VOLAILLE DE CHAIR La France peine à se remplumer
L’Hexagone va-t-il réussir à reconquérir des parts de marché perdues en volaille de chair ? Les opérateurs de terrain, coopératives comme privés, disent chercher des bâtiments en poulet standard. Les Belges lorgnent le potentiel des éleveurs du Nord et les Ukrainiens annoncent des méga-projets en Croatie. Le portrait de l’aviculture de l’UE va sûrement changer.
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La volaille française peine à maintenir ses spécificités face à l’augmentation des importations et au resserrement des gammes autour du poulet : nous importons la moitié du poulet que nous consommons. Dindes, cailles, pintades et canards souffrent, tout comme les signes de qualité sur toutes les espèces. Le poulet standard grimpe pour atteindre 72 % du poulet produit en France en 2023, contre 67 % en 2021. Sur ce même laps de temps, les poulets bio régressent de 17 % et les label rouge passent de 15,2 à 13 % du marché ; cette descente en gamme devrait toutefois se ralentir à l’automne, selon plusieurs experts de la filière.
Et, surtout, le monde de l’élevage avicole fourmille d’initiatives pour relancer la rénovation, l’extension et la construction de bâtiments en élevage conventionnel. Selon l’Anvol (interprofession de la volaille), pour reconquérir 20 % des importations d’ici cinq ans, il faudrait au moins créer 80 bâtiments par an. Les opérateurs s’investissent dans ce plan.
Dix bâtiments par an chez Unéal
C’est le cas, par exemple, de la coopérative Unéal, dans les Hauts-de-France. Son organisation de producteurs compte une cinquantaine d’éleveurs pour 100 000 m2 environ, moitié dindes et moitié poulets lourds, dont la rentabilité satisfait les éleveurs. « Pour répondre à la demande des abattoirs proches, nous avons besoin de dix bâtiments de plus tous les ans sur les cinq prochaines années. La coopérative étudie un modèle d’accompagnement significatif avec un fonds de développement pour la construction ou la rénovation de bâtiments », développe François Ryckebusch, directeur des productions animales de la coopérative.
De belles opportunités sont à saisir, alors que les éleveurs belges et néerlandais, à proximité immédiate de la zone, sont contraints à la fois par les obligations environnementales et par l’impossibilité pour eux de répondre en volume aux demandes de nouveaux modes de production, notamment ECC (European Chicken Commitment), qui impose une réduction des densités en élevage. « Un travail collectif en filière est obligatoire pour reconquérir le marché français de la volaille. Il faut aussi créer l’attachement du consommateur à l’origine France dans tous les segments de marché », insiste François Ryckebusch.
Plan de soutien de LDC
Le groupe LDC, auquel d’ailleurs Unéal livre du vif pour son abattoir du nord (Lionor), est quant à lui engagé « dans un plan de soutien à la construction de 150 000 m2 de bâtiments d’ici trois ans dans le Grand Ouest », explique Bruno Mousset, directeur du pôle amont. Son groupement Huttepain aliments soutient ainsi la construction de bâtiments neufs à hauteur de 92 000 € et d’une prime de 5 € par kg de vif sorti en plus durant dix ans. Dans toutes les régions, ce sont désormais les surfaces de production qui manquent en volaille standard : par exemple, la Cavac en voudrait 50, Michel 150 et Terrena 200.
Ce qui n’est pas le cas pour les volailles sous signe de qualité dont la consommation a chuté. Plusieurs filières, comme le poulet de Janzé, réorientent d’ailleurs des bâtiments label vers des productions conventionnelles. Et la Cafel (Loué) a provisionné de quoi soutenir l’arrêt de 200 des quelque 3 000 bâtiments de ses adhérents. « Nous soutenons tout éleveur qui arrête un bâtiment de volailles de chair jusqu’à 12 000 €, auxquels s’ajoutent 8 000 € s’il le démonte afin d’éviter toute construction laissée à l’abandon dans nos campagnes. Nous avons ouvert ce plan pour deux ans, rien ne dit toutefois que nous aurons besoin d’aller au bout », explique Erwan de la Fouchardière, le nouveau directeur de la coopérative. Dans le même temps, il recrute de nouveaux éleveurs de poules pondeuses pour répondre à la demande en œufs label et bio.
14 000 élevages de volaille
Selon les résultats du dernier recensement agricole décennal analysés par l’Itavi, le nombre d’élevages de volailles de chair en France s’élevait exactement à 13 971 en 2020 (dont 5 400 en label rouge et près de 1 100 en bio), en baisse de 17 % par rapport à la dernière enquête de 2010. La moitié d’entre eux se situent dans le nord-ouest de la France.
Les poulaillers français sont aussi quatre à cinq fois plus petits que certains de leurs voisins européens. Et ils veulent être reconnus pour cela, malgré les attaques régulières contre leur taille jugée « industrielle », comme ce fut le cas récemment dans l’Orne. « Ainsi, les fermes importantes en France réunissent en moyenne 64 000 volailles. Elles représentent 6 % des élevages et produisent 28 % de la volaille française, quand, par exemple, en Roumanie, ces grosses fermes concentrent en moyenne 400 000 volailles, soit 0,3 % des élevages, mais produisent 97 % de la production roumaine », chiffre l’Anvol.
Giga projets à l’Est
L’interprofession multiplie de son côté les alertes face aux projets de construction de « giga fermes » envisagés par les Ukrainiens MHP et PCC en Croatie. Ces deux groupes comptent en effet s’installer dans une zone qui a été frappée par un tremblement de terre, il y a quatre ans, et qui cherche à se revitaliser. Au total, leurs deux projets visent à produire 160 millions de poulets par an, en totale intégration de l’aliment à l’abattage. Or, le 11 avril dernier, lors du symposium organisé par l’Enaj (réseau européen des journalistes agricoles) au Parlement européen de Bruxelles, Drazen Curila, représentant du comité avicole de la chambre d’agriculture de Croatie, rappelait que la production croate est actuellement de 45 millions de poulets par an qui couvrent 95 % de la consommation nationale. Ces projets risquent donc de déstabiliser non seulement le marché croate mais aussi celui de l’UE.
Autour de ce paradoxe entre savoir-faire réel et dégradation constatée, le think tank Agridées a réuni un groupe de travail constitué d’experts de la filière durant six mois en 2023 et a restitué ses réflexions sous le titre « Souveraineté alimentaire ? Le cas poulet », le 15 février dernier. « La meilleure façon de contenir et de réduire partiellement les importations consisterait à lancer et soutenir un plan de relance productive, estime Yves Le Morvan, responsable filières et marché chez Agridées. La chaîne alimentaire du poulet, réactivée dans des conditions modernisées, investissements à l’appui, et suivant une trajectoire de durabilité, pourrait relever ce défi. Pour ce faire, elle a besoin de l’appui des pouvoirs publics, y compris pour faciliter le dialogue sociétal induit par le fait productif. Mais aussi afin d’impulser cohérence et loyauté dans le cadrage des échanges internationaux. C’est une question de souveraineté. »
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