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Ne pas se reposer sur ses lauriers

Blandine Cailliez

Pour rester compétitive et surtout proposer des variétés qui répondent aux attentes très fortes de la société, la filière veut jouer à armes égales avec les pays concurrents.

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La filière semences vient de battre un nouveau record. Son chiffre d’affaires 2018-2019 pointe à un niveau jamais atteint de 3,301 Mds€, en hausse de 2 % par rapport à la campagne précédente. Ce CA est réalisé pour moitié par les ventes en France, pour moitié par les exportations. Année après année, l’export continue à augmenter, avec plusieurs grands fleurons, le maïs, les oléagineux, les pommes de terre et les potagères. Ces bons résultats confortent la place de la France de premier exportateur mondial de semences de grandes cultures.

Limagrain, n° 1 des ventes en France

Sur le marché français, l’évolution est plus mesurée. « En 2018-2019, les ventes de semences sont dans l’ensemble restées stables par rapport à l’exercice précédent, constate Philippe Silhol, chef du service statistique au Gnis. Mais en 2017-2018, comme les années précédentes, ces ventes intégraient le coût des traitements de semences insecticides. Avec l’interdiction des néonicotinoïdes, le CA correspondant au TS a disparu. Si on avait seulement pris en compte la valeur des semences en 2017-2018, le marché français serait à la hausse cette année, notamment en maïs et en céréales à paille. » Ces données moyennes laissent cependant apparaître des variations selon les groupes d’espèces. La betterave sucrière, par exemple, était en recul cette année. Le colza a aussi beaucoup souffert. À noter que le bio prend désormais également toute sa place. « 14 000 ha sont dédiés à la culture de semences bio, soit une hausse de 70 % en deux ans, précise l’UFS, l’Union française des semenciers. 93 espèces et 500 variétés sont multipliées en bio par 81 semenciers et plus de 600 agriculteurs-multiplicateurs. »

Côté entreprises, c’est Limagrain qui arrive en tête des ventes de semences sur le marché français en 2018-2019, loin devant Florimond Desprez et Semences de France, au coude à coude cette année. Pioneer se hisse à la quatrième place devant KWS. On trouve ensuite dans un mouchoir de poche Syngenta, RAGT et Bayer. Dans le top 10 figurent également SESVander­Have, filiale de Florimond Desprez, et Caussade semences. Le classement Agrodistribution a été chamboulé cette année, mais pour une question de périmètre des activités retenues. Jusqu’à présent, à quelques exceptions près, les entreprises communiquaient leurs résultats en distinguant leurs activités semences de grandes cultures et potagères. Cette année, Limagrain a regroupé les CA en France de Limagrain Europe en grandes cultures, et de Vilmorin-HM Clause en potagères. De même, Florimond Desprez a rassemblé l’ensemble de ses activités sur le territoire français, pommes de terre comprises. A contrario, Bayer n’a communiqué que ses activités maïs et oléagineux, alors que les années précédentes, Monsanto y ajoutait les potagères.

Le classement sur le marché français ne reflète pas la hiérarchie mondiale, puisque ce sont trois groupes français qui sont en tête dans l’Hexagone, alors qu’au plan international, Pioneer (Corteva) est sur la première marche du podium, devant Bayer, puis Syngenta. Limagrain arrive à la quatrième place devant les deux groupes allemands, KWS et BASF, classés ex aequo. Paradoxalement, BASF, qui a repris une partie des anciennes activités semences de Bayer, est quasi inexistant sur le marché français. « On voit aussi apparaître dans les dix premiers mondiaux, en plus de Syngenta, un deuxième groupe chinois, Long Ping High Tech, c’est un signe, souligne Céline Ansart, responsable des études économiques et stratégiques chez Unigrains. Mais en parallèle, en France, l’orge de brasserie bénéficie d’un renouveau de la bière qui va profiter à Secobra. On voit aussi apparaître des espèces comme l’épeautre chez des semenciers comme Lemaire Deffontaines… Des créneaux qui vont redonner leurs lettres de noblesse à des obtenteurs de taille plus modeste. »

Concernant l’évolution des entreprises, Caussade semences et Euralis annonçaient en juillet dernier leur projet de se rapprocher. Cette alliance vient d’être validée par les deux conseils d’administration. RAGT, de son côté, a repris Carneau, la filiale semences fourragères du groupe Bioline-Semences de France. Dans le Sud-Est, la coopérative Dauphinoise a rejoint Top Semences. Enfin Deleplanque, qui a changé de dimension en reprenant le sélectionneur allemand Strube, a annoncé en octobre l’élargissement de ses activités aux blé tendre, tournesol, soja et à plusieurs espèces potagères.

Une attente forte de la sélection

Le secteur des semences se porte plutôt bien et, pour réduire la dépendance de la chimie en agriculture, on attend beaucoup de la sélection. Ce qui devrait conforter la filière. Mais attention, dans certains domaines, les productions françaises peuvent perdre en compétitivité à l’image de ce qui s’est passé il y a quelques années pour certaines espèces fourragères. Les importations, même si elles sont très loin des exportations, ont tendance à augmenter. L’accès à la recherche constitue aussi une grosse inquiétude pour les chercheurs et les sélectionneurs. Des scientifiques, comme Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, s’insurgent contre l’écologie politique et le discours sensationnaliste des médias généralistes. « L’édition de gènes comme la technologie Crispr-Cas9 va rendre un service considérable dans le domaine de la santé, de la recherche contre le cancer notamment, et dans l’amélioration des plantes, donc de l’agriculture, indique-t-il. Les chercheurs partout sur la planète s’en sont emparés et ont déjà déposé près de 900 brevets aux États-Unis, pratiquement autant en Chine, contre à peine 200 en Europe, tous pays confondus. » Pour lui, l’édition de gènes ne fait pas partie de la stratégie de nos gouvernements. « Les instituts scientifiques marchent sur des œufs quand ils évoquent ce sujet, reconnaît le directeur de recherche. Aujourd’hui, en France comme en Europe, le financement de la recherche passe par des appels d’offres, programme par programme. Ce sont ces appels d’offres qui orientent la recherche, et il faut être dans le politiquement correct. C’est lamentable. » Alors qu’il y a urgence et qu’on attend beaucoup de la sélection.

« L’enjeu pour l’agriculture, dans les années à venir, est de développer des espèces et des variétés résilientes face aux changements climatiques, de favoriser la diversification des cultures et la biodiversité, de réduire l’usage des produits phytos et des engrais azotés, tout en continuant à nourrir la population française en quantité et en qualité, et en permettant aux agriculteurs de vivre décemment de leur métier », insistait de son côté Christine Cherbut, directrice générale déléguée aux affaires scientifiques de l’Inra, lors du Symposium de bilan des neuf programmes d’investissements d’avenir, en octobre à Paris. « Nous sommes convaincus qu’il y a urgence, et qu’il est quasi irréaliste d’attendre, commente sa collègue Carole Caranta, chef du département amélioration des plantes à l’Inra. On met dix ans à créer une variété résistante, près de quinze, dans une espèce comme la vigne, alors qu’avec l’édition de gènes, quelques mois suffiraient. »

Certains craignent que la réponse génétique par la sélection classique n’arrive trop tard. Pour tenter de sortir du blocage auquel les sélectionneurs doivent faire face depuis plusieurs années, l’UFS poursuit sa mobilisation pour inciter la Commission européenne à aménager sa directive 2001/18 afin de l’adapter aux variétés issues des méthodes récentes d’amélioration des plantes. L’AFBV, Association française de biotechnologie végétale, propose de son côté à la Commission une manière nouvelle d’autoriser ou pas les variétés issues des nouvelles techniques de sélection, comme l’édition de gènes. « Nous lui suggérons de regrouper ces variétés en quatre catégories, selon l’origine du gène nouvellement présent dans leur génome, puis de statuer au cas par cas, si la nouvelle variété doit être exclue de la réglementation OGM ou maintenue, en fonction non plus de la technologie utilisée, mais du bénéfice apporté », explique Georges Freyssinet, président de l’AFBV.

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