Les fabricants pris dans un nouveau cycle
L'année 2013 semble amorcer une rupture par le décrochage des prix et un ralentissement des investissements dans le monde. En France, la recomposition du paysage industriel se poursuit. L'année 2014 verra l'entrée en vigueurdu cinquième programme d'actions de la directive nitrates.
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«La demande mondiale en engrais d'ici à 2017 va augmenter de 1,8 % par an, soulignait Patrick Heffer, directeur du service agricole à l'Ifa, l'association internationale de l'industrie de la fertilisation, lors des13es rencontres internationales de l'Afcome, l'Association française de commercialisation et de mélange d'engrais, qui ont eu lieu à Beaune (Côte-d'Or), les 24 et 25 octobre dernier. Cela représente des taux de croissance de consommation de fertilisants plus faibles que dans les décennies précédentes », notamment en azote (+ 1,5 % par an) et en phosphore (+ 1,9 % par an). Les utilisations de potasse restent solides en revanche (+ 3 % par an). « En particulier, on n'aura plus d'augmentation de la consommation d'engrais azotés en Chine, qui devient de plus en plus un marché mature. Il ne serait pas étonnant que ce soit le cas aussi en Inde à la fin de la décennie. » Et pourtant, les usines d'engrais ou les sites d'extraction continuent de se développer à travers le monde. L'augmentation des capacités de production entre 2012 et 2017 pourrait atteindre 20 % (30 % dans l'extraction des sels de potassium, 19 % dans les engrais azotés et 17 % dans les phosphates et l'acide phosphorique).
Des projets de construction en suspens
Entre 2010 et 2017, l'Ifa a recensé 225 nouvelles unités ou projets d'expansion supplémentaires ainsi que 20 sites d'extraction de roche, pour un potentiel total de 166 Mt de produits supplémentaires. « Sur la base des coûts actuels à consentir pour ouvrir de nouvelles mines ou sites de production, cela représenterait 150 millions de dollars à investir entre 2012 et 2017 », fait savoir l'Unifa. Pas sûr que les investisseurs, échaudés par la baisse des cours et la crainte de surcapacités à moyen terme, mettent la main à la poche. « La moitié des projets font l'objet d'ores et déjà de retards allant de trois mois à trois ans, nous révisons régulièrement à la baisse nos prévisions d'augmentations de capacités », observe Patrick Heffer. Seule l'Amérique du Nord, qui bénéficie d'un prix du gaz très compétitif lié à l'exploitation du gaz de schiste, pourrait sortir du lot. Le continent pourrait commencer d'ici une dizaine d'années à exporter massivement des engrais azotés américains produits à partir d'ammoniac bon marché, notamment vers l'Europe, prise en étau entre le gaz de schiste américain à l'ouest et le gaz naturel peu cher d'Afrique du Nord et de Russie (lire p. 48). Et encore, le flou persiste, car s'il est clair que les gaz de schistes vont bouleverser le secteur, on ne sait pas encore vraiment quand et de quelle manière. Delaney Ross, présidente de l'association des distributeurs canadiens, pense à une augmentation réaliste des capacités en Amérique du Nord de 3,5 Mt d'azote d'ici à 2018, alors que 8 Mt de projets ont été déclarés. Mais la chute des cours de l'azote et le ralentissement de son marché font hésiter certains investisseurs, même des leaders. Car, au niveau mondial, l'offre dépasse la demande depuis plusieurs années maintenant. Du coup, les stocks d'engrais azotés, notamment l'urée et la solution azotée se sont retrouvés abondants cette année, ce qui a tiré tous les engrais vers le bas.
Retournement de marché
« En France, entre février et fin septembre, l'urée départ port a perdu 130 €/t », signale Sylvain Mégrier, spécialiste du marché des engrais chez Offre & demande agricole. Après avoir résisté, l'ammonitrate a suivi mais pas suffisamment. « Il y a près de 20 centimes d'euros de différence à l'unité, c'est beaucoup, il va falloir réviser le prix à la baisse. » D'autant que la parité euro/dollar, avec un renforcement conséquent de l'euro, depuis cet été, est aujourd'hui nettement en faveur des importations. Concernant la potasse, la rupture des relations entre le producteur russe Uralkali et le biélorusse Belaruskali, qui représentaient à eux deux, un tiers de la production mondiale, a conduit le premier à fonctionner à plein régime, ce qui a exacerbé la guerre des prix et fait chuter la potasse en Europe de 50 €/t. Le marché du phosphore a suivi cette tendance, d'autant qu'un accord de la sorte aux Etats-Unis (entre PhosChem et Mosaic) pourrait également devenir caduc.
Ces baisses de prix devraient doper les achats des agriculteurs français. Mais jusque-là, ces derniers ont plutôt été attentistes, observant des écarts entre les prix du marché et les prix des distributeurs, qui se sont largement couverts en mai-juin, lorsque la baisse était engagée mais pas terminée. La distribution craint aujourd'hui des stocks d'invendus. « Ce qui risque de se produire, c'est que les demandes vont se faire au même moment, estime Sylvain Mégrier, et les les plannings de production vont vite se charger, ce qui laissera moins de latitude à la négociation. Si cela se passe ainsi, les mélanges d'engrais pourraient très certainement se révéler compétitifs cette campagne. »
Des livraisons qui démarrent faiblement en 2013-2014
Pour l'instant, les livraisons d'engrais à la distribution sont plutôt molles, et contrastent quelque peu avec la campagne passée. L'azote, dans sa baisse lente et régulière, a en effet esquissé en 2012-2013 un léger regain, même si l'Unifa ne pense pas qu'il y ait eu plus d'azote épandu cette année, les statistiques reflétant plutôt l'état des stocks que les épandages. Selon son agronome, Philippe Eveillard, « le printemps a été froid et pluvieux et les agriculteurs n'ont pas forcé sur l'azote ». Arvalis craint d'ailleurs une remise en cause du fractionnement des apports d'azote et note également une légère tendance à abandonner le troisième apport. Ce qui n'a d'ailleurs pas été favorable aux taux de protéines, qui ont cette année atteint un point bas en blé tendre : 11,2 %. En revanche, la reprise des livraisons de phosphore a été significative (+ 14,5 % en un an). « On assiste à un regain des techniques de localisation d'engrais au semis », explique Philippe Eveillard, qui note une prise de conscience des agriculteurs vis-à-vis d'un élement essentiel pour l'installation des cultures. Les livraisons de potasse se reprennent aussi, mais de manière moins marquée. Les épandages d'amendements minéraux basiques ont eux été largement pénalisés par des conditions climatiques humides du printemps.
DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX
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