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SALIMA TAIBI, enseignante-chercheure et docteure en mathématiques appliquées « Il faut que les entreprises prennent le train en marche »

Docteure en mathématiques appliquées, doublée d’une habilitation à diriger les recherches (HDR) en modélisation mathématique à l’université de Rouen, Salima Taibi est enseignante-chercheure.

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Pour l’enseignante-chercheure en mathématiques appliquées Salima Taibi, l’intelligence artificielle doit « plutôt être perçue comme un super-assistant » qui renforcera le métier de conseiller agricole.

Vous avez créé, au sein d’UniLaSalle, le Master of Science « Agricultural & Food Data Management », effectif depuis la rentrée 2018-2019. Pourquoi ?

Je suis responsable depuis plusieurs années à UniLaSalle de l’équipe Numérique et management. Durant les stages de nos étudiants, nous avons pu observer que de plus en plus de ponts se créent entre la science des données et l’agriculture. Le monde agricole est un grand générateur de données. Et en 2016-2017 explose le big data, qui permet de traiter très rapidement un grand volume de données issues de diverses sources d’information. Pour faire le lien entre informatique et agriculture, nous nous sommes dit qu’il fallait démystifier toutes ces nouvelles technologies, IA classique incluse (machine et deep learning), pour apprendre à s’en servir et créer de nouveaux profils. C’est le rôle de ce master.

Quels sont ces nouveaux métiers ? Et quel rôle y occupe l’humain ?

L’amélioration des technologies, depuis la reconnaissance de formes dans des vidéos ou des photos jusqu’à la génération automatique de textes depuis 2020, entraîne une évolution des métiers. Le domaine de la data s’est ainsi complexifié et les métiers se sont segmentés : le data architecte est celui qui gère la base de données tandis que le data analyst va l’analyser et le data scientist va créer des modèles. Mais le cœur d’activité reste toujours le même : explorer les données à notre disposition pour les croiser entre elles et en sortir des informations. Si la machine est aujourd’hui beaucoup plus rapide que nous, il n’en reste pas moins que les IA ne pensent pas. Elles doivent toujours être alimentées par de nouvelles idées, et ça, c’est le propre de l’humain.

Pensez-vous que des métiers puissent disparaître ?

De tout temps, des métiers ont disparu et d’autres sont apparus. Notre rôle en tant que formateur est de penser les missions des ingénieurs de demain au regard des nouvelles technologies. Les nouveaux outils ne nous ont pas attendus et s’imposent déjà à nous. L’intelligence artificielle ne doit pas nous effrayer mais plutôt être perçue comme un super-assistant qui, utilisé à bon escient, peut grandement nous aider à gagner en valeur et en performance. L’insensibilité de la machine peut s’avérer un atout pour confronter nos biais, comme dans le recrutement. Des étudiants du master avaient mis au point il y a quelques années un algorithme d’aide à l’embauche. Ils s’étaient alors rendu compte que leurs choix humains étaient biaisés par l’affect. La machine peut nous aider à contrer nos biais, mais attention à ne pas lui donner plus de place que ce qu’elle a. Une confiance aveugle serait contreproductive, surtout lorsque nous cherchons un conseil.

Justement, comment pourrait évoluer le métier de conseiller agricole ?

Le conseil devient de plus en plus spécialisé, en raison notamment du changement climatique qui crée des conditions très variables selon les territoires. La prédiction en local reste compliquée à modéliser et donc l’œil du conseiller se révèle encore indispensable. Demain, l’IA, le conseiller et l’agriculteur formeront un triptyque où chacun s’entraidera. L’IA aidera l’agriculteur à gagner en confort, en repérant une maladie sur ses plants à l’aide de photos ou en détectant des comportements anormaux de ses animaux par le son. La diminution de la pénibilité du métier pourra même inciter les jeunes à revenir dans les exploitations. Le conseiller jouera plus que jamais le rôle de formateur en faisant le lien entre l’agriculteur et les nouveaux outils. Il servira aussi de tiers de confiance lors d’une prise de décision. Jusqu’à présent, l’humain continue à préférer le conseil d’un de ses semblables à celui des machines. Donc le conseiller a toute sa place. Enfin, est-ce que les modèles développés sont justes ? À cette question, seul l’humain pourra y répondre. Il y a donc fortement à parier que les conseillers des coopératives et négoces continueront à jouer un rôle important dans les années à venir.

Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter à ces changements ?

Il faut que les entreprises prennent le train en marche et réfléchissent à une stratégie de déploiement du digital. Pour cela, elles doivent s’intéresser à l’IA, tester les nouveaux outils et former leurs équipes. Pour améliorer leur performance, les coopératives et les négoces vont avoir besoin de se baser sur des historiques de données. Car prédire l’avenir suppose de regarder dans le passé. Et il faut bien comprendre que les données suivent un cycle : collecte, stockage, traitement, analyse, sauvegarde, réutilisation puis suppression. Mais toutes ces étapes ne sont pas sans poser certaines difficultés. Accéder aux données historiques n’est pas toujours aisé, tout comme garder la main sur les données stratégiques pose la question de leur stockage, de leur traçabilité et donc de leur cycle. Par conséquent il est recommandé de recruter des profils data qui ont cette compréhension.

Un vaste chantier actuel concerne l’interopérabilité des données. En effet, les données collectées sont parfois incomplètes et donc inexploitables, ou alors elles ont été collectées différemment selon les services. Il faut donc veiller à homogénéiser leur relevé. Une charte de bonnes pratiques peut s’avérer utile. Enfin, les entreprises agricoles ne sont pas spécialisées en intelligence artificielle et n’ont pas vocation à l’être. Travailler main dans la main avec des structures d’intermédiation de données, comme Agdatahub, Agro EDI Europe ou des entreprises du numérique pour développer des solutions est donc une bonne option.

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Intelligence artificielle : comment elle va révolutionner votre métier

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