L'Afrique du Nord à l'offensive
La pression concurrentielle en provenance des pays du Maghreb et du Proche-Orient ne cesse de s'accroître.
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Encore une fois, la production française d'engrais azotés a reculé, la campagne passée, quand bien même le volume d'azote livré augmentait de 12 %. La France n'assure donc plus que 36 % de sa demande en engrais azotés. Parallèlement, pour la première fois, un quart des engrais azotés consommés en France provenait de pays situés en dehors de l'Union européenne. Le deuxième semestre 2010 a vu une augmentation forte et rapide des importations d'engrais azotés simples, sous forme d'urée et de solutions azotées. Certes, des arrêts « techniques » temporaires (qui ont d'ailleurs duré plus longtemps que prévu) de certaines unités industrielles françaises sont intervenus l'année dernière dans l'Hexagone, mais la tendance affichée est bien là.
L'Egypte, fournisseur d'urée n°1 de l'Europe
« Depuis trois ans, le débou ché européen pour les producteurs russes est moins important », indique pourtant Gilles Poidevin, délégué général de l'Unifa. Toutefois, il est nécessaire de rester vigilant sur le front de l'Est. Car après la fin des droits antidumping sur l'urée en 2010, sur la potasse en 2011, cela pourrait être au tour des ammonitrates russes en 2012. Il est en effet possible que ces droits, pour contrer la concurrence déloyale liée au phénomène du « double prix » du gaz, peu cher sur le territoire russe et plus onéreux à l'exportation, ne soient pas renouvelés, ce qui augmenterait la concurrence de la part de la Russie. Mais à l'heure actuelle, l'Europe fait surtout appel aux pays du Maghreb et du Proche-Orient, où la présence d'un gaz naturel peu cher, favorise une production compétitive d'engrais. Ce que confirmait le consultant Bernard Brentnall lors des douzièmes rencontres de l'Afcome, l'association française de commercialisation et de mélange d'engrais, qui se tenaient à Toulouse les 13 et 14 octobre derniers : « L'Europe s'est habituée à augmenter légèrement ses importations d'azote en provenance d'Afrique du Nord. La principale source d'approvisionnement aujourd'hui, ce sont les producteurs du secteur privé égyptien. » Une dépendance pas aussi importante que pour le phosphate, mais tout de même. Ainsi, sur 3,5 Mt d'urée importée en Europe en 2010 (30 % de la consommation), plus de 50 % provenaient d'Egypte et 25 % de Russie. « 55 % des importations européennes d'urée le sont d'Afrique du Nord », confi rme le consultant. En 2010, l'Afrique du Nord a produit 5,8 Mt d'urée (4 % de la production mondiale contre 2 % en 2005) et en a expor té 3,9 Mt (10 % des exports mondiaux contre 5 % en 2005).
L'Algérie dans les starting-blocks
Et de l 'autre côté de la Méditerranée, on compte bien continuer à valoriser les ressources gazières en engrais. Il est par exemple prévu d'ici à 2015, 1,8 Mt de nouvelles capacités d'ammoniac supplémentaires par rapport à 2011 et au moins 5,7 Mt d'urée. 2,2 Mt de nouvelles capacités de production d'urée devraient sortir de terre en Egypte, qui continuera donc à mener la danse au sein des importations européennes, et 3,5 Mt en Algérie (contre quasiment rien aujourd'hui). « L'Egypte et l'Algérie seraient les mieux placées pour desservir les pays européens », commente ainsi Michel Prud'homme, de l'Association internationale des industriels de la fertilisation (Ifa). En Algérie, on dénombre deux projets d'ampleur. L'usine Sorfert, jointventure entre OCI et Sonatrach, devrait être mise en service début 2012 pour produi re à terme 1,3 Mt d'urée et 800 000 t d'ammoniac annuellement. Et surtout, deux unités d'urée, représentant 2,3 Mt, devraient voir le jour du côté de la société Sharkia (jointventure Bahwan/Sonatrach) d'ici à 2013. En Egypte, on note surtout le projet d'1,3 Mt d'urée d'Egyptian Nitrogen (Mopco/Agrium).
statu quo en Europe
A côté de ça, en Europe, après une vague de relance ces derniè res années, aucun projet d'ampleur n'est programmé sur les cinq prochaines années. C'est le statu quo concernant l'offre européenne d'azote. Sans compter la fermeture de capacités qui ne pourront pas s'adapter au paquet EnergieClimat 20132020 imposée par la Commission européenne. Le consultant Integer annonce même la disparition à partir de 2013 d'un quart des unités européennes d'engrais azotés contraintes à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 75 % d'ici 2020 par rapport à 1990. Pour simplifier, en étant forcé d'acheter des quotas CO2, les industriels perdront en moyenne 15 à 20 % de leur valeur ajoutée, une augmentation du prix des engrais étant difficilement imaginable tant la concurrence est rude. Dans l'union européenne, où l'industrie est déjà sous pression avec un prix du gaz le plus élevé du monde, « on va fermer des installations efficientes et transférer la production à l'extérieur de l'Europe dans des capacités qui polluent davantage », se désole d'ailleurs le président de l'Unifa et DG de Yara France, Joël Morlet, dénonçant des fuites de carbone. L'Hexagone doit-il s'attendre pour autant au déferlement d'azote annoncé depuis plusieurs années en provenance d'Afrique du Nord ? Sans doute pas, les usines se construisant en grande majorité pour répondre à la demande asiatique. Ce que confirme Marc Van Doorn, directeur du marketing et des ventes engrais monde chez OCI Nitrogen : « Beaucoup d'urée à destination de la Chine va être produite en Afrique du Nord. » Malgré tout, il est probable que les arrivages d'urée s'amplifient, notamment sur la moitié sud de la France qui représente une porte d'entrée pour l'urée, que le maïs affectionne particulièrement. « Il y aura des évolutions dans les schémas de distribution en France, en Italie et en Espagne », prévient également Marc Van Doorn. Surtout, « avec 600 000 t de capacité mensuelle d'export contre 300 000 t pour les producteurs du pourtour de la mer Noire, l'Afrique du Nord va désormais plus jouer un rôle dans la fixation des cours ».
Certes, l'urée grignote petit à petit des parts de marché en France en bouchant certains trous, mais l'ammonitrate reste, à plus de 50 %, l'engrais azoté préféré des agriculteurs français, l'urée et les solutions azotées assurant le reste. Il n'y a pas, en outre, de projets majeurs de construction d'unités d'ammonitrate en Afrique, très peu consommé de l'autre côté de la Méditerranée. « Les industriels n'investissent pas de peur d'être dépendants des effets saisonniers de la consommation européenne et par crainte d'explosion potentielle due au terrorisme », rappelle Marc Van Doorn.
Enfin, des restrictions d'usage pourraient bien peser à l'avenir en Europe sur l'urée, qui présente une forte volatilisation ammoniacale : obligation d'enfouir l'urée, d'utiliser de l'urée enrobée… Gilles Poidevin se veut rassurant : « Les investissements décidés en France en 2008 vont permettre a priori à la production nationale de reprendre des parts de marché pour cette campagne. » En espérant que l'arrêt pour plusieurs mois de l'unité de fabrication d'ammoniac de GPN à Grand-Quevilly (Seine-Maritime), après un incident intervenu le 29 septembre dernier, ne vienne perturber les plans.
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