Les organiques entre structuration et confusion
En créant Ecofi au niveau européen ou la charte des fertilisants organiques au niveau français, les fabricants se donnent les moyens d'y voir un peu plus clair.
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« C'est le dernier syndicat qui manquait au niveau européen », confie Benoît Planques, directeur des affaires réglementaires chez Italpollina, en évoquant la création en mars dernier d'Ecofi. Cette interprofession européenne des fabricants de fertilisants organiques et organo-minéraux s'est constituée, sous l'impulsion du fabricant italien, « premier metteur en marché européen de fertilisants organiques et de micro-organismes », en lien avec les travaux d'harmonisation des procédures de mise en marché de toutes les matières fertilisantes, biostimulants et supports de culture. Ecofi qui unit actuellement quatorze industriels (la Cas va également rejoindre ce consortium) et couvre déjà environ 60 % du marché européen des fertilisants organiques et organo-minéraux, a été reconnu comme partenaire par la Commission européenne pour participer à ces travaux, laquelle souhaite dans ce cadre échanger avec des industriels regroupés dans des syndicats européens représentatifs. « Cela a fait fortement bouger la perception des fertilisants organiques au niveau de la Commission », se réjouit-il. Alors qu'elle proposait des seuils entre amendements et engrais calculés sur la matière sèche, à 1,5 % pour le N, 0,5 % en P et 0,75 % en K, « on a réussi à les faire remonter respectivement à 2,5, 2 et 2, et en plus sur la matière totale ». Quant aux organo-minéraux, considérés au départ comme un mélange, Ecofi a bon espoir qu'ils deviennent une catégorie à part.
Querelles de chapelles
Une initiative bien sentie à un moment où la Commission européenne souhaite promouvoir l'économie circulaire et s'appuyer sur les fertilisants organiques. Sauf qu'elle a mis au grand jour les dissensions latentes entre les fabricants. En fait, il existait déjà sur ce créneau depuis 2007 Eurofema, dont l'Unifa est partenaire. Comme Angibaud, Ovinalp ou Roullier, Frayssinet est adhérente à la fois à Ecofi et à l'Unifa. Maurice Viel, directeur éthique et réglementation de l'entreprise tarnaise, analyse : « Il y a un historique qui fait scission entre Ecofi, représentant plutôt les fabricants d'organiques du sud de l'Europe, et Eurofema, plutôt ceux du nord, et qui n'ont donc pas forcément la même approche. Eurofema a moins la structuration pour avoir ce rôle qu'à Ecofi de lobbyiste, au bon sens du terme, d'informer les décideurs européens. Après, tous deux souhaitent faire front face aux produits résiduaires dans les fertilisants. C'est sûr qu'une seule voix aurait été préférable pour défendre un même drapeau. » « Philosophiquement, on paraît d'accord sur les grandes lignes, confirme son voisin mazamétain, Jacques Barthès, PDG de Lautier & Cie et vice-président d'Eurofema. Il n'y a pas tellement de divergences, mais c'est un problème d'hommes. L'important est de s'entourer de structures qui suivent bien la réglementation. Tout cela va s'aplanir au fil du temps. » Ce serait mieux !
Initiatives tous azimuts
En tout cas, ces querelles de chapelles n'empêchent pas les fabricants français de développer leur activité. « On est tous à chercher des solutions commerciales pour inciter les distributeurs et les utilisateurs à s'engager précocement », annonce un acteur du marché. Certains choisissent de se diversifier en grandes cultures, d'autres partent sur des produits innovants avec des additifs. Encore faut-il que les distributeurs suivent. Bien souvent, ces derniers n'ont pas assez d'espace pour stocker l'organique ou privilégient le minéral. Italpollina France s'est ainsi employé à mettre en place en région lyonnaise deux plates-formes de stockage d'engrais, chacune d'une capacité de stockage de 5 000 t, en partenariat avec le logisticien Gondrand, qui en est propriétaire.
Raréfaction des marcs
Selon Emmanuel Challet, responsable développement produits, « c'est une façon de gagner en réactivité en faisant face au pic de livraisons concentré entre février et avril pour les cultures spé » sachant que « le transport depuis nos sites de production italiens n'est pas forcément simple ». Le fabricant garantit ainsi à ses partenaires distributeurs un délai de livraison de dix jours. Les Ets Lautier & Cie, qui ont d'ailleurs construit un nouvel entrepôt de stockage misent, quant à eux, sur un nouveau laboratoire flambant neuf pour contrôler précisément les produits en entrée et en sortie. Ils se donnent deux ans de mise au point pour qu'« en fonction des analyses des stocks et des matières, on puisse réguler les doses et arriver à une tolérance de plus ou moins 5 % au lieu de 10 », informe Jacques Barthès. La société projette par la suite de construire une nouvelle usine à horizon 2020, qui pourrait produire 50 t/h de fertilisants au lieu de 15-18 t/h, aujourd'hui, afin de « s'attaquer clairement à l'export, dans un objectif de 40 % de nos ventes ». Ces initiatives sont contrecarrées par les flous qui sont entretenus dans le secteur. D'abord, le taux réduit de TVA pour les fertilisants organiques (précisément ceux utilisables en bio) a davantage « créé de doutes et de tensions que d'opportunités de développement », selon Benoît Planques, président de la Cas. « A priori, contrairement au marché de l'espace vert, cela n'a pas d'impact positif en termes de ventes sur le marché agricole car la TVA est récupérée. » Mais surtout les fabricants craignent d'être privés de matières premières. Alors que « les résidus viticoles issus de la distillation des marcs de raisin sont la matière première la plus utilisée par les fabricants d'engrais ou d'amendements organiques », dixit Benoît Planques, un décret publié au Journal officiel en août modifie la réglementation sur les marcs, qui pourront désormais être éliminés par d'autres voies que la distillation. Avec le risque que les viticulteurs les épandent directement ou méthanisés ou compostés. « En plus, l'alcool présent dans ce produit a un effet négatif sur la faune et la flore. » Cette nouvelle intervient alors que le secteur organique a déjà subi la raréfaction des farines de plume, riches en azote. Quoi qu'il en soit, les organiques risquent de vivre une campagne compliquée, étant donné l'état des trésoreries des exploitations.
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