Le label bas carbone s’enracine
Avec ce nouvel outil, le marché libre du carbone s’ouvre aux agriculteurs français. Coops et négoces se mobilisent.
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Créé par le ministère de la Transition écologique et solidaire en collaboration avec I4CE, le label bas carbone, lancé le 23 avril 2019, « met en place un cadre innovant et transparent offrant des perspectives de financement à des projets locaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Cet outil, ouvert à tous les secteurs d’activités diffus, tels que le transport, le bâtiment, l’agriculture ou la forêt, a pour objectif de contribuer à l’atteinte des objectifs de la SNBC en incitant au développement de projets bénéfiques pour le climat. Les agriculteurs impliqués dans cette dynamique peuvent ainsi recevoir une rémunération complémentaire de la part de financeurs si leur démarche s’inscrit dans un projet local encadré et labellisé. Pour qu’un projet bénéficie du label et puisse être répertorié et proposé à d’éventuels financeurs, il doit entrer dans le cadre d’une des méthodologies approuvées par le ministère de l’Environnement (infographie ci-dessus).
Le porteur de projet doit par ailleurs démontrer que les réductions d’émissions générées sont additionnelles, c’est-à-dire qu’elles n’auraient pas eu lieu sans la mise en place du projet. Après labellisation, les quantités d’émissions évitées ou de carbone stocké sont évaluées par un auditeur indépendant, certifiées et répertoriées par le ministère. Des crédits carbone sont ainsi émis et peuvent être cédés à des financeurs (entreprises, collectivités territoriales ou particuliers). Toutefois, si ces derniers peuvent inscrire cette action dans une démarche de compensation volontaire, elle ne peut en aucun cas servir à remplir une obligation réglementaire. Enfin, il s’agit d’un marché de gré à gré, où le prix de ces crédits n’est pas fixé par le ministère. « C’est au porteur de projet de fixer le prix plancher en dessous duquel il ne veut pas descendre en fonction des coûts de mise en place des pratiques », note Claudine Foucherot, d’I4CE. Virginie Bernois, de Greenflex, précise cependant que « ce n’est pas tout à fait la même valeur que d’acheter un crédit carbone sur le marché international, le label a aujourd’hui juste vocation d’échange et de monitoring mais ne délivre pas de titre de propriétés ».
391 éleveurs déjà engagés
Chacune des méthodologies couvre des actions identifiées pour un secteur donné et est élaborée par un ensemble d’acteurs de ce secteur. Elle définit un scénario de référence, des objectifs et des moyens d’évaluation. À l’heure actuelle, trois méthodes ont été approuvées pour le secteur de la forêt, et une seule pour l’agriculture, le 30 septembre 2019 : Carbon Agri. Cette dernière est une méthodologie de comptabilisation des réductions d’émissions de GES, dédiée aux exploitations bovines et de grandes cultures. Élaborée par l’Institut de l’élevage en partenariat avec le Cniel, Interbev, la CNE ainsi qu’I4CE, elle s’inscrit dans la continuité des démarches bas carbone des filières ruminants, comme « Ferme laitière bas carbone » et « Beef carbon ». Elle repose sur un cadre de suivi de projets sur cinq ans (voir ci-dessous), à l’aide de l’outil d’évaluation environnementale CAP’2ER de l’Idele, qui permet un diagnostic de l’impact carbone des exploitations. Une quarantaine de pratiques amenant à des réductions d’émissions sont prises en compte (gestion du troupeau, de l’alimentation, des surfaces et des prairies, des effluents d’élevage ou encore la consommation énergétique), ainsi que des leviers de stockage. « Carbon Agri est assez pauvre sur le volet séquestration du carbone, commente Jean-Baptiste Dollé, chef du service environnement à l’Idele. C’est un objectif que l’on partage et construit avec la méthode grandes cultures en cours d’élaboration. »
Les parties prenantes de la méthode ont créé France Carbon Agri Association (FCAA) pour faciliter son déploiement et accompagner les acteurs et agriculteurs dans la mise en place et le suivi des projets, ainsi que dans la contractualisation avec les financeurs. Elle a d’ailleurs lancé un premier appel à projets en novembre 2019 : une vingtaine ont été identifiés pour un total de 391 éleveurs et un engagement de 71 000 t d’émissions de CO2 évitées sur cinq ans, soit autant de crédits carbone, selon les premières estimations. « On ne s’attendait pas à un tel succès », s’enthousiasme Jean-Baptiste Dollé. Les diagnostics pour la construction de plan d’action sont en cours de réalisation dans les exploitations engagées. « Un descriptif détaillé sera envoyé au ministère à l’automne pour labelliser les projets », ajoute-t-il. Du côté des financements, « aujourd’hui, les premiers contrats tournent autour de 30 à 40 € la tonne de carbone, soit 6 000 à 12 000 € par exploitation, selon sa taille et les objectifs fixés », précise-t-il. Deux appels à projets chaque année sont d’ores et déjà envisagés. « L’objectif est de passer plusieurs petits échantillons d’éleveurs au fil de l’eau pour étaler le travail dans le temps », note-t-il. La Coopération agricole pôle animal, membre du comité de liaison de FCAA, participe notamment au déploiement de Carbon Agri. « Notre mission est de fédérer nos coopératives, explique Laetitia Leconte, responsable développement durable du pôle animal de LCA. Elles ont l’envie de s’insérer dans la démarche. Mais avant d’engager beaucoup plus d’élevages, il est important que le dispositif soit testé et éprouvé et que l’on ait davantage de réponses sur la partie financement du conseil et du suivi des élevages. » Agrial est l’une des premières coopératives engagées en accompagnant pas moins de 90 élevages. Depuis quelques années déjà, elle menait des audits environnementaux dans ces exploitations à l’aide de CAP’2ER.
Une méthode concernant les haies, Carbocage, devrait également être opérationnelle d’ici à la fin de l’année. Coordonnée par la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire, elle porte sur l’élaboration d’une méthode de quantification du stockage de carbone additionnel permis par la bonne gestion de haies. « Elle s’imbriquera avec les deux autres méthodes comme des poupées russes », explique Sarah Colombié, de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Bientôt en grandes cultures
Une troisième méthode sectorielle en grandes cultures est en cours d’élaboration par Arvalis, l’APGM et l’AGPB, la CGB, la Fop, Terres Inovia, l’ITB et l’ARTB, et corédigée par Agrosolutions. Elle devrait être déposée d’ici à la fin de l’été pour une validation du Gouvernement attendue à l’automne.
Les grandes cultures, identifiées depuis longtemps comme des « pompes à carbone », contribuent à la lutte contre le changement climatique par la réduction des émissions de GES, mais, surtout, par leur pouvoir de séquestration de carbone dans le sol. La quantification et le suivi du carbone dans les sols s’avèrent le point essentiel de la méthode. Aujourd’hui, l’outil le plus utilisé à l’échelle de la parcelle est Siméos-AMG, développé par l’Inrae et Agro-Transfert, qui simule l’évolution des teneurs et stocks en matière organique du sol. Mais d’autres modèles pourraient être également intégrés à la méthode. L’union de Ceta Agro d’Oc, qui travaille notamment avec Nataïs sur la mise en place d’une prime de stockage carbone pour la filière pop-corn, œuvre à la construction d’un indicateur de bilan carbone grâce à l’outil Safy CO2 du Cesbio, Centre d’études spatiales de la biosphère. Cet outil consiste dans le suivi de la biomasse des cultures et des couverts par des images satellites pour déterminer la proportion de biomasse restituée au sol, et donc évaluer la quantité de carbone stockée dans le sol. « Notre objectif est d’aller vers un bilan unique automatique par satellite », note Sylvain Hipolyte, responsable recherche et développement d’Agro d’Oc et membre du comité des usagers de la méthodologie grandes cultures.
Le digital au service du carbone
À l’échelle de la région Grand Est, le consortium « PEI Carbon Think » planche depuis octobre 2019 sur la rémunération des performances carbone des exploitations. Cofinancé par la Région Grand Est et les fonds européens Feader, il est constitué de Terrasolis, le pôle d’innovation régional de l’agriculture bas carbone, Agrosolutions, I4CE, Planet A, une initiative globale pour l’engagement de l’agriculture face aux enjeux alimentaires et environnementaux, l’Inrae ainsi que la chaire Économie du climat Paris-Dauphine. « Ce projet a vocation d’accompagner une centaine d’exploitations de la région dans la transition bas carbone », explique Édouard Lanckriet, d’Agrosolutions. Il consiste en l’élaboration d’un projet pilote bas carbone régional, désormais intégré au groupe de travail national grandes cultures, suivi d’une phase de test sur les exploitations pilotes de la région en grandes cultures, polyculture-élevage, ainsi qu’en viticulture.
Le troisième volet du projet concerne la création d’un outil numérique pour l’automatisation du fonctionnement de la méthodologie. « L’idée, c’est d’utiliser la blockchain pour réduire les coûts de suivi des projets, en faisant de la récolte de données automatisée », explique Claudine Foucherot. « L’outil fera fonctionner les équations de la méthode pour calculer les crédits générés. On travaille aussi à ce que cette blockchain soit couplée à un fonds d’investissement ouvert, dans lequel on proposera aux entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions d’abonder, en échange de crédits générés par les agriculteurs du projet », ajoute Édouard Lanckriet. « Il faut travailler à la réduction des coûts de collecte des données et de transaction, premier axe de pérennisation du label, en incitant au montage de projets sur le territoire », insiste Claudine Foucherot.
Le deuxième axe réside dans la structuration de l’offre de financement. « Il faut faciliter, structurer la rencontre de l’offre et de la demande, et instaurer un cadre de communication clair auprès des entreprises, estime Claudine Foucherot. C’est le rôle des intermédiaires, telle l’association France Carbon Agri. » Beaucoup de travail reste donc à faire pour fédérer les acteurs des filières, les financeurs ainsi que le premier maillon de la chaîne, les agriculteurs, autour de ce label. Selon notre baromètre Agrodistribution-ADquation (p. 34), le label bas carbone représente un débouché d’avenir pour 48 % des agriculteurs interrogés. « Les agriculteurs ne sont pas tous au même niveau d’information. Celle-ci n’est pas encore passée partout, et c’est normal, car les méthodologies ne sont pas tout à fait là. J’ai récemment appris l’existence du label à des coopératives avec lesquelles je travaille », commente Virginie Bernois. Mais cela s’avère une proportion très encourageante pour un label qui n’en est qu’à ses prémices.
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