Le nouveau visage des fabricants
Alors que le marché des engrais minéraux est plus ouvert que jamais, les producteurs sont depuis deux ans engagés dans un véritable Monopoly qui redessine le paysage français. Faut-il s'en réjouir ou faut-il le craindre ? Les acteurs nous livrent leur vision et leurs ambitions.
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«Les industriels qui ont fait le choix d'une politique expansionniste semblent gagnants à moyen et long terme », pouvait-on lire en 2010 dans l'étude prospective sur le marché des engrais menée par le cabinet GCL Développement durable pour le compte du ministère de l'Agriculture (1). Aussitôt, on assistait au rachat d'entreprises existantes par des capitaux en provenance de nations qui maîtrisent l'approvisionnement de matières premières, en particulier du gaz naturel.
Ils tombent un à un
L'égyptien OCI a fait le premier pas en 2010 en faisant l'acquisition de DSM Agro. La même année, l'israélien ICL s'est offert Scotts Pro (aujourd'hui Everris). Puis, tout dernièrement, le russe EuroChem a pris pied en Europe en rachetant l'usine ex-BASF d'Anvers, ainsi que le réseau commercial K+S Nitrogen. 2012 a également été marquée par le rachat de Pec-Rhin par l'autrichien Borealis appuyé par l'Emirat d'Abu Dhabi. GPN se retrouve avec une usine en moins, officiellement pour s'affranchir de la copropriété partagée avec BASF. Faut-il y voir un désengagement de Total dans sa filiale engrais ? La question est posée depuis plusieurs années, puisque GPN se retrouve de plus en plus marginalisé sur un marché globalisé. Les rumeurs vont à nouveau bon train avec un rachat qui serait « imminent » au profit d'un pool d'acteurs... « Si la production européenne d'ammonitrate venait à disparaître, alerte Joël Morlet, président de l'Unifa, l'approvisionnement en azote se ferait sous forme d'urée en provenance de régions politiquement instables », et qui pourraient faire la loi sur le marché. « La production locale permet de lisser les fluctuations mondiales, confirme Thierry Genter, directeur du développement chez GPN. La France ne représente même pas 2 % du marché mondial de l'azote. Si on n'avait plus d'industrie, on serait dans les mêmes conditions que le phosphate, où on est à 100 % dépendant, en particulier de l'Afrique du Nord. » Pour l'instant, on n'en est pas encore là. L'urée ne déferle pas sur la France comme certains le préméditaient. Néanmoins, la part de l'approvisionnement du marché français en azote par les usines françaises et européennes (UE-15) tend à se réduire depuis le début des années 2000. Même si en 2011-2012, elle est remontée à 66 %.
« Il nous faut une taxe carbone aux frontières de l'Europe qui permettrait de rétablir une concurrence loyale avec les pays dont la matière première est moins chère », plaide Gilles Poidevin, délégué général de l'Unifa, mettant en exergue les fuites de carbone. Et de fustiger la pression fiscale française. Thierry Genter n'hésite d'ailleurs pas à parodier le slogan du choc pétrolier de 1973 : « En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées... fiscales. » Sans compter « la nouvelle obligation d'achat de quotas de CO2 qui va augmenter les charges de nos entreprises de 10 à 15 % de la valeur ajoutée, alors qu'elles ont baissé leurs émissions de 65 % depuis 1990 ».
Distorsions de concurrence
Une taxe de plusieurs centaines de milliers d'euros par producteur azoté, qui, en plus, est basée sur le chiffre d'affaires et non sur les rejets. Cela pénalise doublement les entreprises européennes qui ont consenti des efforts pour ne presque plus rejeter de protoxyde d'azote par exemple. Par ailleurs, « les gaz de schiste américains sont en train d'arriver sous forme de gaz naturel et même d'engrais azotés, note Gilles Poidevin. On ne porte pas de jugement sur l'atteinte à l'environnement, mais on ne peut pas rester longtemps en France en dehors de cette question ». De ce point de vue, il est clair que tous les industriels ne jouent pas dans la même cour.
DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX
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