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Quand tout le monde s’en mêle

Jean-Michel Nossant

Cette année encore, les produits phytos auront défrayé la chronique et alimenté les débats réglementaires et/ou sociétaux. Si le glyphosate reste l’ennemi public numéro 1, les ZNT ont été au cœur des préoccupations.

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Phytos, pesticides, produits phytosanitaires, phytopharmaceutiques ou de protection des plantes, à chacun son langage mais le sujet est toujours aussi épineux.

L’année 2019 a débuté sur les chapeaux de roues. Depuis le 1er janvier, les particuliers, jardiniers amateurs, ne peuvent plus détenir ou utiliser de produits phytosanitaires, à l’exception de ceux de biocontrôle.

Le 24 janvier, lors d’un débat citoyen à Bourg-de-Péage (Drôme), Emmanuel Macron semblait s’adoucir sur la question du glyphosate. « Je sais qu’il y en a qui voudraient qu’on interdise tout du jour au lendemain. Je vous le dis : ça n’est pas faisable et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans, on ne le fera pas à 100 %, je pense qu’on n’y arrivera pas », avait-il alors concédé. Quelques jours auparavant, le 15 janvier, le tribunal administratif de Lyon avait annulé l’AMM du Roundup Pro 360, avec effet immédiat, jugeant la décision d’autorisation de mise sur le marché de l’Anses de 2017, comme « une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution ». Plus tard, l’objectif d’interdiction du glyphosate a pourtant été réaffirmé pour le 1er janvier 2021, en 2022 pour les cas identifiés comme des impasses.

Reconnaissance pour le Contrat de solutions

Lors du Salon de l’agriculture, le Contrat de solutions, porté par la FNSEA et ses partenaires, a enfin été signé le 25 février par le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. « En étant présent pour signer le préambule, Didier Guillaume reconnaît le bien-fondé de la méthode engagée depuis plus d’un an. Ce n’est plus un face-à-face mais un ensemble pour aller plus vite et plus loin », saluait Éric Thirouin, président du Contrat de solutions. Au-delà d’une simple signature, cela marque l’engagement de l’État, des partenaires du Contrat et de l’Inra, pour la recherche fondamentale, l’identification de solutions, l’accompagnement des agriculteurs, la communication sur les moyens, les résultats obtenus, l’évolution des indicateurs de suivi et au sujet de la gouvernance. Le 9 juillet 2019, le Contrat de solutions s’est d’ailleurs structuré sous la forme d’une association de loi 1901 du même nom. Et en novembre, soit deux ans après l’initiation du Contrat, les membres de son bureau en ont dressé un premier bilan, avec notamment des résultats d’indicateurs de suivi de solutions encourageants. Prochaine étape : le déploiement auprès de tous les agriculteurs. Pour cela, des plans d’actions régionalisés vont être mis en place en 2020, en partant de quatre régions pilotes : le Centre, les Pays de la Loire, la Normandie et Paca. Le Contrat de solutions, dont c’est la troisième version, compte actuellement 69 fiches, chacune correspondant à une solution pratique pour réduire l’usage et l’impact des produits phytosanitaires.

écophyto : un cap difficile à tenir

En avril, place au nouvel écophyto avec sa version 2 +. Après l’avoir soumis à une consultation publique du 20 novembre au 10 décembre 2018, le Gouvernement en a fait la présentation le 10 avril 2019. Et 2 + est loin de signifier 2.0. En effet, les objectifs restent identiques à la précédente version avec une réduction du recours aux produits phytopharmaceutiques en deux temps : de 25 % à l’horizon 2020 et 50 % d’ici 2025. À cette occasion, le Commissariat général au développement durable a réalisé un état des lieux des ventes et des achats de phytos en France depuis 2009, année de lancement du premier plan écophyto. Entre les deux périodes 2009-2010-2011 et 2015-2016-2017, la moyenne triennale de ventes de substances actives a augmenté de 12 % (voir ci-dessus). De 2009 à 2017, la tendance globale est à l’augmentation de tous les types de matières actives : les ventes d’insecticides ont été multipliées par 2,3, celles des fongicides ont crû de 9,4 % et celles des herbicides de 2,5 %. Mais les ventes d’autres produits, dans lesquels sont pris en compte les nématicides, rodenticides, molluscicides ou encore les régulateurs, ont de leur côté diminué de 17 %. En ce qui concerne le glyphosate, cheval de bataille du Gouvernement, les chiffres vont à contresens de ses attentes. Le glyphosate, qui représente 12 % du total des ventes pour la période 2015-2017, est la deuxième matière active la plus vendue en France, et la première pour le segment herbicides depuis 2009. Entre 2014 et 2017, les ventes d’herbicides ont diminué de 2 %. En revanche, si l’on considère les moyennes triennales, les ventes d’herbicides ont grimpé de 9 % entre 2009-2011 et 2015-2017, et c’est encore moins glorieux pour le glyphosate, dont les ventes ont augmenté de 19 % sur cette même période. Tous ces chiffres semblent s’éloigner des objectifs du plan Ecophyto : ne seraient-ils pas trop ambitieux pour le laps de temps imposé ?

La société civile s’est, elle aussi, intéressée à ces ventes de phytos en élaborant des cartes. L’association Générations futures s’est penchée sur les achats de pesticides, mais aussi des ventes de glyphosate, par département en 2017. Le quotidien Le Monde a pour sa part réalisé une carte interactive précisant par commune la consommation des pesticides classés comme étant les plus dangereux pour la santé et l’environnement par l’Anses, à l’aide de l’indicateur Nodu.

Des arrêtés municipaux en pagaille

Nouveauté de 2019, des maires se sont invités dans le débat et prononcés contre les produits phytosanitaires, en prenant des arrêtés municipaux « antipesticides ». La grande majorité de ces arrêtés a été annulée par la justice, au motif que ces décisions allaient au-delà des compétences des maires. Toutefois à la surprise générale, le 8 novembre, le juge des référés du tribunal de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de suspension de deux arrêtés pris par deux communes des Hauts-de-Seine. « Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause », a communiqué le tribunal. Une première ! Il reste toutefois à savoir si le tribunal administratif validera cette décision. Depuis janvier, le Gouvernement planchait sur cette problématique et, le 9 septembre, il a lancé une consultation publique sur l’encadrement des traitements phytosanitaires à proximité des habitations (lire ci-contre). Dans la foulée, le 11 septembre, Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, annonçait une autre consultation publique, cette fois-ci pour l’interdiction de deux substances actives, le sulfoxaflor et le flypyradifurone, suspectées d’avoir un mode d’action similaire à celui des néonicotinoïdes. Ces substances ne sont toutefois pas disponibles sur le marché français.

200 M€ de chiffre d’affaires pour le biocontrôle, cuivre compris

En parallèle de toutes ces turbulences autour des produits phytosanitaires dits « conventionnels », le biocontrôle ne cesse d’étendre son aura en France. Selon les derniers chiffres de l’IBMA, le marché du biocontrôle a atteint un chiffre d’affaires de 170 M€ en 2018 en France, 200 M€ cuivre compris, en augmentation de 24 % par rapport à 2017. Il représentait ainsi 8 % du marché français de la protection des plantes, et 9,5 % en incluant le cuivre. Au sujet du cuivre, son autorisation a été prolongée de sept ans, le 27 novembre 2018, par l’Union européenne. Sa dose d’application autorisée a cependant été abaissée de 6 à 4 kg/ha/an. Il est possible pour les agriculteurs de dépasser cette quantité certaines années s’il y a compensation les autres, pour ne pas dépasser la quantité maximale imposée de 28 kg/ha sur sept ans.

Début 2019, lors de son colloque annuel, l’IBMA a dévoilé les résultats d’une enquête nationale auprès de 542 agriculteurs, toutes cultures, en conventionnel ou en bio, concernant leurs avis et attentes sur le biocontrôle. Le premier point soulevé est le manque de notoriété du biocontrôle, 23 % des agriculteurs déclarant ne jamais en avoir entendu parler, même si 17 % de ces derniers le pratiquent. Après avoir pris connaissance de la définition du biocontrôle, ce sont 44 % des agriculteurs interrogés qui ont déclaré utiliser des produits de biocontrôle, 50 % parmi ceux en agriculture biologique, et plus nombreux en cultures spécialisées avec 84 % en maraîchage. Parmi ceux qui n’en utilisent pas, 20 % annonçaient avec certitude qu’ils en utiliseront dans le futur, présageant un fort potentiel de développement dans les années à venir. Mais plusieurs freins à son déploiement ont été identifiés : son coût trop élevé, le manque d’accompagnement et de formations, le manque d’efficacité, ou du moins de preuves d’efficacité, et le manque de produits. Ce dernier point soulève la problématique des AMM. L’IBMA a pointé du doigt les délais d’homologation des produits de biocontrôle après avoir mené l’enquête auprès de ses membres actifs. Des délais moyens de 17 mois ont été constatés, très loin des délais théoriques fixés au 1er juillet 2015, de 6 mois et de 8 mois en cas de consultation d’un autre État membre. Et pour 41 dossiers, seuls 10 % auraient été traités dans les délais. « Nous sommes conscients que les délais d’instruction sont longs. Ces produits sont soumis aux mêmes exigences d’évaluations que les produits conventionnels, mais nous n’avons pas encore assez de données pour ces solutions », regrettait alors Roger Genet, directeur général de l’Anses.

Haro sur les SDHI

La problématique SDHI est également revenue sur le tapis cette année. Déjà en avril 2018, un collectif de scientifiques alertait sur de potentiels risques sur la santé humaine et l’environnement. Ces fongicides auraient la même action sur l’humain et les animaux que sur les champignons, c’est-à-dire bloquer l’activité de la succinate déshydrogénase, intervenant dans le processus de respiration cellulaire. À la suite de cette alerte, l’Anses a formé un groupe d’experts indépendants afin d’étudier ces potentiels risques. En janvier, les premières conclusions sont tombées : « L’Anses considère que les informations et hypothèses scientifiques apportées par les lanceurs de l’alerte n’apportent pas d’éléments en faveur de l’existence d’une alerte sanitaire qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché actuellement en vigueur conformément aux cadres réglementaires nationaux et européens. » Cet avis scientifique, pourtant réaffirmé par l’Anses en juillet dernier, n’a pas mis fin à cette affaire. En septembre 2019, Fabrice Nicolino, le journaliste à l’origine du mouvement « Nous voulons des coquelicots », publiait une enquête sur les SDHI, relançant ainsi le débat.

Et en novembre, c’est une autre étude scientifique publiée par le CNRS, et relayée par tous les médias, qui est à nouveau venue appuyer l’hypothèse selon laquelle les SDHI seraient toxiques pour les cellules humaines, d’après des expérimentations menées sur des cellules cultivées in vitro. En réponse, l’Anses a tenu à rappeler qu’elle « poursuit ses travaux concernant de potentiels effets de ces substances sur la santé en conditions réelles d’exposition », et que ces nouvelles données seraient prises en compte. Pour le moment, le Gouvernement semble absent du débat. Cependant le 8 novembre, la Commission DAspe (Déontologie et Alertes en santé publique et environnement) a avertit plusieurs ministères que « la situation est constitutive d’une alerte ».

Remise en question de la science

Ainsi, le poids de la science dans les débats et décisions réglementaires semble de moins en moins important. Le cas des ZNT, et des recommandations faites par l’Anses, en est également un exemple. Les avis et recommandations qui découlent des études sont bien souvent remis en question, et parfois même discrédités. Derrière cela, nombreux sont ceux mettant en doute l’indépendance et l’objectivité de ces agences en charge de l’évaluation des substances mises sur le marché. Le 13 mai 2019, l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques présentait ses conclusions sur la question de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des agences, étude lancée début 2018. Résultat : treize propositions sous forme de recommandations pour que ces agences, Efsa, Echa et Anses, retrouvent « le chemin de la confiance ». Mais cela suffira-t-il ?

© Jean-Michel Nossant - Des scientifiques du CNRS, de l’Inserm, de l’Inra et des universitaires appellent à la suspension de l’usage des SDHI dans l’attente de nouvelles études. Ces derniers seraient toxiques pour les cellules humaines et l’écosystème.

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