Déverrouiller le système
Face aux nombreux verrous techniques, logistiques, sociologiques, des pistes émergent pour réintroduire des légumineuses dans les assolements.
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Il fut un temps où les légumineuses étaient communes. Déjà, avant l’avènement des engrais, on estimait qu’on était à quasiment 100 % d’azote symbiotique dans l’alimentation, contre moins de 5 % aujourd’hui. Mais sans remonter si loin, dans les années quatre-vingt-dix, la France produisait plus de 3 Mt de pois par an (contre 600 000 t aujourd’hui) et en était le premier producteur mondial. Depuis, les subventions et les protections phytosanitaires se sont réduites comme peau de chagrin, entraînant difficultés agronomiques, variabilité du rendement et de la qualité des graines, puis désinvestissement des semenciers et fuite des acheteurs. Une spirale infernale qui fait que dans la dernière décennie, la méfiance s’est installée et la France s’est retrouvée dépouillée. Tout est à reconstruire.
Revoir la chaîne de collecte
Le plan protéines est là pour réamorcer la pompe, mais « il est illusoire de croire que le volontarisme politique va déterminer les décisions de semis des agriculteurs, prévenait David Gouache, directeur adjoint de Terres Inovia, lors des Rencontres francophones des légumineuses, en février dernier. Cependant, on a pu constater que les difficultés de semis en colza et en blé l’an dernier ont incité les producteurs à explorer les légumineuses. Une certaine appétence se fait jour. La capacité à inscrire les choses dans la durée va dépendre avant tout de la capacité des opérateurs à investir dans la transformation et la distribution. Cela ne se détermine pas du jour au lendemain. »
« Pour que ce plan soit couronné de succès, avance de son côté François Claude Cholat, président du Snia et DG de la Maison François Cholat, il faudra investir dans de nouvelles variétés et techniques de production, développer des outils de stockage et transformation adaptés, construire des filières économiquement viables, s’engager davantage dans la contractualisation avec les producteurs de matières premières. » Les équipes du négoce rhônalpin sont d’ailleurs en train de retravailler les rations de base chez les éleveurs et les emblavements chez les céréaliers, pour proposer dès cet automne des solutions concrètes en soja, ainsi qu’en lupin. Cholat fait aussi partie des six entreprises de nutrition animale à soutenir la filière du sainfoin en l’incorporant dans ses formulations.
Étoffer la gamme fongicides
Les faiblesses des légumineuses sont en lien avec la petite taille de ce marché qui génère moins de recherches en semences et en protection phytosanitaire, jusqu’à voir des cultures orphelines comme le lupin, où la seule solution contre la mouche des semis a été perdue. Concernant la problématique spécifique de la bruche, les agriculteurs se retrouvent complètement démunis et les acteurs en viennent parfois à s’écharper à propos de la détermination du pourcentage de grains bruchés. Pour Gwénola Riquet, référente lentilles chez Terres Inovia, « à ce stade, il y a une difficulté à voir émerger des solutions satisfaisantes. Il est nécessaire de progresser sur la connaissance du ravageur pour concevoir de nouvelles méthodes de lutte. L’association lentille-cameline semble prometteuse mais ce ne sont que des premiers résultats prospectifs. » David Gouache se veut tout de même positif : « On a en évaluation en ce moment plusieurs solutions de protection fongicide, issues du transfert de l’innovation en céréales, contre les maladies aériennes sur pois et féveroles. On va un peu étoffer la gamme. »
Changer les habitudes alimentaires
« Une des voies pour passer d’une production de niches à une production mainstream serait d’utiliser beaucoup plus les légumineuses en association avec d’autres espèces », maintient Éric Justes, de l’Inrae. Ce qui impose de revoir les chaînes de collecte, de triage et de stockage. « Pour les prairies temporaires semées, elles devraient toujours inclure des légumineuses fourragères dans des proportions plus importantes qu’actuellement », appuie sa collègue Bernadette Julier.
Aussi, il faut viser les marchés premium, comme le soja charté non OGM, qui fournissent une valeur ajoutée pour rendre ces cultures plus compétitives dans le choix des agriculteurs. Proposer des débouchés rentables et durables ne se fera pas sans contractualisation. « On gérera ces légumineuses comme on gère les légumes transformés, avec une contractualisation du début à la fin », appuie Jean-René Menier, agriculteur et président du projet interrégional Leggo.
Selon Alain Larribeau, ancien directeur des filières contractuelles chez Qualisol, « la priorité est de lutter pour avoir un prix suffisamment rémunérateur pour nos agriculteurs, en dépendant moins des cours mondiaux, et donc de convaincre le consommateur d’acheter français dans le cadre de filières vertueuses. » Cela nécessite de travailler la communication, aussi bien en local pour tisser des liens, par exemple en ouvrant les portes des fermes et des entreprises aux futurs consommateurs que sont les scolaires, qu’avec les industriels qui peuvent toucher un large public.
L’objectif étant de changer les habitudes de consommation. Sachant qu’il est recommandé de consommer des légumineuses au moins deux fois par semaine (Programme national nutrition santé), au moins 10 kg/hab/an (Commission Eat-Lancet), soit six fois plus qu’actuellement en France, et de rééquilibrer protéines animales et végétales (50/50 au lieu de 60/40), rappelle Michel Duru, ancien directeur de recherche à l’Inrae. Mais attention, « l’erreur serait de remplacer la viande par des produits ultratransformés, nutritionnellement moins intéressants ».
En revanche, il faut aussi être capable de valoriser la légumineuse pour en faciliter l’usage et la consommation en alimentation humaine, en dehors des surgelés et des conserves (non abordés par le plan protéines). L’entreprise normande Alfalfa propose ainsi pour l’industrie des légumineuses précuites, prêtes en cinq minutes par réhydratation, et sur un tout autre créneau des légumineuses à consommer à l’apéritif (pois chiche crunchy ou lentille crispy). Pas mal de start-up innovent aussi à l’instar de Graine de choc (pâte à tartiner et soupe), C & DAC (desserts), Ramen tes drèches (nouilles), Kedelaï (boulettes enrichies en protéines végétales), Les nouveaux fermiers (substituts à la viande) ou Toomaï (repas et en-cas à croquer) qui compte toucher les non-initiés avec « des produits sympa, bons, décalés ».
En avant la restauration collective
Amertume, astringence, les protéines végétales ne sont pas encore toutes à des niveaux satisfaisants en termes organoleptiques. « Le levier pour le consommateur, c’est le goût, et lui apprendre à avoir du plaisir avec des légumineuses », rappelle pourtant Muriel Gineste, du Cisali.
Conformément à la loi EGalim, la restauration scolaire doit proposer au moins un menu végétarien par semaine. Cette mesure, menée à titre expérimental pour deux ans, met la pression. D’autant plus qu’on part de loin dans ce secteur. La préparation de la légumineuse exige des modalités opératoires différentes de celles de la viande (trempage, cuisson plus longue, fonds de sauce pour la rendre appétissante) et donc une organisation du temps de travail en cuisine.
« Des couleurs ternes, des textures molles, des difficultés à transformer le produit brut en aliment attractif, les légumineuses ne sont pas très sexy, reconnaît Hugo Dereymez, chef de cuisine à Nogaro (Gers). La restauration collective peut être un levier puissant de transition, mais il y a un vrai travail de formation et d’accompagnement, car il n’est pas évident de déconstruire l’assiette et de la recomposer selon les valeurs de l’alimentation durable. C’est aussi aux grands cuisiniers de montrer l’exemple. » Et de regretter que dans les plats de Top chef, on ne voie pas beaucoup de légumineuses…
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