Les azotés à l’épreuve du défi climatique
Les pressions environnementales s’accélèrent sur les engrais minéraux azotés. Heureusement, les innovations techniques et technologiques aussi.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
La situation actuelle des cours appuie le besoin de s’affranchir des énergies fossiles, déjà mis en évidence par l’urgence climatique. Et la réglementation pousse toujours plus en ce sens. Il y a bien sûr le Green Deal européen dont la volonté est de réduire de 20 % l’utilisation des engrais en Europe d’ici à 2030. En France, un certain nombre de dispositifs s’accumulent regroupés sous la bannière de la Stratégie nationale bas carbone, la feuille de route pour réduire de 19 % en 2030 et de 46 % en 2050 les GES de l’agriculture par rapport à 2015 (dans le but global d’atteindre la neutralité carbone en France en 2050). Elle réunit, en ce qui concerne la fertilisation, le Prepa et son sous-plan national d’action pour du matériel d’épandage moins émissif (PMME) adopté en janvier 2021, la mise en œuvre des actions du volet agricole de la feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) lancé en 2019, l’application du 7e programme d’action national de la directive nitrates pour fin 2022, ou encore la loi climat et résilience.
L’ombre de la taxe plane
Cette dernière, promulguée le 22 août dernier, introduit quelques dispositions qui concernent les engrais minéraux. Tout d’abord, dans l’article 269, elle interdit l’usage des engrais de synthèse pour les particuliers, mais le maintient pour les équipements sportifs, « afin d’obtenir la qualité permettant la pratique sportive », reconnaissant implicitement leur nécessité ! Dans l’article 268, elle instaure un plan d’action national en vue de la réduction des émissions d’ammoniac (− 13 % en 2030 par rapport à 2005), précurseur de particules fines, et de protoxyde d’azote (− 15 % entre 2015 et 2030), à fort pouvoir effet de serre, liées à l’application des engrais azotés minéraux. Ce plan, initialement intitulé Eco’Azot par le Sénat en référence à son homologue Ecophyto, mais dont le nom n’a pas été retenu dans la version finale du texte, va devoir être élaboré dans les prochains mois et rassemblera une trajectoire à suivre et un ensemble de solutions à mettre en œuvre (formes d’azote et pratiques à privilégier, alternatives, OAD, légumineuses, etc.). Les certificats d’économie d’engrais, à l’instar des CEPP, et les objectifs de réduction de dose ne sont plus envisagés.
Mais si, pendant deux ans consécutifs, les objectifs intermédiaires ne sont pas atteints, le texte prévoit la création d’une redevance sur les engrais azotés, « tout en veillant à préserver la viabilité économique des filières agricoles concernées et à ne pas accroître d’éventuelles distorsions de concurrence avec les mesures en vigueur dans d’autres États membres de l’Union européenne ». Autant dire que ce n’est pas demain la veille… Même à l’Unifa, où l’on dénonce une stigmatisation, on se dit soulagé par la version finale.
En route vers l’ammoniac décarboné
Quoi qu’il en soit, la décarbonation de la filière des engrais semble aujourd’hui inévitable. Pour les azotés, la production d’hydrogène décarboné est l’enjeu majeur de la filière. L’utilisation du biogaz ou de nouveaux procédés (électrolyse de l’eau) sont des voies privilégiées, de même que la capture et le stockage du carbone issu des fumées.
Et les annonces ne manquent pas. Fertiberia avait ouvert le bal l’année dernière pour « montrer la voie de l’avenir aux autres opérateurs » en projetant de construire avec Iberdrola, au sud de Madrid, « le plus grand complexe d’hydrogène vert à usage industriel en Europe », basé sur de l’énergie solaire. Au Danemark, le 23 février dernier, un consortium a annoncé aussi vouloir mettre sur pied le plus grand projet d’Europe de production d’ammoniac vert, visant à produire des engrais et des carburants décarbonés avec de l’électricité éolienne. Sans donner de date de mise en service, le site « convertira de l’électricité venant d’éoliennes en mer en ammoniac vert, qui sera utilisé dans le secteur agricole comme engrais verts et dans le transport maritime comme un carburant neutre en CO2 », expliquent les entreprises à l’origine du projet, dont des poids lourds de l’agroalimentaire danois comme Arla (produits laitiers), Danish Crown (charcuterie) et la coopérative DLG. Il s’agit d’extraire l’hydrogène de l’eau (par électrolyse d’une puissance totale de 1 gigawatt) afin de le combiner avec l’azote de l’air pour produire de l’ammoniac et réduire les émissions de CO2 de 1,5 Mt par an.
En France, des initiatives émergent en la matière, comme ce projet commun à Yara et Borealis sur le bassin industriel normand (lire ci-contre). Le géant norvégien a également annoncé en février créer une division Clean Ammonia dédiée à l’ammoniac propre ou décarboné, qu’il soit bleu (issu des technologies de captage et stockage du carbone) ou vert (par électrolyse de l’eau avec l’électricité bas carbone ou d’origine renouvelable). Des projets sont sur les rails aux Pays-Bas, en Norvège ou en Australie, et les filiales de Yara disposeront de certificats « verts » qui confieront un caractère décarboné aux produits finis. « Ainsi, à échéance deux ou trois ans, on pourra fabriquer en France des ammonitrates “verts” », fait savoir Nicolas Broutin, président de Yara France. En attendant, la filiale française perfectionne ses ateliers d’acide nitrique afin de réduire les émissions de protoxyde d’azote.« Sur notre site d’Ambès, nous sommes aujourd’hui à 95 % d’abattement de ces émissions, et nous investissons 10,3 M€ pour atteindre en 2023 99,5 %, comme c’est déjà le cas à Montoir », informe-t-il. En précisant qu’entre la décarbonation de l’acide nitrique et les actions en cours pour le traitement des eaux pluviales et industrielles, « Montoir sera l’usine la plus propre d’Europe ».
Quant à Fertinagro France, elle se fixe un nouvel objectif de diminution de ses consommations énergétiques de 15 % d’ici fin 2023. Pour y parvenir, la filiale du fabricant espagnol dit désormais automatiquement prendre en compte l’aspect gain énergétique dans ses réflexions. Elle a également choisi de prioriser les énergies vertes avec l’achat d’électricité provenant d’énergie renouvelable.
Le secteur des AMB n’est pas en reste
Dans le secteur des amendements minéraux basiques, le groupe Lhoist, confronté comme d’autres à la nécessité de compenser ses émissions par l’achat de tonnes de CO2 sur le marché libre, devenu très spéculatif, s’est donné l’ambition de réduire de 50 % par tonne de chaux ses émissions de CO2 de combustion en 2030, puis d’atteindre la neutralité carbone en 2050. « Des actions ont été lancées dans nos usines, comme le développement de combustibles à base de biomasse ou l’utilisation d’énergies renouvelables, témoigne Jacques Chanteclair, directeur de Lhoist Europe du Sud. Le projet de panneaux photovoltaïques en cours sur neuf de nos sites en France produira bientôt l’équivalent de la consommation d’une ville de 70 000 habitants. » Lhoist vient également de rejoindre ArcelorMittal France, IFP Énergies nouvelles, Axens et Total dans le projet DinamX, qui étudie l’applicabilité d’une nouvelle technologie, dite DMX, de captage et de stockage du CO2 (captage chez les différents émetteurs industriels, préstockage dans le port de Dunkerque, stockage géologique en mer du Nord). Une étude technico-économique démarre sur le site de Rety (Pas-de-Calais) afin de déterminer la quantité de CO2 nécessaire à capter ainsi que le coût d’utilisation du procédé DMX. Il s’agit d’une première étape avant l’installation prochaine d’un démonstrateur à grande échelle dans cette usine à chaux. En parallèle, Lhoist réaffirme la compétitivité de la chaux pour le stockage du carbone dans le sol et la réduction des émissions de N2O. « Oui, l’utilisation de la chaux vive permet de séquestrer plus d’équivalents carbone qu’elle n’en libère », appuie Sylvain Agier, directeur du pôle agriculture. En réalisant l’analyse du cycle de vie de la chaux, Lhoist a montré qu’elle a une capacité à séquestrer les GES à hauteur de 213 kg d’équivalent CO2 par tonne de valeur neutralisante par an. Au pH de 6,8, les sols rejettent sensiblement moins de GES dans l’atmosphère. D’autre part, ce pH écologique permet aux cultures de se développer de manière optimale, générant un surcroît de biomasse séquestrateur de CO2.
Les urées améliorées mises en avant
Côté produits, certaines entreprises mettent en avant leurs solutions déjà identifiées comme des leviers de réduction des émissions de GES au champ, par exemple, les engrais à libération contrôlée. C’est le cas d’EuroChem Agro France, et de ses engrais Entec, lancés il y a plus de vingt ans. La filiale du producteur russe se voit confortée par la validation, dans le cadre de la toute récente méthodologie Label bas carbone Grandes cultures, de l’utilisation de ce type de fertilisant comme un des leviers efficaces pour atteindre l’objectif de neutralité carbone nationale. « Une forte réduction de 50 % des émissions directes de protoxyde d’azote est obtenue avec Entec déclinée dans des formules azote + soufre, NP et NPK », avance-t-elle. ICL promeut également la cinquième génération de ses engrais Osmocote à libération programmée.
Amaltis s’associe avec Olmix
Conscient que le secteur agricole représente 88 % des émissions de N2O et 96 % de celles de NH3, Amaltis, spécialiste des engrais sur mesure, continue d’innover de son côté pour améliorer l’efficience des engrais et réduire l’impact environnemental de la fertilisation : inhibiteurs d’uréase, polymères d’enrobage, retardateurs de nitrification, engrais avec additif microbien… Amaltis proposait déjà plusieurs solutions : Fertitec, un régulateur de nitrification (DMPP) qui réduit jusqu’à 45 % les émissions de N20 et la lixiviation ; N’Maker, un double inhibiteur d’uréase (NBPT + NPPT) capable d’abaisser de 75 % en moyenne les émissions de NH3 ; N’Rob, une fraction d’azote protégée avec polymère limitant jusqu’à 67 % la lixiviation et 86 % les émissions de NH3. En outre, le spécialiste des engrais sur mesure a lancé avec Olmix, cette année, Nativa, une gamme de fertilisants intégrant un activateur de la microflore du sol. Dans les faits, Olmix élabore et livre à Amaltis la technologie MIP Rhizo, stimulatrice des activités enzymatiques de la microflore du sol, sous forme de granulés prêts à mélanger. Amaltis intègre ensuite l’ingrédient dans les formules de la gamme Nativa, à partir des différentes matières premières de son catalogue, et selon les besoins de ses clients. Les formules proposées, à base d’éléments majeurs, secondaires et oligo-éléments, couvrent les grandes cultures, les cultures fourragères, la vigne et les gazons sportifs. « À fertilisations équivalentes, le rendement est amélioré en moyenne de 8,5 %, avance-t-on chez Amaltis. À rendements équivalents, la réduction des quantités d’engrais peut atteindre 22 %. » La mise en marché est assurée par Amaltis, avec l’appui technique sur le terrain des équipes Olmix Plant Care, dirigées désormais par Catherine Lamboley (ex-Bayer).
Pour accéder à l'ensembles nos offres :