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L’évènement Stockage d’ammonitrate :indignation générale

Le projet d’abaissement du seuil de déclaration sans concertation provoque l’ire de la profession, qui craint des fermetures de sites ou des mises aux normes coûteuses, ainsi qu’une détérioration du bilan carbone et de l’organisation logistique. Par Renaud Fourreaux

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Depuis l’accident de Beyrouth, le 4 août 2020, les autorités françaises avaient laissé entendre qu’elles souhaitaient regarder de plus près la réglementation relative aux ammonitrates. Une mission relative à la gestion des risques liés à leur présence dans les ports maritimes et fluviaux avait été diligentée, et un rapport rendu en mai 2021, concluant à prohiber les ammonitrates haut dosage en vrac et à favoriser dans la réglementation ICPE les ammonitrates moyen dosage. Puis les choses se sont emballées. Un projet, qui devait sortir dès septembre, a été reporté. Des propositions ont été faites par la distribution (LCA Métiers du grain, FNA, Afcome), mais « les discussions ont été très vite fermées », rapporte Florent Verdier, de LCA Métiers du grain. Résultat : les textes soumis à la consultation publique jusqu’au 15 février sur le site du ministère de la Transition écologique ont paru à l’ensemble de la profession inadmissibles, aberrants, voire malhonnêtes : il n’y a pas eu d’incident majeur depuis la refonte de la réglementation en 2006 consécutive aux accidents d’AZF en 2001 (aux causes mal connues) et d’une exploitation agricole de Saint-Romain-en-Jarez (Loire) en 2003. « Une décision est prise avant toute étude d’impact, et à l’inverse du bon sens », s’insurge la profession unie pour l’occasion. Et d’insister : la situation en France n’a aucun rapport avec l’accident de Beyrouth.

Un coup de semonce pour les big bags

Dans le détail, un projet de décret porte sur la modification de la rubrique 4702 de la nomenclature des installations classées pour l’environnement (ICPE) en abaissant à 150 t le seuil de déclaration proposé pour les ammonitrates haut dosage, supérieurs à 28 % d’azote, tous conditionnements confondus (vrac et big bags), contre 250 t de vrac ou 500 t de big bags actuellement. Le projet d’arrêté spécifie, lui, les délais pour faire les mises aux normes. Si l’estocade semblait inévitable pour le vrac, c’est un coup de semonce pour les big bags, alors que cette pratique qui se développe est réputée plus sécuritaire. Autre effet collatéral de cette nouvelle offensive réglementaire : comme le projet touche l’ensemble des engrais répondant aux critères de la catégorie 4702-II, il inclut également les ammonitrates moyen dosage soufrés. « C’est un séisme. Je ne sais pas si les gens se rendent compte de la gravité de la chose », interpelle un acteur du secteur.

30 à 50 % des sites concernés

« Rien que sur le plan logistique, 30 à 50 % des sites de stockage de proximité pourraient fermer », s’alarme la profession. En tout cas, pour être plus précis, ils basculeraient de fait dans le régime de déclaration (avec contrôles). Cela signifie que les dépôts concernés devront faire l’objet d’un état des lieux pour évaluer les aménagements à réaliser (par exemple créer un réseau d’évacuation des eaux pluviales, un dispositif de rétention, investir dans une détection incendie, etc.). La fermeture sera envisagée lorsque la mise en conformité sera jugée trop onéreuse, ce qui peut être assez fréquent dans le cas de bâtiments vieillissants. Relever du régime de déclarations avec contrôles nécessite également de s’identifier auprès de la préfecture et, tous les cinq ans, payer un organisme agréé qui vient vérifier si les prescriptions sont bien suivies. « Cela place le site sous le radar de la Dreal », indique un observateur. Mais pour les sites où il sera décidé de rester inférieur à 150 t de stockage (à l’instant t), cela aura pour conséquences d’engendrer un flux de camions soutenu, plus de trafic, plus de manipulation et une optimisation des plannings de réception et de livraisons. « Ce serait une complexification logistique considérable », résume François Gibon, délégué général de la FNA, alors qu’il n’est déjà pas toujours aisé, et on le voit bien cette année, de livrer les agriculteurs correctement, et que ces derniers n’achètent pas les engrais en continu.

« La principale conséquence pourrait être que la distribution classique à plus ou moins brève échéance soit zappée du circuit logistique », estime de son côté Thierry Corlay, directeur marché nutrition des plantes d’Impaact. Au lieu d’être stockées dans un lieu dédié, les quantités seront disséminées chez les agriculteurs directement depuis l’usine, multipliant les points de stockage, ce qui n’est pas le mieux pour la sécurité. Au niveau du réseau Impaact, qui compte entre 180 et 200 sites de stockage d’engrais, autour de 150 sont concernés, évalue-t-il. Et « très peu feront les investissements nécessaires ».

« À noter que ce projet imposerait aussi un seuil déclaratif coûteux pour certaines exploitations agricoles très dimensionnées, signale de son côté Xavier Bernard, président du groupe Bernard et d’Actura. La proportion de ces dernières n’est pas significative en Auvergne-Rhône-Alpes, mais elle l’est dans d’autres régions. »

CAN 27 : 24 % de logistique en plus

Ce projet est de toute manière un coup dur pour l’ammonitrate 33,5, l’engrais azoté le plus plébiscité par les agriculteurs français, de surcroît généralement made in France. La consommation française d’ammonitrates haut dosage est d’environ 1,5 Mt, et de 1 Mt pour le moyen dosage (CAN 27), qui, lui, est en très grande partie importé. L’Unifa alerte sur « une plus grande dépendance de la ferme France à des produits d’importation plus émissifs en ammoniac » et « in fine la fermeture inévitable d’usines sur le sol français ». Car si le ministère de la Transition écologique a laissé entendre qu’il allait examiner dans quelle mesure les filières avaient besoin d’un accompagnement pour passer du haut au moyen dosage, « les industriels préféreront probablement fermer leurs usines françaises plutôt que de les adapter, car les investissements seront trop coûteux, estime Thierry Corlay, ce qui remettrait en cause notre indépendance et notre souveraineté alimentaire ».

« Un bilan carbone catastrophique »

« En outre, remplacer arbitrairement l’ammo 33,5 % par du CAN 27, ajoute-t-il, c’est + 24 % de camions sur les routes, + 24 % de capacité de stockage, + 24 % de tours d’épandeurs de tracteur. Bref : 24 % de logistique en plus, avec un produit de surcroît importé : un bilan carbone catastrophique. » Sachant que, avertit Pascal Ramondenc, DG d’Axso, dans un commentaire à la consultation publique, « sous une ligne La Rochelle - Lyon, l’ammonitrate 33,5 n’est pas substituable par de la CAN 27 qui se dégrade fortement l’été. Il serait impossible d’anticiper les volumes livrés en morte-saison et de tout gérer logistiquement à partir de septembre-octobre. La seule solution de substitution à l’ammonitrate 33,5 serait alors l’urée, beaucoup plus volatile. »

Les 139 commentaires recueillis lors de la consultation publique, le lobbying et l’imminence du Sia en période préélectorale auront sans doute eu un effet puisque le CSPRT (Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques) n’a finalement pas examiné les textes le 22 février comme prévu initialement. Cela peut-il laisser entrevoir un report (au moins après les élections), une ouverture (au moins sur la partie big bags), voire une suspension du projet ? Car l’idée de départ était de publier les textes courant mars ou avril pour une entrée en vigueur au 1er août et une mise progressive en conformité, même si la plupart des mises aux normes devra se faire en moins d’un an.

Pour l’instant, les professionnels se garderont bien de crier victoire, même s’ils peuvent se satisfaire de la bonne mobilisation lors de cette consultation. Seule voix dissonante, celle des associations écologistes à l’instar des Robins des bois pour qui « toutes les installations, stockant de manière permanente ou saisonnière plus de 10 t, devraient être soumises au régime de la déclaration et qu’au-delà de 40 à 50 t, les installations devraient être soumises à autorisation ». Comme quoi cette initiative ne fait que des mécontents. Pas ce qui se fait de mieux à l’approche des échéances électorales.

© Cédric FAIMALI - Si la modification de la nomenclature est actée avant les élections, un dépôt de big bags sera soumis à déclaration avec contrôles dès 150 t de stockage contre 500 t actuellement, et ceci à compter du 1er août.

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