Un savoir-faire maîtrisé
La France est le premier pays exportateur de produits phytos dans le monde. Arrêt sur images d'une production de pointe très encadrée.
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D'après le rapport de Phillips McDougall paru en décembre 2012, la France a exporté en valeur, en 2011, 3,3 milliards de dollars de produits phytosanitaires, et importé pour plus de 2 milliards de dollars, ce qui la place en première place au niveau mondial pour les exportations, suivie par l'Allemagne. Entre l'arrivée des matières premières à l'usine de production et l'utilisation au champ par l'agriculteur, le produit phytosanitaire est soumis à une série de procédés, contrôles et analyses, passant souvent d'un continent à un autre. Une fois que la chimie organique lui aura conféré ses propriétés fongicide, insecticide ou herbicide, la matière active sera formulée et conditionnée.
Une quinzaine de sites français
La France compte plus de seize sites de fabrication de produits phytosanitaires de synthèse. Certains sont spécialisés dans la synthèse de matières actives, comme celui de BASF Agri-Production, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime (lire p. 8). D'autres font principalement de la formulation et/ou du conditionnement. A Marle-sur-Serre, dans l'Aisne, Bayer prévoit ainsi de conditionner 36 000 t de produits en 2013, pour 1 700 références différentes (lire p. 10). A Drusenheim (Bas-Rhin), Dow AgroSciences produit des matières actives fongicides et herbicides, et formule ces derniers. Sa production représente 80 % du marché des herbicides EMEA (Europe, Middle-East, Africa) de la firme. Chez Syngenta, à Aigues-Vives (Gard), des herbicides, fongicides et insecticides sont formulés, sous forme liquide. Ils sont destinés principalement à la France, mais aussi à l'Europe de l'Est et centrale, au Moyen-Orient, ou encore à l'Afrique, voire outre-Atlantique : près de 10 % des produits vont hors EMEA, vers l'Amérique du Sud notamment.
Pourquoi tant d'usines sont-elles implantées en France ? La raison est souvent historique. A Aigues-Vives, l'usine date de 1960, et produisait au départ des pompes à insecticides. « Le site avait été retenu en raison de sa proximité avec un canal d'irrigation, des voies de chemin de fer, de l'aéroport de Nîmes, et de sa localisation dans un bassin agricole amené à se développer », raconte Thierry Ozil, responsable de la production du site de 130 personnes. L'usine Bayer, de Marle, a été construite en 1972 sur un ancien dépôt, pour fabriquer un herbicide betterave. « En plein milieu du bassin de consommation », précise Corinne Vanthuyne, responsable logistique.
Les sites sont généralement classés Seveso seuil haut. « C'est lié au stockage des produits, pour les risques d'incendie, explique Céline Thore, responsable QHSE (qualité hygiène sécurité environnement) du site Syngenta d'Aigues-Vives, qui encadre un service de douze personnes. Il n'y a pas de risques technologiques liés à nos processus de formulation. » L'usine possède une station de traitement des effluents, et sa propre équipe de pompiers. Même schéma à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, chez BASF : classé Seveso II, seuil haut, le site possède son propre centre de secours, avec quinze personnes présentes sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
Prévenir les contaminations croisées
L'un des enjeux essentiels est la gestion des contaminations croisées, pour des sites qui doivent souvent jongler avec plusieurs matières actives. Sur le site de Drusenheim de Dow, trois sont produites : deux herbicides, le fluroxypyr et l'haloxyfop, et un fongicide, le quinoxyfen. Chez Dow, les trois molécules sont uniquement fabriquées sur ce site, pour une demande mondiale. « C'est une fabrication très pointue, cela coûterait trop cher de multiplier les lieux de production, analyse Benoît Deprez, demand manager pour l'Europe du Sud. A quelques exceptions près, bien sûr, nous essayons d'avoir des sources uniques de matières actives. Et les quantités qu'il faut ensuite transporter sont faibles : c'est plus simple de déplacer des matières actives, et plus sûr, car elles sont généralement à l'état solide. »
Leur fabrication est complètement séparée, sans partage d'aucun élément. Le site fait aussi de la formulation. « Nous ne formulons à Drusenheim que les herbicides, pour éviter les risques de contamination, relate Benoît Deprez. Au total, nous traitons soixante à soixante-dix formulations différentes. » Une partie est ensuite conditionnée sur place, pour des contenants allant de 0,25 l à 20 l.
Pour garantir la qualité finale du produit, de nombreuses analyses sont effectuées. « Nous réalisons des contrôles tout au long de la chaîne de formulation, relate Thierry Ozil, chez Syngenta. Et à la fin, chaque lot, soit environ tous les 20 m3, une analyse est effectuée : le produit doit répondre à un ensemble de caractéristiques pour être conforme. » « Les matières premières sont contrôlées à leur arrivée, puis d'autres contrôles sont faits sur la chaîne, ce qui nous permet de vérifier le nettoyage de la ligne pour gérer les problèmes de contamination croisée. Enfin, d'autres contrôles sont réalisés à la libération du produit fini », explique Corinne Vanthuyne, chez Bayer, à Marle.
La demande de produits de protection des plantes fluctue selon les pressions des ravageurs, maladies et adventices, qui dépendent elles-mêmes de la météo, difficile à prévoir. Reste à s'adapter. Pour la fabrication de matières actives, « nous avons la souplesse d'un tube fluorescent », illustre Bruno Lorenzi, directeur de l'usine de BASF à Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Pour passer d'une matière active à une autre sur une chaîne de production : « Il faut nettoyer l'atelier, ce qui prend du temps et coûte cher, on préfère donc travailler par campagne. » La chaîne de fabrication est longue, « et même si nous augmentons notre capacité de production, c'est difficile d'avoir accès rapidement à certaines matières premières, qui sont relativement sophistiquées, et pour lesquelles nous sommes dépendants de nos fournisseurs ». En cas de pénurie, « les stocks de matières actives dans les différentes régions du monde sont répartis ». « Les matières actives sont produites en flux poussé, au contraire de la formulation et du conditionnement, qui fonctionnent en flux tiré, selon la demande », estime Corinne Vanthuyne, chez Bayer. Résultat, « les matières actives sont produites toute l'année, sauf pendant les périodes de maintenance, alors que la formulation et le conditionnement sont plus ou moins alignés sur la saisonnalité de la consommation des produits », explique Benoît Deprez chez Dow.
Ouvrir ses portes au grand public
Certaines usines ont choisi de communiquer auprès du grand public, pour expliquer leur métier. « Nous faisons des journées portes ouvertes, cette année pour le Téléthon par exemple, relate Corinne Vanthuyne. Nous avons reçu beaucoup de visites : des écoles, des associations, des clients... » A Aigues-Vives, aussi, Syngenta a choisi d'ouvrir son usine, et en moyenne une à deux visites par mois sont organisées. « En 2011, nous avons reçu quatre cents visiteurs, raconte Céline Thore. Cela permet de dédiaboliser notre activité auprès du grand public. » La firme accueille aussi des distributeurs. « Une vingtaine de personnes de la Scael, coopérative d'Eure-et-Loir, avec ses adhérents, sont venus cette année. Nous avons beaucoup échangé sur la sécurité comportementale, sur nos pratiques. C'est l'occasion de montrer qu'en amont des EPI, il est possible de faire beaucoup de choses. »
A Marle-sur-Serre, Bayer conditionne les produits. Ici sont stockées les matières premières. M. COISNE
De nombreux contrôles qualité sont faits tout au long de la chaîne, ici chez Syngenta, à Aigue-Vives.
La fabrication du fipronil, chez BASF, est automatisée, l'équipe ne rentre que pour effectuer certains réglages.
Syngenta organise des visites de son usine d'Aigues-Vives, comme ici avec des distributeurs et des agriculteurs. PHOTOS FIRMES
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