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Bridgend : quand le conseil privé rêve de séparation totale

Allen Scobie aimerait maintenant que son gouvernement s'inspire à son tour des Français, allant jusqu'à une séparation totale de la vente d'intrants et du conseil.

Au Royaume-Uni, le conseil agronomique privé est bien ancré. Mais aujourd'hui, les entreprises qui le portent, à l'instar de Bridgend, regardent du côté de la France.

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«Votre gouvernement est magnifique », s'exclame Allen Scobie, le fondateur dirigeant de Bridgend, un cabinet de conseil agronomique privé du Royaume-Uni localisé en Écosse. « Séparer le prix du service du produit et obliger le vendeur à être complètement indépendant du conseil aurait dû être fait depuis longtemps dans votre pays », dit en souriant cet homme qui connaît très bien la France. Il ajoute même avec un certain flegme britannique : « Le gouvernement français a dû regarder de l'autre côté de la Manche pour s'inspirer de ces réformes ». Il aimerait maintenant que son gouvernement s'inspire à son tour des Français, pour aller jusqu'à une séparation totale de la vente d'intrants et du conseil.

Les distributeurs anglais en plein doute

Au Royaume-Uni, les grandes réformes des années 1980 de Mme Thatcher, avec l'assèchement financier des organisations de recherche agronomique publique, l'Agricultural Development and Advisory Service (ADAS) en Grande-Bretagne et le Scottish Agricultural College (SAC), et leur privatisation ont ouvert une brèche énorme dans laquelle s'est engouffré le conseil privé. « Fini les conseils agronomiques gratuits, type chambre d'agriculture, qui avait une reconnaissance et une aura très importantes », précise Allen Scobie. Une fois les deux organisations publiques privatisées, elles ont commencé à vendre du service. La part de marché du conseil privé a explosé, allant jusqu'à 60 %, pour se stabiliser aujourd'hui à 50 %.

« Les distributeurs classiques, coopératives et négoces ont tout d'abord menacé les agriculteurs de ne plus leur acheter leurs productions s'ils se tournaient pour leurs besoins de conseils vers des privés, se souvient Allen Scobie. Cela n'a servi à rien, car il y avait pléthore de vendeurs d'intrants et d'acheteurs sur le terrain. » Après une phase de doute, les distributeurs sont repartis de l'avant et ont proposé d'autres stratégies à leurs clients, notamment du « rendu culture », activité d'application de produits compris. Pouvant toujours prétendre vendre des produits avec un service inclus, ils se sont regroupés dans des entreprises plus importantes, dont les deux leaders, Agrii et Hutchison. Mais la grande majorité des petites et moyennes entreprises de distribution, quand elles n'ont pas déposé le bilan, se sont spécialisées soit en vendeur d'intrants pur, soit en spécialiste du métier du grain.

La guerre du conseil a bien lieu

Les acteurs du conseil s'organisent alors. L'AICC, la puissante organisation des conseillers privés, fait du lobby pour « pourquoi pas arriver au même statut qu'en France ». Ce que répète Allen Scobie à chaque agriculteur qu'il croise en dit long sur l'état d'esprit : « Un vieux consultant me disait souvent, laisser le conseil et la vente des intrants aux distributeurs, c'est comme accepter de mettre un renard dans un poulailler ». Pour l'ensemble des conseillers privés, les conflits d'intérêts ne peuvent que naître d'une telle situation. Ils saluent donc en bloc la démarche française. Aujourd'hui, les conseillers privés se font rétribuer pour leurs services entre 6 et 15 £/ha (soit environ 7 à 17 €). « Nous pensons que ce serait une formidable opportunité pour les distributeurs que d'accepter de nous déléguer les conseils agronomiques et la vente d'intrants, estime Allen Scobie. Cela permettrait de recréer de la confiance chez les agriculteurs dans la vente des intrants. »

Côté coops-négoces, pas question de laisser le champ libre aux privés. Ils continuent à proposer des intrants avec le prix des services inclus. Les agriculteurs restent partagés. La vente par internet n'a pas décollé. Il existe bien des sites de vente en ligne mais ils restent marginaux. Parler de fidélité à une entreprise au Royaume-Uni pour un agriculteur semble être une aberration. Plus de 50 % d'entre eux font ainsi appel à des groupements d'achat qui consultent et comparent les prix. Les autres sont aussi très « partageurs ». Conséquence, les marges des produits phytosanitaires se sont effondrées pour les distributeurs.

Phytos : des lobbys forts et pas de volonté politique

Pendant ce temps, les conseillers privés répètent inlassablement au gouvernement britannique que l'utilisation des pesticides pourrait être considérablement réduite si on leur laissait les rênes du conseil. Mais l'agriculture est devenue minoritaire. Le ministère de l'Agriculture, qui s'appelait jusqu'en 2002 le Maff, Ministry for Agriculture, Fisheries and Food, s'intitule désormais Defra, Department of the Environment Food and Rural Affairs. La mention agriculture a donc totalement disparu.

La demande des conseillers privés et le changement qui s'opère en France pourraient enfin rencontrer un écho favorable auprès des politiques anglais. D'autant plus que l'incitation à la baisse de l'utilisation des produits phytos est inscrite au programme IPM (Integrated Pest Management) et revendiquée par la plus importante association écologique anglaise, la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds), qui compte dans ses rangs plus d'un million d'adhérents. « Cela ne se fera sans doute pas prochainement, car nos politiques sont bien trop occupés par le Brexit qui accapare tout leur temps », soupire Allen Scobie.

Christophe Dequidt

Les agriculteurs au Royaume-Uni font confiance à plus de 50 % aux conseillers indépendants.

C. DEQUIDT

Les conseillers indépendants du Royaume-Uni (comme ici, Allen Scobie à droite) sont très proches de ceux des États-Unis avec qui ils échangent beaucoup.

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