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Changer le regard des salariés pour gagner en sécurité au travail Déconstruire les normes sociales

La coopérative meusienne EMC2 déploie des initiatives originales pour bousculer les mauvaises habitudes des salariés et chasser les idées reçues en matière de sécurité.

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Face à un ralentissement de la baisse du nombre d'accident du travail, EMC2 a estimé qu'il était temps d'aller plus loin et de remettre au centre de la problématique le facteur humain. « En France, 92 % des accidents du travail mettent en cause le facteur humain », justifie Laurent Legand, responsable santé-sécurité.

Amener à réfléchir sur les facteurs de risque

La première démarche a été de mettre en place en 2014 une formation « déstabilisante » destinée à tous les salariés du groupe sans exception. Son originalité ? C'est avec l'appui d'un docteur en psychologie comportementale qu'ont été conçues et menées les sessions d'une demi-journée réunissant 30 à 50 salariés. En travaillant par groupe de 5, tous secteurs et niveaux hiérarchiques confondus, il s'agissait de démonter les idées reçues, déconstruire les modèles existants, pour ensuite mieux valoriser les comportements de chacun. L'enjeu de ce séminaire : « Faire comprendre à tout le monde que les enjeux de sécurité ne sont pas une contrainte que la direction impose, mais bien un modèle commun à partager pour assurer sur le long terme la sécurité au sein de l'entreprise, afin que chacun s'y sente bien », explique Laurent Legand, également enseignant-chercheur associé à l'Ensaia et à l'université de Lorraine.

Lors de cette formation, à l'aide d'exemples concrets et de méthodes ludiques, les salariés ont été amenés à réfléchir sur les facteurs de risque. « Au départ, ils sont souvent prompts à chercher un coupable, et au fur et à mesure, ils ont compris qu'un accident était le résultat d'une accumulation de facteurs de risque, parfois insignifiants pris un à un, mais dans la grande majorité liés à l'humain. »

Etre critique vis-à-vis de son propre comportement

« Dans ce cadre, on a travaillé sur la perception de la sécurité, ce qui pouvait pousser les gens à prendre des risques. On a expliqué aux salariés qu'ils pouvaient être, sans s'en rendre compte, victimes de normes qui s'imposent dans l'entreprise. Exemples : celle qui stipule que le bon TC doit toujours décrocher son téléphone, en réunion, en voiture... Dans le même esprit, en élevage, les TC se mettent dans le troupeau, parce que le bon éleveur le fait, et ils ne se posent même pas la question du risque éventuellement qu'il pourrait y avoir. Et cette notion de norme prend le pas sur toute la partie cognitive, sur l'analyse du risque. L'idée est de les faire s'interroger si c'est en accord avec leurs valeurs, leur expliquer qu'ils ont leur libre arbitre et leur montrer qu'il y a chez l'humain une certaine valorisation des comportements à risque. On a travaillé sur le regard des uns sur les autres. Par exemple, le regard des femmes sur les hommes, en leur prouvant qu'en général, elles valorisent un homme qui prend des risques. »

Agir « en parfait ERO » face à la crise céréalière

En dehors de la réalisation de films mettant en valeur des bonnes pratiques chez des salariés ou de « JT de la sécurité » (visibles sur la webTV du groupe), d'autres outils ont été utilisés par la suite tel des ateliers de construction de Lego (lire encadré), un travail sur les illusions d'optique ou l'utilisation de masques de réalité virtuelle « pour montrer comment le cerveau peut facilement être dupé, quitte à inventer sa propre réalité ».

Ainsi, cette façon d'innover en permanence dans la coopérative meusienne s'est retrouvée lors de la dernière récolte. « A la suite de la moisson catastrophique, on a vu des comportements inhabituels des adhérents se développer : agressivité, détresse... Face à cela, 160 salariés ont été sensibilisés sur ce que vivaient les agriculteurs actuellement. On leur a aussi fait connaître et expliquer le triangle de Karpman, qui stipule qu'il ne faut jamais rentrer dans une des attitudes suivantes : persécuteur, sauveur ou victime. Enfin, on leur demande d'agir en parfait ERO : Ecouter (ne pas couper la parole, ne pas dénigrer), Rassurer (dire que l'entreprise se mobilise, prendre au sérieux sans en faire une affaire personnelle) et Orienter. « Orienter, c'est inciter l'agriculteur à se tourner vers des personnes qui ont des solutions. Et cela permet également au salarié de transférer le problème à une personne plus compétente, mieux armée, et de ne pas récupérer le stress de l'agriculteur. C'est peut-être enfoncer des portes ouvertes, mais cette formalisation permet au salarié de savoir sur quoi s'appuyer », développe Laurent Legand. Cette proactivité générale de l'entreprise lui a d'ailleurs récemment valu d'être sollicité par la MSA pour animer une formation auprès des opérateurs du Grand Est. De quoi faire des émules ?

Renaud Fourreaux

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