Suppression des néonicotinoïdes en traitement de semences, volonté de réduire le recours à la chimie, nécessité d'offrir de nouveaux services aux agriculteurs, les semenciers investissent dans de nouvelles pistes.
L'interdiction des néonicotinoïdes en traitement de semences à partir de cette campagne marque un grand tournant pour les semenciers.
Les entreprises cherchent aussi à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires dans leurs usines ou dans l'enrobage des semences, et souhaitent proposer, à côté de la génétique, une offre inédite aux distributeurs et aux agriculteurs. La recherche de nouvelles pistes, engagée depuis plusieurs années, commence à se concrétiser avec l'introduction dans l'enrobage des semences d'engrais starters, de biostimulants, de mycorhizes ou, pourquoi pas, de produits de biocontrôle.
Pioneer avec son Premium, Semences de France avec son SemBoost, Caussade semences avec ses Resid et CS-Biostim-01, et RAGT semences (lire ci-contre), par exemple, ont fait le pas en maïs. En fourragères, Schweizer a lancé une solution Hydro composée de potassium, phosphore, fer et d'un piégeur d'humidité. De même, Saatbau propose une gamme de soja pré-inoculé Fix Fertig.
La conservation des semences fait aussi l'objet d'innovations. Saaten Union Recherche, aujourd'hui Asur Plant Breeding, a lancé en 2015 le procédé Safet'Hy de conservation sous vide dans des big-bags. Le groupe Poujaud, avec sa filiale Nox, a développé une technologie similaire (lire ci-contre). Si l'on a vu apparaître dans les usines de production de semences des systèmes d'aspiration des poussières, ou des trieurs optiques, c'est aujourd'hui à des technologies nouvelles que des établissements producteurs s'intéressent, comme le traitement thermique chez Epilor (voir encadré ci-dessous). Même si le contexte est un peu plus compliqué, les semenciers continuent à innover.
Epilor investit dans le traitement thermique
«Notre nouvelle machine pour traiter les semences sera installée en avril, puis nous procéderons avec la société ThermoSeed Global à des phases de test pendant trois semaines », précise Céline Canet, directrice d'exploitation d'Epilor. Filiale des trois coopératives lorraines, Lorca, la Cal et le GPB, la station de semences investit 1,5 M€ pour acquérir ce process. « La montée en puissance sera progressive, explique la directrice. Nous traiterons d'abord 5 % des semences, qui seront disponibles à l'automne 2019. »
Cette machine sera unique en France pour les céréales (1). Construite par Ventilex, elle a été conçue par une société suédoise, ThermoSeed Global (TSG), qui en possède le brevet. Le procédé repose sur un traitement thermique qui permet de désinfecter, désinsectiser, supprimer les champignons. Mais secret industriel oblige, les paramètres température/hygrométrie utilisés ne sont pas communiqués.
Epilor est confronté depuis plusieurs années à une baisse de son activité. « Pour des raisons historiques, déjà, souligne la directrice, en Moselle, 70 % des semences sont d'origine fermière, un ratio qui va en diminuant à mesure qu'on va vers la Champagne. Avec la baisse du prix des céréales, c'est encore plus tendu... Notre activité est passée de 170 000 quintaux en 2012, à 110 000 en 2017. Avec ce process original, nous espérons conquérir de nouvelles parts de marché via Semences de France, pour lequel nous travaillons également. Nous aurons une image "écoresponsable", puisque nous aurons de moins en moins recours aux fongicides et pourrons ainsi vendre de la valeur et non du volume. Un label spécifique avec les fermes Dephy et les filières de transformation (meuneries, brasseries) pourrait être créé. Nous nous positionnerons aussi sur le marché du bio, en plein essor en Lorraine. »
Dans un premier temps, seules les semences de céréales à paille seront traitées avec la nouvelle machine. Epilor envisage de l'utiliser par la suite sur pois, une manipulation plus complexe, la graine de ce dernier étant très fragile.
Dominique Péronne
Avec Nox, le sous-vide pour conserver les semences
«L'idée de conserver des semences sous vide nous est venue il y a trois ans, explique Pierre Poujaud, responsable développement chez Nox, la filiale du Groupe Poujaud spécialisée dans le stockage. L'Inra a beaucoup travaillé sur ce procédé et nous avions des lots de semences à conserver. Cette technique permet une parfaite protection des graines et des semences contre tous types d'insectes, sans avoir recours à la chaîne du froid, et surtout sans utiliser de traitement chimique. »
Une fois le process mis au point et maîtrisé, la jeune entreprise a tout simplement décidé de le proposer à d'autres semenciers ou d'autres entreprises, et le commercialise donc depuis un an. Quatre ou cinq semenciers s'en sont déjà équipés.
« La technologie consiste à stocker les semences dans un big-bag doublé d'un liner hermétique et équipé d'une valve d'aspiration, explique-t-il. Une fois le big-bag rempli et scellé, un simple aspirateur permet de créer un vide partiel. L'air extrait est remplacé par un volume équivalent de CO2. Les insectes meurent et les grains sont protégés contre l'humidité. » D'après les suivis qualité de Nox, les semences gardent quasiment le taux de germination qu'elles avaient au moment du stockage, et ce pendant plusieurs années. « Cette technique ne réclame aucun investissement lourd ni coûteux, souligne Pierre Poujaud. Hormis l'équipement de départ, le coût du stockage revient en gros à celui de la sacherie, environ 40 € par big-bag de 1,5 m3, soit 1 à 1,3 t, selon la graine. Et les big-bags peuvent être réutilisés plusieurs fois. Le procédé est aussi adapté aux lignes automatiques avec une soufflerie pour formater le liner. » Les big-bags sont faciles à manipuler et correspondent aux standards de manutention des sites industriels.« Le procédé Nox est adapté aux semences, mais pas seulement, précise-t-il. Il est aussi commercialisé pour le stockage des graines ou de toutes sortes d'autres produits, notamment en production bio, en minoterie ou en malterie. »
Quand les biostimulants entrent dans l'univers de la semence
«Nous nous intéressons à l'utilisation de biostimulants dans l'enrobage des semences depuis cinq ans sur maïs et, après plusieurs années de validation, nous l'avons lancée commercialement pour les semis 2018, explique Dominique Dauga, directeur de Business Unit Hybrides chez RAGT. Nous y travaillons également sur tournesol, colza et sorgho. » Il s'agit de produits d'origine biologique, micro-organismes et extraits naturels, substances humiques, acides aminés, hormones... mais aussi de substances chimiques ou minérales.
« Le premier produit que nous avons lancé sur maïs, Fortify Phosphorus, est composé de plusieurs substances minérales combinées, indique-t-il. Notre objectif est d'identifier des solutions qui améliorent la vigueur, sécurisent la levée et renforcent la résistance des plantes aux stress (froid, hydrique...). Leur application doit se traduire par un effet visuel, mais aussi par un plus sur le rendement, quelles que soient les conditions ou dans certaines situations, par exemple en cas de semis précoces. Leur effet s'explique en général par une meilleure alimentation et une meilleure exploration par les racines. »
Ce sont les fournisseurs, Agronutrition ou Valagro par exemple, qui assurent le volet homologation ou demandes d'autorisation du dossier. « Nous sommes en train de finaliser l'étude d'un biostimulant associé au Force 20CS dans l'enrobage du maïs pour les semis 2019 », précise Dominique Dauga.
RAGT regarde aussi de près ce que les produits de biocontrôle en protection des semences pourraient apporter contre les maladies et les insectes. De même, le semencier a testé la technique de prégermination des semences sur maïs comme elle est pratiquée en betteraves, sans que cela semble très concluant pour le moment.
En 2018, Fortify Phosphorus a représenté 5 % des ventes de semences de maïs en Europe de RAGT, avec une proportion un peu plus élevée en Ukraine et en Allemagne. « La part des semences Fortify devrait au moins doubler en 2019 », estime Dominique Dauga. Le coût pour l'agriculteur, 10 €/dose de maïs.