulot qui s’en est mêlée. Dans un rapport dévoilé le 9 février 2021, elle s’est penchée sur la question des financements alloués aux acteurs agricoles et à cette transition vers une agriculture plus économe en intrants. Cette étude, menée pendant un an avec le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne), a mis en avant le manque d’accompagnement des agriculteurs français pour la réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Seul 1 % des 23,2 Mds€ de financements publics versés chaque année aux acteurs de l’alimentation, comprenant la Pac mais aussi les dispositifs d’allégement fiscaux, auraient un impact sur la réduction des phytos. Plus en détail, 11 % des financements publics auraient une intention vis-à-vis de cet objectif et seulement 1 % aurait un effet avéré dessus, selon l’étude, soit environ 220 M€ en 2018. Autre constat majeur, Ecophyto ne représenterait que 0,3 % de l’ensemble des soutiens publics. « Au-delà des intentions, on ne se donne pas les moyens et, surtout, les moyens mis au service de cette cause sont totalement antinomiques avec les effets escomptés, fustigeait alors Nicolas Hulot. Des sommes publiques considérables ainsi que celles de la Pac sont allouées aux acteurs du monde agroalimentaire, mais seulement une petite partie a l’intention d’essayer de participer à une politique plus vertueuse sur un plan environnemental et une infime partie est véritablement opérationnelle pour aller dans le sens de la réduction des pesticides. » « L’échec est trop souvent mis sur le dos des agriculteurs. La responsabilité est également du côté des pouvoirs publics, depuis dix ans il y a une quasi-inexistence des politiques publiques d’accompagnement des agriculteurs, regrettait pour sa part Caroline Faraldo, de la FNH. La responsabilité est aussi du côté de l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire qui sont étroitement liés entre eux. » Pour y remédier, la fondation avait alors proposé une feuille de route sur dix ans reposant sur trois objectifs : l’accompagnement des agriculteurs vers les changements de systèmes attendus en redirigeant les financements, le renouvellement des générations nécessaire à la transition agroécologique et la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne agricole et alimentaire, tous devant concourir à l’atteinte des objectifs du plan Ecophyto. Et pour les atteindre, deux outils prioritaires avaient été mis en avant : la Pac et la fiscalité. « La Pac, c’est 9 Mds€ par an et, actuellement, uniquement 2 % de ces financements ont un effet sur la réduction de l’usage des pesticides, il faut inverser cette tendance », expliquait Caroline Faraldo. La mise en place d’une fiscalité bonus-malus basée sur le principe du pollueur-payeur était aussi préconisée pour responsabiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire.
Glyphosate : l’heure est au choix
« Le combat, nous le menons, nous avons commencé à infléchir l’augmentation. Nous sommes en train de continuer à innover, trouver des substitutions, mais on sait combien le combat est dur », a toutefois affirmé le président de la République, Emmanuel Macron, le 3 septembre 2021, en ouverture du congrès de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). « Est-ce qu’on va assez vite ? Non ! Est-ce qu’on peut sous-estimer l’effort qu’on demande, en particulier à nos agriculteurs ? Non, parce que nos agriculteurs vivent déjà tellement mal de leur activité, a-t-il clamé. Mais nous devons construire un chemin, une transition tous ensemble pour réussir à reprotéger nos sols, à reprotéger nos activités agricoles, et progressivement réduire, et parfois on peut se passer des pesticides […] Je veux que sur ce sujet des pesticides, la présidence française de l’Union européenne porte, et je m’y engage ici, une initiative forte, avec tous les collègues, de sortie accélérée des pesticides. Ça n’est qu’au niveau européen que nous y arriverons, sinon nous nous ralentirons. »
Le lendemain, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, a toutefois tenu à rassurer le monde agricole. « Notre position est toujours la même : pas d’interdiction sans alternative. » Lui aussi a également mis en avant l’importance de l’UE dans cette transition : « Nous sommes dans un marché commun, donc cette question doit être européenne. Sinon, nous créons juste de la compétition déloyale, sur le dos de notre agriculture et de notre environnement ! »
Cette future responsabilité européenne sera-t-elle l’occasion d’asseoir le positionnement de la France concernant le glyphosate ? Interdit en France depuis le 1er janvier 2021, sauf dans des situations d’impasses bien définies, le glyphosate reste largement utilisé en Europe et d’ailleurs approuvé dans l’UE jusqu’au 15 décembre 2022. Réautoriser ou non son utilisation, l’Europe doit désormais choisir. Le 23 septembre 2021, l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et l’Echa, l’Agence européenne des produits chimiques, ont lancé les consultations parallèles, annoncées le 30 août 2021 et pilier du système d’évaluation des pesticides dans l’UE, sur les rapports d’évaluation du renouvellement, et de classification et d’étiquetage harmonisés. « Toutes les parties intéressées pourront contribuer à l’évaluation scientifique en cours en présentant des observations et des informations pertinentes. La consultation restera ouverte pendant 60 jours, a annoncé l’Efsa. À l’issue des consultations publiques parallèles, l’Echa procédera à sa classification du danger du glyphosate selon plusieurs critères, notamment la cancérogénicité, la génotoxicité et la toxicité pour la reproduction et le développement. Cette classification sera utilisée par l’Efsa et les représentants des 27 États membres pour finaliser l’examen par les pairs prévu au second semestre 2022. »
Un crédit d’impôt pour le glyphosate
En tout cas, certains, en France, ont déjà tranché. Une pétition, lancée le 14 octobre 2021 par l’ONG Générations futures et signée par une quarantaine d’organisations, exige que la France « sorte totalement du glyphosate, avec un plan d’accompagnement des agricultrices et des agriculteurs, et s’engage à s’opposer publiquement au renouvellement de l’autorisation de ce pesticide toxique dans l’Union européenne. » Affaire à suivre donc. Et en attendant, le crédit d’impôt annoncé par le ministère de l’Agriculture en décembre 2020 pour les exploitations agricoles sorties du glyphosate, est finalement entré en vigueur au 30 octobre 2021. Ce crédit d’impôt, temporaire et d’un montant de 2 500 €, a vocation à soutenir celles qui déclareront ne pas utiliser de produits phytos contenant du glyphosate en 2021 et/ou 2022. Il s’adresse plus particulièrement aux filières les plus impactées économiquement par l’interdiction de la molécule, à savoir la viticulture, l’arboriculture ainsi que les grandes cultures. Selon l’Inrae, à l’échelle d’une exploitation, la sortie du glyphosate peut en effet entraîner une perte d’EBE allant jusqu’à 16 % pour les grandes cultures en semis direct, provoquant un surcoût pouvant atteindre 80 €/ha et une perte allant jusqu’à 7 000 € pour une exploitation de taille moyenne de 87 ha. En viticulture, la perte moyenne d’EBE serait de 7 %, soit un surcoût moyen de 250 €/ha.
Irrésistible biocontrôle
Et le biocontrôle, porté notamment par la stratégie nationale de déploiement, aura également sa place au cœur des débats européens. 2020 a confirmé la tendance à la hausse des solutions de biocontrôle, les ventes de produits utilisables en agriculture biologique et de produits de biocontrôle ayant atteint 21 305 t, enregistrant ainsi leur deuxième meilleure année après 2018, selon les données provisoires publiées par le Gouvernement. La moyenne triennale est, quant à elle, la plus élevée enregistrée, avec + 20 % par rapport à la moyenne 2015-2017.
Ces chiffres sont corroborés par ceux d’IBMA France. Les ventes de produits de biocontrôle ont atteint 236 M€ en 2020, cuivre compris, contre 217 M€ en 2019, soit une hausse de 9 % faisant suite à une hausse de 8,5 % entre 2018 et 2019. Le biocontrôle représente ainsi désormais 12 % du marché français de la protection des plantes, contre 11 % en 2019. Sur le marché des insecticides, le biocontrôle pèse 37 %, 26 % sur celui des antilimaces, 13 % en fongicides et seulement 3 % en herbicides.
Toutefois, les grandes cultures demeurent le parent pauvre du biocontrôle. Seules 27 substances étaient disponibles en 2021 sur ce segment, macro-organismes compris, contre 21 en 2018. On est encore loin des 49 substances disponibles en viticulture, 99 pour les cultures fruitières ou encore 108 en cultures légumières et 111 en cultures ornementales. Les innovations sont ainsi attendues de pied ferme. « Tous les adhérents travaillent sur des projets en grandes cultures, le paysage devrait être très différent dans deux ou trois ans », tient à rassurer Céline Barthet, présidente de l’IBMA France. Selon un sondage mené par l’association auprès de ses adhérents en janvier 2020, 37 solutions étaient alors en cours de développement. Ne reste plus qu’à attendre si elles seront facilement adoptées à leur potentielle arrivée sur le marché. « Les agriculteurs constituent un public plutôt ouvert et qui adopte assez facilement de nouvelles choses, mais on constate que ça coince un peu plus pour tout ce qui touche à la protection des plantes », admet Céline Barthet.
Les CEPP désormais obligatoires
Les solutions de biocontrôle s’avèrent d’ailleurs un élément clé dans la mise en œuvre des CEPP, les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques. En 2020, le dispositif regroupait 82 actions standardisées pour un total 1 403 références commerciales. 61 % des actions CEPP portent sur le recours à des méthodes alternatives, avec une prédominance du biocontrôle, cette catégorie étant à l’origine de 62 % des CEPP attribués en 2020. Plus précisément, les solutions de biocontrôle, dont le soufre (voir ci-dessus) ont représenté 41 % des CEPP totaux. L’année 2020 a également été la première année où les entreprises étaient soumises à des obligations. Selon un bilan réalisé en août 2021 par le ministère de l’Agriculture, les entreprises ont atteint entre 20 et 32 % de leurs obligations, 120 ont obtenus tous leurs CEPP, principalement des petites structures, seules 4 des 50 plus grosses structures obligées ont atteint 100 % de leur objectif.
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