Le négoce à la une Agrotrade, un modèle guidé par le direct ferme

Apporter de la valeur au produit agricole pour mieux rémunérer l’agriculteur, telle est la mission que s’est donnée Laurent Guédon lorsqu’il fonde en 2009 la SAS Agrotrade, à Saint-Maurice-de-Gourdans (Ain). « À cette époque, le prix des céréales était très faible, ce qui pénalisait sérieusement la trésorerie des exploitations », se remémore-t-il. Lui-même connaît bien le problème puisqu’il y est confronté, sa famille étant installée depuis plusieurs générations sur le secteur. Pour sortir de l’impasse, il décide de repenser le commerce de grains. Sa solution ? « Réduire au maximum les coûts intermédiaires afin d’acheter plus cher les céréales aux producteurs. »

Il monte alors sa société de négoce « sans infrastructure de stockage » et priorise les circuits courts pour optimiser les frais logistiques. Agrotrade achète ainsi céréales et oléagineux à des agriculteurs stockeurs et les revend à des industriels aux débouchés multiples : meunerie, amidonnerie, alimentation animale, etc. L’entreprise se charge de trouver un transporteur, s’assure de la qualité des grains via la réalisation d’audits, et propose ensuite un service « clé en main » aux industriels.

« Notre ambition est que chaque maillon de la filière s’y retrouve : aussi bien l’industriel que l’agriculteur, le transporteur et le négociant », insiste Laurent Guédon. Loin de vouloir « remplacer le système d’appro-collecte traditionnel », le chef d’entreprise dit offrir une alternative aux « 10-15 % d’agriculteurs français susceptibles d’être concernés par son modèle ».

Une diversification géographique

Novateur, ce système a d’abord séduit quelques voisins agriculteurs de Laurent Guédon. Puis le bouche à oreille a fait le reste. Le tout « par téléphone » et sans site internet pendant plus de 15 ans ! Depuis sa création, l’entreprise a réussi le tour de force de « passer de 0 à 500 000 t de grains commercialisées par an ». Près de 70 % de la marchandise est vendue à des industriels français, le reste est exporté vers des pays limitrophes : Suisse, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Espagne.

Fort d’un chiffre d’affaires de 140 M€, Agrotrade déménage à l’automne 2021 au lieu-dit La Girondole, à quelques kilomètres de son lieu de naissance, pour accueillir désormais 35 collaborateurs. La société commerce avec quelque 1 500 clients agriculteurs (SAU comprise entre 500 et 1 000 ha), répartis sur les régions Auvergne-Rhône-Alpes (secteur historique), Bourgogne-Franche-Comté (depuis 2011), Centre-Val de Loire (depuis 2013) et Grand Est.

Cette diversification géographique s’est faite au fil de l’eau pour deux raisons. D’abord pour capter davantage de volumes et alimenter les industriels tout au long de l’année. « En Rhône-Alpes, la production est principalement du maïs. Le blé, l’orge et le colza représentant des petits volumes, il a fallu aller en chercher ailleurs pour alimenter nos clients toute l’année. » Puis pour « réduire notre vulnérabilité face aux aléas météorologiques » via un approvisionnement diversifié. L’agrandissement de la zone de chalandise permet de « générer un business assez linéaire, indépendant de toute saisonnalité ».

Depuis 2016, le négoce développe une activité engrais, qui représente aujourd’hui 15 M€, soit environ 10 % du chiffre d’affaires. La politique d’achat-revente est identique à celle des grains : un approvisionnement en direct auprès des fabricants et des importateurs d’engrais avec une livraison en ferme, assurée par camion.

80 % de clients communs avec Stratagro

L’autre pilier de la stratégie d’Agrotrade est la responsabilisation des agriculteurs. « Chaque producteur doit connaître sa marchandise, sa qualité et le prix auquel il souhaite la vendre pour couvrir ses coûts de production. Notre rôle est ensuite de le renseigner sur la valeur de ses grains sur une période d’exécution donnée, grâce à notre expertise sur les marchés à terme », souligne Laurent Guédon.

Mais pour connaître son prix de vente, encore faut-il avoir établi au préalable une stratégie ! « Or l’augmentation de la taille des exploitations accroît l’incertitude », révèle le directeur d’Agrotrade. C’est pour répondre à ce besoin que Laurent Guédon décide de faire appel à Olivier Julia fin 2019. Une ancienne société de conseil a fermé et laisse alors les agriculteurs dans l’embarras. Olivier Julia accepte la proposition et fonde début 2020 Stratagro, une société de conseil en commercialisation.

Chaque semaine, il analyse, avec son collègue Antoine Mallo, les marchés à terme des céréales et publie un bulletin d’information à destination de ses 300 clients, agriculteurs mais aussi distributeurs. Il propose également des formations sur le fonctionnement des marchés ainsi qu’un conseil personnalisé, individuel ou en groupe. « Nous encourageons nos clients à regarder leur champ comme une entreprise : dois-je produire, et surtout que dois-je produire en fonction des marchés existants ? présente Olivier Julia. L’objectif est de les accompagner dans l’établissement de leur stratégie, puis de les conseiller en fonction de leurs objectifs et des prix du marché. Les échanges en groupe permettent aux exploitants de se sentir moins démunis. Ils sont propices à l’émulation et à la création de synergie pour débloquer des situations. »

Détenue à 80 % par Olivier Julia et 20 % par Laurent Guédon, Stratagro est complémentaire d’Agrotrade. Même philosophie : aider l’agriculteur à être rentable, en trouvant le juste équilibre entre l’achat d’approvisionnement et la vente de céréales. « Le prix de la prestation est calculé de manière à être abordable pour chaque exploitant », précise Olivier Julia.

Stratagro dégage annuellement un chiffre d’affaires de 220 000 € et 80 % de ses clients sont communs avec Agrotrade. Malgré cela, Olivier Julia veille à l’indépendance de sa société : « Le conseil délivré à nos clients est strictement confidentiel. » Pas un mot, donc, aux équipes d’Agrotrade.

Montée en puissance des engrais

Depuis plusieurs années, la société de négoce affiche une croissance constante. Son point fort ? « L’agilité », répond Laurent Guédon. Face à l’agrandissement des exploitations et à la diversification des productions, l’absence de charges « à écraser » offre la possibilité à Agrotrade de capter de nouveaux marchés. L’entreprise a réussi à tirer son épingle du jeu en 2024 en commercialisant 100 000 t de plus qu’en 2023.

Pour la suite, Laurent Guédon est déterminé à continuer sur sa belle lancée. Pour cela, il ambitionne la montée en puissance du commerce des engrais. « C’est une activité que nous avons moins poussée par le passé mais qui se développe : nos clients sont de plus en plus nombreux à faire appel à nous pour s’en procurer. Je ne serais pas surpris si les volumes de la partie approvisionnement venaient à doubler d’ici deux à trois ans », indique-t-il.

Laurent Guédon espère aussi pouvoir relancer prochainement sa filière colza bas GES. Montée en 2020, elle est mise à mal depuis deux ans « en raison d’importations chinoises frauduleuses ». C’est un marché qui a été très prospère pendant trois ans. Preuve à l’appui : « la meilleure année, nous avons reversé près de 2,5 M€ aux agriculteurs », assure le gérant d’Agrotrade. Les industriels développant le bas carbone recherchent des exploitants capables de suivre des cahiers des charges très précis, ce qui demande une traçabilité à toute épreuve des produits agricoles. La simplicité du modèle d’Agrotrade « facilite cette transparence sur le sourcing ».

À présent, Laurent Guédon espère que ce marché reparte afin de continuer à promouvoir le savoir-faire de ses clients auprès des acheteurs, « les bonnes pratiques étant déjà là ». Reste une incertitude : « l’aspect politique de ces marchés », conclut le directeur d’Agrotrade.