Les blés hybrides retardés
Après des décennies de recherche, les blés hybrides obtenus par la voie génétique vont-ils enfin voir le jour ?
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Depuis deux ans, Syngenta avait déposé dans les essais officiels d’inscription quatre variétés de blé hybride, avec l’espoir d’inscrire les tout premiers en France à l’issue des essais 2021 (lire p. 35). Le semencier a malheureusement été contraint de repousser le lancement de ces premiers hybrides de blé mis au point par la voie génétique en France, car leur rendement dans les expérimentations ne leur permettait pas de franchir la barre de l’inscription. La société vient à nouveau de déposer deux variétés hybrides dans les essais officiels cet automne avec l’espoir, cette fois, de les voir inscrits dans deux ans, donc avec des semences disponibles pour les semis 2024.
De l’hybridation chimique…
Les blés hybrides obtenus par système d’hybridation cytoplasmique, comme pour les orges ou le colza, verront-ils le jour prochainement ? Les recherches sur les blés hybrides ne datent pas d’hier. Après l’obtention de maïs hybride aux États-Unis en 1933 et leur succès dans les plaines américaines, les sélectionneurs outre-Atlantique ont voulu faire de même avec le blé. Le mécanisme d’hybridation a été découvert au milieu des années 1960 et les sélectionneurs américains, en tête desquels Dekalb, ont tenté de l’utiliser pour créer les premiers hybrides de blé. En vain, à l’époque. L’intérêt pour les blés hybrides est revenu au début des années 1980, avec deux programmes de recherche qui faisaient appel, cette fois, à un système d’hybridation par la voie chimique, ceux de Rohm-et-Haas et de Nickerson. C’est cette voie développée par plusieurs semenciers qui a permis le lancement des premiers hybrides de blé cultivés en France. La production de semences, dans ce cas, est assurée à l’aide d’un agent chimique d’hybridation, ou CHA. Les programmes qui ont connu un succès mitigé ont été vendus à plusieurs reprises. Seul le semencier allemand Saaten-Union a persévéré dans cette voie avec son CHA Croisor. Et les blés hybrides obtenus ainsi sont montés jusqu’à 4 % des surfaces françaises de blé en 2013 et 2014. Ils ont reculé depuis pour en représenter aujourd’hui 1 %.
… À l’hybridation cytoplasmique
Depuis une douzaine d’années, les sélectionneurs se sont à nouveau intéressés à l’obtention d’hybrides de blé par la voie génétique. Et aujourd’hui, de Syngenta à BASF, de RAGT et Bayer à KWS, chez Limagrain, Lemaire-Deffontaines et Caussade et aussi Saaten-Union…, jamais autant de moyens, ni d’équipes de sélection n’ont été mobilisés par la recherche sur le sujet.
Fort du lancement de ses orges hybrides, Syngenta a conduit en parallèle un programme en blé, et fait aujourd’hui la course en tête sur ce dossier. Le semencier a lancé en début d’année sa marque de blé hybride X-Terra et a mis en place un réseau d’agriculteurs codéveloppeurs pour être prêt le jour où les premières variétés seront inscrites. BASF, de son côté, s’est lancé dans le blé hybride en reprenant les recherches de Bayer sur le sujet, lorsque ce dernier a racheté Monsanto et a été contraint de céder une partie de ses activités. BASF a aussi annoncé en juin 2021 le nom de sa future gamme de blé hybride, Ideltis, avec l’espoir de lancer ses premières variétés « au milieu de la décennie dans les principales régions productrices, Europe et Amérique du Nord ». Le groupe allemand reconnaît cependant que la production de semences est complexe, « c’est la raison pour laquelle il a fallu du temps pour développer les technologies révolutionnaires qui permettront une commercialisation de grande ampleur à l’avenir », a souligné le professeur Jochen C. Reif, chef du département de recherche sur la sélection à l’institut allemand Leibniz de génétique des plantes, au moment de l’annonce. Le semencier français RAGT, qui a engagé un programme un peu plus récemment, s’est rapproché de Bayer, qui s’intéresse à nouveau à ce dossier. Les deux entreprises (lire p. 34) ont décidé de travailler de concert, pour se donner le maximum de chances de parvenir à des résultats concrets. « La production des hybrides de blé par la voie génétique n’est pas aussi facile qu’en orges », reconnaissait il y a quelques années Limagrain, qui poursuit ses recherches sur le dossier mais de façon plus discrète que ses concurrents. Lemaire-Deffontaines et Caussade, aujourd’hui Lidea, se sont aussi alliés pour lancer un programme de sélection blé hybride, en association avec les sélectionneurs allemand, Berthold Bauer, autrichien, Saatzucht Donau, et polonais, Danko. Ensemble, ils ont créé en 2015 Hyballiance, qui dispose d’une équipe de sélection de deux personnes et demie en Allemagne. « Si la technologie de l’hybridation cytoplasmique est aujourd’hui maîtrisée, l’effet hétérosis a du mal à s’exprimer, reconnaît Philippe Lemaire, directeur général de Lemaire Deffontaines. En parallèle, le progrès sur les lignées continue et les blés hybrides ont du mal à rivaliser avec les meilleures d’entre elles. Notre programme a pris un peu de retard. Nous avions prévu initialement un premier dépôt d’hybrides au CTPS en 2024, ce sera plutôt en 2026. Mais nous persévérons et gardons un optimisme mesuré. »
Première culture au monde
Si les semenciers s’intéressent à ce point au blé hybride, « c’est parce que le blé est la culture alimentaire qui occupe la surface la plus importante dans le monde, souligne Laurent Guerreiro, directeur général de RAGT semences. Au sein de l’Union européenne et du Royaume-Uni, on compte déjà plus de 25 Mha cultivés. » Plus que le rendement, les blés hybrides pourraient apporter une meilleure résistance aux aléas climatiques, aux maladies et aux ravageurs, dans le contexte de changement climatique et de la volonté de l’UE de réduire le recours aux engrais et aux produits phytos. « Au-delà du gain de productivité, on attend surtout des blés hybrides une meilleure résilience de la culture, avance Jean-Marc Bournigal, aujourd’hui directeur général de Semae, mais auparavant à la tête de l’AGPB. Nous verrons si le produit rencontre son marché, mais c’est un dossier qui intéresse les céréaliers. Le blé a l’avantage de bénéficier d’un nombre important de sélectionneurs et d’une mobilisation que l’on ne retrouve pas dans d’autres cultures. Les protéagineux n’ont pas cette chance. »
Et les orges ?
Le maïs et le tournesol hybrides se sont, l’un et l’autre, assez rapidement imposés sur le marché français après leur mise au point. Lancé à la fin des années 1990, le colza hybride a aussi remplacé progressivement les lignées et occupe aujourd’hui pratiquement la totalité des surfaces de colza. Les orges d’hiver hybrides, qui ont été lancées en France en 2008, un peu plus tôt dans d’autres pays européens, prennent un peu plus de temps à séduire les producteurs. « En 2021, on constate une progression des surfaces d’orge hybride avec 70 000 ha cultivés en France, soit environ 6 % des surfaces totales d’orge d’hiver », observe Anne Azam, directrice générale des semences pour la France et l’Europe du Sud chez Syngenta.
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