Entretien avec Éric Foucault, directeur général d’Arterris, et Jean-François Naudi, président « Mutualiser l’aval plutôt que fusionner »
Le groupe coopératif Arterris a présenté, lundi 15 décembre, les résultats de l’année avec un Ebitda de 19 M€, un résultat d’exploitation à l’équilibre et un résultat net de -14,77 M€ (à comparer aux 28,8 M€ de déficit sur l’exercice 2023-2024). En mai dernier, l’entreprise a accueilli un nouveau directeur général, Éric Foucault. Ce natif d’Albi est issu du cabinet de managers Prospheres, pour lequel il a dirigé des entreprises en transformation (Pimkie lors d’un Plan de sauvegarde de l’emploi, Chapitre…). Pour le compte de Prospheres, il a également conseillé, avant son arrivée chez Arterris, les dirigeants d’Olga Triballat.
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Éric Foucault : Par rapport à l’année dernière, il y a une inflexion de la courbe grâce à des décisions qui ont été prises, y compris avant même mon arrivée. L’enjeu, c’est d’arriver à confirmer cette tendance à l’amélioration et à faire progresser nettement le résultat d’exploitation à échéance 2027-2028. Il faut arriver à s’adapter dans un contexte très compliqué.
E. F. : L’innovation doit être au cœur de notre stratégie. Mais cette dernière passe aussi par des interrogations sur celles qui, parmi nos activités, sont déficitaires aujourd’hui. Donc comment est-ce qu’on peut en redresser les résultats ? Il s’agit aussi d’essayer d’améliorer encore les résultats des activités bénéficiaires et de répondre aux marchés. Par exemple, on a de très fortes demandes en blé dur, en poulets fermiers et standards, en légumes, et on n’a pas assez de production pour répondre.
Jean-François Naudi : Les coopératives font avec les difficultés et les enjeux qui sont devant elles : il faut arriver à massifier, à saturer les outils les plus performants pour gagner en valeur. Il y a différentes solutions : certaines fusionnent. Chez Arterris, on travaille sur 23 départements et on a 15 000 adhérents. Il faut garder nos identités territoriales parce que, dans notre pays, l’identité territoriale est importante. On a pris une autre option, qui est celle de mutualiser l’aval de nos productions et d’optimiser certains outils. On l’a fait avec Val de Gascogne, en créant Moulins du Sud dans la meunerie. Nous avons fait exactement la même démarche, mais en étant minoritaires, avec Natera sur notre filière palmipède.
E. F. : Je ne vais pas dire que ça va être opportuniste, parce que ce sont des projets mûrement réfléchis. Est-ce qu’il y a d’autres pistes qui peuvent être investiguées aujourd’hui ? Oui, mais en tout cas, c’est prématuré de les évoquer.
E. F. : Le mandat que m’a donné le conseil d’administration, ce n’est pas d’appliquer des méthodes de cost-killer. La mission qui m’a été confiée, c’est d’adapter la coopérative et ses différents métiers dans un environnement qui change beaucoup. Il y a toute la partie changement climatique : on observe des baisses de rendement et on voit que ce qu’on peut apporter en termes techniques, notamment par les intrants, ne permet pas de compenser totalement cette baisse. Il y a tout ce qui touche les épidémies, la partie géopolitique, les évolutions liées à la Pac… Donc il y a des choses sur lesquelles on a prise, et d’autres non, avec des cycles agricoles qui sont quand même assez longs.
J.-.F N. : Si le conseil d’administration s’est tourné vers Éric Foucault, c’est justement parce qu’il a de la méthode pour responsabiliser l’ensemble des salariés et les faire travailler autour d’un projet. Il le dit souvent, ce n’est pas lui qui va faire évoluer Arterris ; c’est l’ensemble des effectifs. Il a fait un gros travail avec l’ensemble des équipes, qu’il a réunies pour expliquer la situation sans déni et dire comment chaque individu était capable d’apporter sa pierre à l’édifice pour faire évoluer la coopérative et répondre aux enjeux. Par ailleurs, on l’a choisi parce qu’on avait besoin de se renforcer en termes d’analyse, de compétences, de structuration de nos business units. Évidemment, il y a aussi les valeurs que porte Éric, qui est quelqu’un de la terre et du coin.
J.-.F N. : Les clauses miroirs, pour nous, ça n’est pas discutable. Ce sont des sujets de fond et c’est pour ça, entre autres, qu’il y a autant d’agriculteurs aujourd’hui dans la rue. Il y a la problématique de la dermatose nodulaire contagieuse, mais elle cristallise la colère agricole par rapport à de nombreux sujets et notamment celui des échanges internationaux, pour lequel on voit bien qu’on est en manque de compétitivité par manque de solutions à la production.
On a une agriculture en France qui est la plus durable et qui est malheureusement l’une des moins rentables au monde. Donc chaque fois qu’on nous met un boulet à la cheville, on fragilise l’agriculture et on enclenche encore un peu plus de déprise agricole. Et plus la déprise agricole avance, plus les outils économiques sont en difficulté, plus on fait effondrer le système.
E. F. : Notre estimation, c’est que les engrais vendus à nos agriculteurs vont probablement se renchérir de 15 à 17 %. Je comprends le sens de cette mesure qui est de réduire l’empreinte carbone de 55 % d’ici 2030 dans l’Union européenne. Le problème, c’est que pour fabriquer les engrais, vous importez des matières premières, notamment de l’urée. Ce qui serait bien, c’est qu’on ait la capacité à en produire suffisamment dans l’UE. Sinon, on va se retrouver avec un surcoût pour nos producteurs et donc sur nos cultures. L’autre question qui se pose est de savoir si on a ensuite la capacité à le répercuter sur les prix de vente. Mais quand vous êtes dans des marchés mondiaux comme le blé, vos compétiteurs sont au Canada ou en Turquie. Eux, ils ne jouent pas forcément avec les mêmes règles. Donc on peut jouer, mais c’est mieux si tout le monde joue avec les mêmes règles. Sinon, on en arrive à la situation que connaît l’Occitanie où 190 000 hectares ont été perdus en grandes cultures entre 2014 et 2024. Et après, on s’étonne que la balance commerciale agroalimentaire soit déficitaire, on s’étonne qu’un poulet sur deux soit importé.
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