Trouver le bon régime pour durer
Environnement, bien-être animal, montée en gamme… La nutrition animale française cherche sa place en répondant aux nouvelles demandes de ses clients agriculteurs et de la société. Sans oublier les nouvelles donnes géopolitiques.Par Yanne Boloh
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Globalement stable sur le début de l’année 2019 et en légère progression lors de la campagne 2018-2019 grâce au segment ruminant, la production française d’aliments pour animaux subit de profondes mutations. Dans le concert des nations européennes, sa voix s’affaiblit. Certes, avec ses 20,8 Mt (+ 0,9 % en 2018), l’Hexagone se cramponne à sa troisième place derrière l’Allemagne (23,8 Mt, − 1 %) et l’Espagne (23,7 Mt, + 1,8 %), et ne risque pas trop de se faire rattraper par le quatrième, le Royaume-Uni (16,8 Mt, + 3,3 %) qui, dans tous les cas, devrait quitter l’UE. Mais sur notre segment leader, la volaille, la Pologne talonne la France ; face à nos 8,69 Mt, elle affiche une hausse « insolente » à 7,06 Mt, contre 6,38 Mt en 2017.
La production française d’aliments pour volaille perd des tonnages, malgré la volonté collective des acteurs français de reconquérir des parts de marché sur l’importation. Elle a ainsi régressé de 1,44 % sur douze mois glissants (juin 2018-mai 2019) et, pire, de 2,1 % lors des cinq premiers mois de 2019. Pourtant, la crise de l’influenza aviaire qui a frappé durement les canards du Sud-Ouest deux ans de suite est passée. La Bretagne a ressenti un premier effet de ce retour en grâce. Ses canards maigres et leurs filets avaient pris un peu de place dans les rayons en remplacement des magrets de canards gras du Sud-Ouest qui manquaient, mais ces derniers sont revenus en force. La principale zone de production française affiche d’autres maux et perd quelque 3,7 % en tonnage sur douze mois glissants (juin 2018-mai 2019), constatait Hugues Monge, de Sanders Ouest, le 3 juillet, lors de l’AG de Nutrinoë, l’association des fabricants bretons. La tendance est mauvaise sur le début de l’année avec − 5,4 % fin mai. Les quatre départements souffrent particulièrement de la baisse en dinde (− 6,7 % en Bretagne, contre − 3,7 en France) et en pondeuses (− 2,8 %, contre − 1,05 %). Pour cette dernière, la difficulté du passage aux élevages alternatifs inquiète les professionnels. « Les premières GMS se lancent massivement fin 2019, alors que la production n’est pas prête », explique Hugues Monge, qui craint notamment l’importation.
La peur de l’import
Par ailleurs, Brexit, Ceta, Mercosur… Tous ces grands mouvements géopolitiques sont perçus davantage comme des risques que comme des opportunités. Les fabricants d’aliments affichent leur solidarité avec les éleveurs, comme l’a fait le Snia lors de sa conférence de presse de rentrée, le 28 août.
Le Ceta comme le Mercosur planent aussi telle une menace sur les usines d’aliments de l’Hexagone, comme sur les éleveurs en viande bovine et en aviculture, accentuant la fracture entre les plans de filières, avec leurs exigences de montée en gamme, et le besoin d’une massification garante de compétitivité face aux concurrents intra-européens.
Sans oublier que, en octobre, si le Royaume-Uni choisit de quitter l’UE sans accord, ce débouché qui absorbe 450 000 t de volailles européennes se fermerait, au profit d’importations de pays tiers. Ces volumes devront alors trouver refuge dans les autres pays de l’UE où la France, grande consommatrice, est en mauvaise posture. Elle pourrait donc servir de marché de « dégagement ». Plus de 44 % du poulet consommé dans l’Hexagone est déjà importé et la porte semble grande ouverte.
« Au premier trimestre 2019, nous avons enregistré une baisse de plus de 4 % des volumes d’aliments destinés à la filière volaille. En parallèle, Agreste annonce une augmentation de 6 % des importations de viandes de volaille pour la même période », constatait François Cholat, président du Snia, lors de l’AG du syndicat à Rodez, le 17 mai.
De plus, protégée au moins partiellement par l’étiquetage de l’origine des produits dans les rayons des GMS, la production française peine toujours à être reconnue dans les marchés B to B, restauration et collectivités.
Du côté des autres espèces, les volumes d’aliments pour porc restent loin de l’euphorie, malgré l’augmentation des prix des viandes, soutenue par l’appel d’air créé en Chine, notamment en raison des dégâts causés par la FPA (fièvre porcine africaine) sur les cheptels. Les volumes d’aliments pour porc n’ont encore progressé que de 0,1 % sur les cinq premiers mois de l’année, renversant donc un peu la tendance précédente à la décroissance qui pèsera tout de même sur les résultats de la campagne entière. Et les transformateurs s’inquiètent de la non-répercussion de la hausse de leurs matières premières sur leurs produits finis dans les rayons, ayant ainsi tendance à aller chercher un peu moins cher hors de nos frontières.
La seule réelle embellie est bovine, avec + 3 % sur la campagne et toujours + 1,4 % pour le début de l’année. Toutefois, ce ne sont pas forcément les produits à plus forte valeur ajoutée qui progressent, puisque les mashs affichent + 9,5 % à eux seuls. La baisse est en effet assez sensible dans les minéraux (− 5,9 % en 2018), les blocs à lécher (− 4,14 %) et les aliments liquides (− 3,86 %), selon les données divulguées par l’Afca-Cial, lors de son AG du 28 juin.
Montée en gamme ?
La montée en gamme ouvre incontestablement des marchés, comme le montre le succès du bio en alimentation animale. Même la Bretagne, qui s’y est mis globalement plus tard que les autres régions, dépasse 1,8 % d’aliments bio, alors que les volumes au niveau national flirtent avec les 3 % et devraient atteindre 5 % d’ici cinq ans. Mais la courbe de croissance devrait se heurter à cette asymptote-là.
Le non-OGM, qui représente actuellement 15 % des aliments pour animaux produits en France (lire p. 56), pourrait quant à lui atteindre 47 % d’ici dix ans, selon Terres Univia, puisque l’institut prévoit un triplement de l’alimentation non conventionnelle sur cette période. Cette montée en puissance s’accompagnera d’une progression de la souveraineté protéique, dont l’un des arguments reste l’environnement, puisque consommer local réduit d’autant l’impact des transports de matières premières. Cet axe « environnement » monte clairement dans les préoccupations des entreprises. Lors de l’AG Nutrinoë, qui en avait fait l’une de ses clés d’entrée, il a beaucoup été question de trains et de carburants alternatifs issus de l’agriculture, en sus des actions d’optimisation des flottes de camions. Et lors de l’AG Afca-Cial, les débats portaient notamment sur la mise en place d’indicateurs pour le suivi de l’impact environnemental des aliments.
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