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Silos La seconde vie

Résidence de luxe, à Copenhague (Danemark).DROIT D'AUTEUR MVRDV

Tous les silos à grains obsolètes ne sont pas démantelés. Certains résistent à la destruction voire même font l'objet de réhabilitation, portés par la mode du « surcyclage » et la prise de conscience qu'il s'agit d'un patrimoine industriel à sauvegarder. Insolites et osées, ces initiatives restent tout à fait exceptionnelles.

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A voir chaque mois toutes ses inaugurations de silos, on en oublierait qu'il s'en détruit quasiment autant. Le Plan silos insufflé en 2011 a généré en effet des constructions de capacités de stockage, mais forcément aussi des démolitions : des silos qui techniquement ne sont plus à la page et aussi des ouvrages rattrapés par le tissu urbain qui condamne de fait l'extension du site, donc le site. Ce phénomène n'est pas non plus nouveau. Il s'inscrit dans la continuité de la vague de destruction historique enclenchée depuis l'accident de Blaye, en Gironde, en 1997. « Les mesures drastiques, et parfois aberrantes, imposées aux organismes stockeurs (arrêté Voynet) qui en ont émané, ont fait que les investissements pour remettre aux normes n'étaient plus du tout rentables pour des petites structures et qu'il valait mieux repartir sur du neuf », analyse Nicolas Loriette, docteur en histoire de l'architecture industrielle et spécialiste des silos. Le mal est donc fait, la très grande majorité des silos devenus obsolètes a tout simplement été rasée. Tous ? Non. Quelques irréductibles, vendus à des particuliers, des agriculteurs, des promoteurs ou des collectivités, ont réussi à y échapper et s'offrent une seconde vie : un lieu de stockage pour agriculteurs, un atelier d'artisanat, voire même une réhabilitation en espace artistique ou culturel, en logements... « Ces reconversions plus insolites concernent souvent des zones portuaires requalifiées, car en général ce sont des bâtiments remarquables qui s'y prêtent bien, des silos d'expédition (dits cathédrales) assez imposants, et il y est facile d'y faire quelque chose, fait savoir Florent Varin, directeur de Services Coop de France. C'est moins le cas pour des silos en pleine campagne, à volumes réduits, et qui présentent moins d'intérêt architectural. »

Entre rejet et attachement

Le silo en fin de course fait l'objet de sentiments contradictoires. Il continue à captiver artistes, photographes et architectes... Moins les riverains qui, citadins ou ruraux, n'ont souvent pas de liens avec cet édifice qu'ils considèrent au pire comme une source de nuisances, au mieux comme une plaie dans le paysage. Néanmoins, parfois, un fort attachement a pu légitimement se développer envers ces témoins de la richesse de la France en matière de production agricole. Comme cela a été le cas, ailleurs, pour des casernes ou des moulins. Quant aux collecteurs, leurs positions sont très variées, cela dépend de la localisation et du type de silo, de l'histoire, et de la taille de l'entreprise. Ils sont généralement peu impliqués dans le devenir de l'édifice, voire méfiants, car ils en ont à juste titre une vision comptable. « Longtemps, ils ont vu d'un mauvais oeil la patrimonialisation des silos qui peut mener in fine à un classement comme monument historique », note Nicolas Loriette. Ce qui signifie qu'on ne peut plus toucher à rien.

Démolitions, reconversions

Thierry Delalande, responsable patrimoine, chez Terrena, est clair : « Quand un silo s'arrête, c'est qu'il n'est plus adapté techniquement, il est plus un problème qu'une solution. On prône en général une destruction rapide de ces bâtiments qui d'un point de vue esthétique ne donnent pas une très belle image de la profession. Après, on n'est pas attaché viscéralement au silo, mais par contre on est content si un projet de reprise ou de réhabilitation aboutit », nuance-t-il. A la Scael, en dix ans, on a fermé une vingtaine de silos trop petits, trop vétustes ou situés en centre-ville... Un quart des silos a été vendu à des agriculteurs et un quart est resté dans le giron de la coopérative pour garder le foncier. Le restant a été rétrocédé à la SNCF, vendu à des communes ou comme terrains constructibles. Dans tous les cas, la stratégie de la coopérative est simple : démolir avant de vendre. « La démolition évite les discussions entre l'acheteur et le vendeur, il n'y a pas d'ambiguïté sur le prix. Nous procédons systématiquement à un audit environnemental, de quelques milliers d'euros », explique Emmanuel Haugazeau, ex-directeur opération et développement à la Scael. Selon la taille du bâtiment, le matériau de construction et l'environnement, le coût d'une démolition varie entre 50 000 et 100 000 €. L'objectif de la Scael est de faire une opération blanche, autrement dit que la vente compense la démolition. Aujourd'hui, les anciens sites de la coopérative sont devenus des parkings, lotissements ou résidences universitaires.

Pas mal d'échecs de réhabilitation

Difficile encore d'associer silos et patrimoine industriel. « Parce qu'ils témoignent d'une histoire récente et d'une trajectoire courte, les silos à grains n'ont pas encore mobilisé comme on pourrait s'y attendre les historiens, les géographes, les économistes, abonde Gracia Dorel-Ferré, de l'association pour le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne. Par contre, la société civile a bien été obligée de s'impliquer dans leur conservation ou leur démolition, et les débats ainsi générés ont petit à petit fait comprendre qu'on avait là un patrimoine, certes, encombrant, mais qu'on ne pouvait pas ignorer. » « Ces grosses verrues, si on les supprime d'un coup, ça fait bizarre car elles font partie du paysage. Mais si on n'en fait rien, c'est moche », résume Florent Varin. La solution à ce paradoxe ? La réhabilitation, pour leur redonner un second souffle en les insérant à nouveau dans l'économie rurale.« Cela paraît quand même moins anormal aujourd'hui qu'il y a quinze ans de parler de patrimoine pour des silos », reconnaît Nicolas Loriette. C'est le cas chez 110 Bourgogne, où l'on travaille ainsi depuis plusieurs années sur le devenir d'un silo en plein centre-ville d'Auxerre, à l'intérêt architectural évident, et qui fait partie intégrante du paysage. Ce projet aboutira-t-il ? On pourrait perdre espoir lorsqu'on regarde ce que sont devenus quelques projets emblématiques de réhabilitation : le silo de Soissons (Aisne), l'un des premiers de France dans sa catégorie, finalement détruit en 2013, ou celui de Louvres (Val d'Oise), qui devait être pris en main par l'architecte Roland Castro, et qui est en train d'y passer. Pas mal de projets échouent en raison d'obstacles administratifs, réglementaires ou financiers. « Il n'y a pas que l'argent qui fait capoter les projets, corrige Thierry Delalande. Il y a aussi les difficultés relationnelles, ce n'est pas évident de mettre tout le monde autour de la table. Et puis, les difficultés techniques. »

Un patrimoine à réinventer

« C'est vrai que l'adaptation des grands plateaux recevant autrefois les machines est un défi pour les architectes, admet Nicolas Loriette, de même que l'aménagement des bâtiments de stockage qui, par définition, n'étaient pas conçus pour recevoir du logement ou des activités tertiaires. Mais il existe des solutions techniques. » La preuve : ici ou là, avec de grandes disparités entre les pays, on constate un élan d'initiatives vers la préservation, voire la réhabilitation et la réaffectation de ces édifices. D'autant que la mode est au « surcyclage », c'est-à-dire le recyclage qui se doit d'améliorer l'objet original. En France, certains silos retrouvent une seconde vie dans l'agriculture, l'artisanat ou la culture sans grandes transformations, et quelques projets de réhabilitation aboutissent, sans être forcément ostentatoires (voir ci-dessus et p. 28-29). En revanche, à l'étranger (voir ci-dessus et p. 30-31), les architectes n'ont pas peur d'oser et proposent des réalisations plus clinquantes, mais qui restent malgré tout, exceptionnelles.

DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX

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