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Pourquoi la nouvelle règlementation européenne n’empêchera pas la déforestation

Publié au Journal officiel de l’UE le 9 juin dernier, le règlement 2023/1115 interdit, à partir de fin 2024, la mise en marché (et l’exportation) de certains produits associés à la déforestation et à la conversion des sols. Mais plusieurs intervenants se sont montrés sceptiques sur l’efficacité de ces mesures, lors de la conférence internationale sur le soja qui s’est tenue mi-juin à Vienne, en Autriche.

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1 Une avancée politique

Si la Chine est responsable à elle seule par ses achats de 24 % de la déforestation mondiale selon le WWF, l’UE à 27 n’est pas en reste et arrive en deuxième position (16 %), devant l’Inde (9 %) et les États-Unis (7 %). Très dépendante du commerce mondial, l’Europe ne récolte que 2,2 Mt de soja, soit 8 % de ses besoins, actuellement de 31 Mt (contre 34,4 Mt en 2017).

Et d’après l’ONG Global Forest Watch, 8 % de la production mondiale de soja est réalisée sur des terres déforestées (ou converties) depuis le 31 décembre 2020. Le nouveau règlement européen est ainsi une avancée majeure puisqu’il s’agit du premier texte pour lutter contre la déforestation par le marché, avec l’interdiction de la commercialisation de certains produits qui en sont issus.

2 Les volailles non concernées

Ciblant café, cacao, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf et bois ainsi que leurs produits dérivés (cuir, charbon de bois, papier…), le nouveau règlement oublie non seulement le maïs mais surtout les volailles, pourtant les plus consommatrices de soja : elles avalent 37 % de la production mondiale de soja. Or les coûts de production étant moindres en Amérique du Sud, les flux de volailles nourries sans condition viennent concurrencer l’aviculture européenne, notamment française.

3 Le Cerrado très exposé

Le Brésil, pays de très loin en tête de la déforestation mondiale, est la cible numéro 1 de ce règlement, en particulier l’Amazonie, qui est pourtant relativement protégée par le moratoire sur le soja amazonien, signé en 2006 et renouvelé en 2016. Mais, toute proche, la zone du Cerrado, qui produit près de la moitié du soja brésilien (83 Mt sur 156), est actuellement la plus dégradée et souffre d’une déforestation et de conversions légales. « Le Cerrado est désormais l’un des écosystèmes les plus en danger dans le monde », insiste Guillaume Tessier (WWF Brésil), qui intervenait à la conférence internationale sur le soja, 19 juin, à Vienne.

4 Le « mass balance » non retenu

En outre, pour mesurer son impact, le règlement a retenu la méthode de la traçabilité à la parcelle, qui a pourtant généré des effets pervers pour les filières tracées de soja : l’envolée de la prime non OGM a incité des acteurs historiques à s’en détourner. Mais les ONG sont sceptiques face à la méthode du « mass balance », qui consiste à s’assurer des bonnes pratiques des agriculteurs et du volume précis qu’ils produisent selon ces règles puis à remettre les produits dans les flux généraux tout en faisant payer l’acheteur un peu plus, car elles croient davantage à la force des lois qu’à la certification. C’est pourtant la méthode retenue en France par le Manifeste des fabricants d’aliments du bétail, soutenu par les pouvoirs publics, qui vise un objectif de zéro déforestation importée liée au soja au 1er janvier 2025.

5 La crainte de détournement

Les ONG s’inquiètent enfin du classement des pays exportateurs selon le risque (faible, standard, élevé) de déforestation et de conversion des terres. Ce classement est utilisé pour déterminer la pression des contrôles : de 1 % des volumes importés pour un pays à risque faible jusqu’à 9 % de ceux d’un pays à risque élevé. « Il est à craindre des flux entre les pays à risque élevé vers ceux à risque faible pour au final faire entrer des produits issus de la déforestation par un moyen détourné », estime Ursula Bittner, économiste chez Greenpeace.

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