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Néonicotinoïdes, le coup de semonce

En 2022, 82 % des surfaces françaises de betteraves ont été emblavées avec des semences traitées NNI.

Nouvelle épreuve pour les producteurs de betteraves : à la veille des semis, la Cour de justice européenne a interdit le recours à une dérogation pour l’emploi en traitement des semences des néonicotinoïdes contre la jaunisse. Toute la filière se mobilise pour éviter l’impasse.

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Comme en 2021 et 2022, la filière betterave attendait patiemment une dérogation pour l’utilisation en traitement de semences des néonicotinoïdes (NNI) pour la troisième et dernière année afin de lutter contre les pucerons, vecteurs de la jaunisse. Le 19 janvier, la Cour de justice de l’Union européenne en a jugé autrement. À la suite d’une demande d’une association belge, elle a décidé d’interdire toute dérogation sur les décisions prises en matière de NNI, quel que soit l’État membre et ce, dès cette année. Dans la foulée, l’État français a immédiatement décliné cette nouvelle règle alors que les producteurs se trouvaient à un mois et demi des semis et qu’en 2022, 82 % des surfaces françaises de betteraves avaient été ensemencées avec des semences traitées NNI. Abasourdie par cette décision, la CGB (Confédération générale des producteurs de betteraves) a aussitôt réagi en demandant le soutien du Gouvernement. Aux côtés de la FNSEA et des autres syndicats grandes cultures, elle a aussi mobilisé, le 8 février, 4 000 agriculteurs et surtout 620 tracteurs qui se sont déployés au cœur de Paris.

Un risque pour la filière betterave

Il faut dire que les producteurs de betteraves avaient encore à l’esprit les attaques catastrophiques de jaunisse de 2020. Malgré la pulvérisation d’insecticides foliaires contre les pucerons, elles avaient provoqué une perte moyenne de rendement de 30 % au plan national, et les exploitations les plus touchées avaient perdu jusqu’à 70 % de leur récolte ! Les agriculteurs sont d’autant plus consternés par cette décision que dans d’autres pays européens, et en particulier l’Allemagne, des produits à base de NNI restent autorisés en pulvérisation foliaire. L’Allemagne ne les avait pas interdits, ils ne nécessitaient donc pas de dérogation pour être utilisés. Or l’Europe n’a pas interdit l’emploi des produits, mais le recours par les États membres à des dérogations. « En l’absence d’alternatives efficaces déployables en 2023, qu’elles soient issues ou non du Plan national de recherche et innovation (PNRI), la filière se retrouve au pied du mur, constate Franck Sander, président de la CGB. Sans solutions efficaces, les surfaces risquent de baisser sensiblement. » Au-delà d’un recul des superficies de betteraves, cette décision fait courir un véritable risque à toute la filière. Le programme PNRI, engagé par la filière, et destiné à trouver des solutions alternatives, démarre sa troisième année de recherche et, de l’avis de l’ITB (Institut technique de la betterave), les mesures identifiées ne sont pas encore opérationnelles. Des traitements insecticides foliaires existent bien, mais ne sont pas complètement satisfaisants en cas de fortes attaques et nécessitent parfois de multiples interventions.

« Sans solutions efficaces, les surfaces risquent de baisser sensiblement »

Indemnisation « sans plafond »

Conscient du risque que la fin des NNI faisait courir à la production de betterave en France, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a assuré dès le lendemain de la manifestation, le 9 février, qu’il indemniserait les producteurs « en cas de pertes de rendements liées à la jaunisse en 2023 » sans pour autant donner de précisions sur les modalités d’indemnisation, si ce n’est qu’il s’agirait d’un « dispositif sans plafond, sans franchise ». Il a cependant indiqué qu’il souhaitait « éviter les écueils du processus d’indemnisation lancé en 2020 », où les pertes n’avaient été couvertes qu’en partie, à cause du régime de minimis qui limite à 20 000 € tous les trois ans l’indemnisation que peut recevoir une exploitation. Il a également encouragé les agriculteurs à semer leurs betteraves : « Plantez et assurez la souveraineté alimentaire de la France. »

Les solutions partielles des semenciers

« Nous proposons cette année trois variétés qui présentent une certaine tolérance à la jaunisse, Giono, Curie et Rodin, explique Emmanuel Sterlin, responsable marketing de Deleplanque. C’est une première étape, mais elles ne permettent pas de s’affranchir des traitements insecticides en végétation si des pucerons sont présents. Nous venons également d’inscrire six nouveautés issues d’un programme de sélection spécifique qui vont être testées dans les essais post-inscription cette année, dont Yellowstone, inscrite au catalogue allemand (BSA) avec, pour la première fois en Europe, une reconnaissance officielle de tolérance à la jaunisse. » Ces variétés présentent, selon le semencier, une efficacité plus intéressante contre la jaunisse, un rendement de 85 % en cas de très forte infestation de pucerons, de 90 % en cas d’infestations moyennes. « Ces nouveautés apportent une combinaison de la tolérance à la jaunisse, à la cercosporiose, à la forte pression rhizomanie et aux nématodes, et présentent des résultats probants face aux trois virus (BMYV, BchV et BYV), précise-t-il. Les premières semences de ces nouveautés seront disponibles en 2024. » Même échéance annoncée chez SESVanderhave du Groupe Florimond Desprez : « En 2024, nous pensons proposer des variétés avec un certain niveau de tolérance, c’est-à-dire avec un déficit de productivité de l’ordre de 15 à 20 % en cas de forte attaque de jaunisse par rapport à ces mêmes variétés traitées avec les NNI, indique Alice Lorriaux, responsable marketing chez le semencier. Ce déficit de rendement devrait être très fortement réduit en 2026-2027. Les variétés tolérantes aux nématodes semblent pouvoir profiter des mêmes progrès en tolérance jaunisse que les variétés simple rhizomanie. »

« Les premières variétés présentant un certain niveau de tolérance pour 2024 »

Côté produits phytosanitaires, l’ITB et le ministère de l’Agriculture testent deux nouvelles substances actives, le dimpropyridaz (Axalion), qui pourrait être autorisé en 2024, et le cyantraniliprole (Minecto Gold). Dans le cadre du PNRI, de nombreuses autres pistes sont en cours d’évaluation qui vont des phéromones aux lâchers d’auxiliaires, en passant par les plantes compagnes.

Une boîte à outils pour 2023

Dans l’immédiat, pour la campagne 2023, l’ITB a publié une boîte à outils des techniques qui peuvent être mises en œuvre pour aider les agriculteurs à gérer le risque jaunisse. L’institut technique conseille notamment de détruire toutes les repousses de betteraves, car les virus de la jaunisse peuvent s’y conserver et les pucerons s’y alimenter avant de coloniser les parcelles au printemps. Il va également proposer un prévisionnel de la date d’arrivée de pucerons et du risque d’abondance des pucerons. L’ITB recommande également aux agriculteurs de suivre l’outil d’aide à la décision « Alerte Pucerons », et enfin d’utiliser de « bons aphicides » au bon moment et à la bonne dose, à savoir « les deux seules matières actives en mélange avec de l’huile qui sont, selon l’institut technique, efficaces sur pucerons verts, la flonicamide, produit homologué, et le spirotétramat, produit pour lequel l’ITB demande une dérogation d’usage pour 2023 ».

Au-delà de la fin de la dérogation sur les NNI en betteraves sucrières, c’est « une longue liste des moyens de productions qui est en train progressivement d’être retirée aux agriculteurs », dénoncent les syndicats agricoles grandes cultures (AGPB, AGPM, CGB, Fop et UNPT), se référant notamment aux interdictions annoncées du S-métolachlore et de la benfluraline (lire ci-dessous). Et de poursuivre : « Les pouvoirs publics doivent agir rapidement et avec courage, pour inverser la tendance, avant que la richesse agricole de nos territoires ne soit plus qu’un regrettable souvenir ! »

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