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La fin des 3RLe début du juste prix ?

La fin des remises, rabais et ristournes sur les phytos est actée depuis le 1er janvier, même si tout n'est pas clair. Pour les distributeurs, il faut revoir les relations avec les fournisseurs et les agriculteurs, et mettre en place de nouvelles politiques commerciales. L'occasion de remettre à plat les services, et leur valeur.

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Dans les coopératives et négoces, lors des débats et du vote de la loi EGalim, on a surtout évoqué la séparation du conseil et de la vente pour les produits phytosanitaires. Mais le texte a aussi instauré la fin des remises, rabais et ristournes (3R) sur ces mêmes produits, et ce à partir du 1er janvier 2019, quand la loi a été publiée au Journal Officiel le 1er novembre. Sans nécessité de parution d'ordonnance, contrairement à la séparation. Autant dire que ce fut le branle-bas de combat dans les entreprises, et certaines ne sont pas encore tout à fait prêtes. Une situation imputable au délai, particulièrement court, pour se mettre en règle, mais aussi à des flous juridiques sur le périmètre des interdictions (lire p. 27). Sur ce sujet, malgré les questions formulées, la DGCCRF n'avait, fin janvier, toujours pas donné de consigne claire.

L'article 74 (14 au moment des débats sur la loi) vise à « éviter toute incitation commerciale à utiliser des produits phytosanitaires de manière inappropriée », justifiait Stéphane Travert, alors ministre de l'Agriculture, devant le Sénat, qui a tenté de supprimer la mesure. Sans succès, car l'Assemblée nationale, en cas de désaccord, a toujours le dernier mot. L'article est très similaire à une disposition prise dans la loi d'avenir agricole de 2014, pour réduire l'usage des antibiotiques vétérinaires. Un parallèle qui n'a pas de sens pour nombre d'acteurs de la distribution agricole, estimant que les deux marchés sont très différents.

Instauration d'un tarif unique

Pour les phytos (hors biocontrôle), la fin des 3R concerne toutes les relations commerciales : celle entre la coop ou le négoce et l'agriculteur, et celle entre la firme et le distributeur, ou, en général, la centrale d'achat. Avec les fournisseurs, les contrats conclus en 2018 courent jusqu'à l'été prochain, l'application du texte se fait donc plus sereinement. Mais côté utilisateur final, restait donc pour les coops et négoces à se mettre à jour avant le 1er janvier. Même si la fin des 3R et, surtout, la hausse notoire de la RPD ont précipité les achats de produits phytos des agriculteurs fin 2018 (lire ci-dessous), laissant un peu plus de souplesse aux entreprises en début d'année.

En résumé, le texte interdit les 3R et la différenciation des conditions générales et particulières de vente, et tout contournement de cette interdiction. C'est-à-dire que le distributeur est tenu, à un instant T, de proposer le même tarif à tous ses clients, pour un même produit avec un même niveau de service. Ce qui ne va pas sans difficultés. Primo, il faut caler une nouvelle grille tarifaire dans un environnement concurrentiel, avec le risque, pour le premier qui se dévoilera, de voir les autres s'aligner juste en dessous. Secundo, que mettre dans le prix ? Quels services y rattacher ? Et donc, quel prix pour les services ?

Car les agriculteurs en sont friands, révèle notre enquête ADquation-Agrodistribution (voir infographie), ils sont intéressés à plus de 85 % par les services évoqués, que ce soit le conseil, la possibilité de retourner le produit, les facilités de paiement ou la livraison. « C'est cohérent avec ce que l'on peut voir, juge Jean-Nicolas Simon, consultant au cabinet Marketerras. Après, sont-ils prêts à payer pour le conseil agronomique, par exemple ? » « Clairement, les agriculteurs ne sont pas prêts à perdre cette offre de conseil personnalisé », ajoute Alain Baraton du cabinet Réseau Motival. Concernant le choix de la tarification, entre offre globale et facturation séparée, les avis sont très partagés. « Pour ceux qui ont choisi la formule dissociée, il y a un besoin de comprendre, estime Jean-Nicolas Simon. Et chez les autres, il y en a toujours qui craignent que la dissociation de la facturation ne se traduise, in fine, par une augmentation du coût global. » « Derrière, il y a une notion de confiance, juge Alain Baraton. Si l'on avait posé cette question il y a vingt ans, on aurait eu très peu d'intentions pour la facturation séparée. La bonne nouvelle, c'est que la moitié font confiance. Pour l'autre, c'est plutôt "la confiance n'exclut pas le contrôle". Aujourd'hui, c'est de plus en plus compliqué pour un TC de faire un bon de commande sans tarif. La fin des 3R est un déclic pour la distribution sur la question de services. » D'où cette notion de transparence qui revient en justification du choix de l'offre séparée pour 49 % des répondants.

Le défi des services

Sur le terrain, les distributeurs s'organisent, et cela commence par une rénovation de la politique commerciale (lire p. 28-29 ). Pour Alain Baraton, « elle devient un élément de différenciation stratégique. On voit un peu partout une remise à plat du chantier des services : logistique, conseil et suivi technique, financement... Les distributeurs décident d'inclure tel ou tel service dans le prix facial du produit. Sur un territoire, les politiques commerciales peuvent être très différentes. » Car s'il faut un tarif unique, chacun veut rester attractif dans un environnement concurrentiel. « À mon sens, deux stratégies se dégagent, analyse Jean-Nicolas Simon. Des gens qui défendent une offre produit nu avec des produits différenciés, des exclusivités et des produits avec des prix attractifs, et d'autres plus orientés services, avec par exemple une offre à l'hectare. » Si la différenciation des conditions de vente et les 3R sont clairement prohibés, le texte n'écarte pas formellement la possibilité de faire varier les prix dans le temps, à partir du moment où les produits sont vendus au même prix à tous les clients. « Pour 2019, on peut imaginer que l'on va s'orienter vers cela », prédit Alain Baraton, notamment pour permettre de réguler la situation dans une période de transition.

En amont, du côté des fournisseurs, la situation va aussi évoluer. Quel rôle pour les centrales d'achat à l'avenir, surtout celles faisant de la massification sans disposer d'outils logistiques ? « Les centrales requestionnent leur raison d'être. Leur avenir dépendra de leur capacité à proposer des services valorisables par les fournisseurs », explique Jean-Albert Massenet, du cabinet Triangle. Quant à la relation entre la centrale et ses distributeurs, « tout dépend de son modèle. Mais dans tous les cas, une centrale devra pratiquer le même tarif produit pour tous ses adhérents », ajoute Jean-Albert Massenet. En résumé, les centrales vont refacturer aux firmes des services relevant de la coopération commerciale, comme des essais culturaux, des études marketing, des formations, des études statistiques... « Néanmoins, il sera difficile de reconstituer le prix actuel, vu les niveaux pratiqués de remises, de l'ordre de 15 à 20 % entre le prix facturé et le prix net finalisé, illustre Jean-Nicolas Simon. Concrètement, pour un CA achat de 50 M€, cela signifie 10 M€ de services à produire et à facturer. Et c'est difficile de vendre une étude marketing à 10 M€, surtout tous les ans. » Enfin, encore faut-il que les firmes trouvent une valeur ajoutée dans les services proposés.

Tassement des marges

Un tassement des marges phytos est probable (voir infographie ci-contre). Ces niveaux sont actuellement variables selon les cultures, et très variables selon les distributeurs. Jean-Albert Massenet les estime à 30 % en grandes cultures, 20 % en vigne, et en deçà en arbo-maraîchage. « Le risque, pour le collectif, c'est qu'à l'avenir, le prix d'un produit seul soit positionné trop bas, enlevant au distributeur la valeur qui doit lui servir à financer sa transformation. L'enjeu pour le monde agricole, c'est de financer les transformations de son modèle », alerte le consultant.

En tout cas, les prix vont se rééquilibrer entre les agriculteurs qui avaient des taux de remises plus ou moins élevés. Ceux-ci vont-ils se ruer sur l'e-commerce, comme le craignent certains ? Avec des pure players bénéficiant de meilleures conditions tarifaires avec la fin des 3R ? D'après notre baromètre ADquation-Agrodistribution, 3 % des agriculteurs seulement ont commandé des produits phytos sur internet au cours des douze derniers mois, notamment en grandes cultures (7 %) et dans le Centre (6 %). 10 % envisagent de le faire dans les prochaines années. Des résultats stables par rapport à 2017. Alain Baraton estime que ce sont des produits trop techniques pour être vendus en ligne à grande échelle : « Les produits phytos, aujourd'hui, c'est surtout une question de réglementation. » Pour Caroline Protat, chez Bayer, « c'est un sujet complexe. La transparence sur les prix peut s'avérer moins différenciante pour l'e-commerce et nécessiter une nouvelle approche. Aujourd'hui, on se concentre sur la distribution telle qu'on la connaît. » Chez Agriconomie, Clément Le Fournis aborde, comme les autres distributeurs, la fin des 3R : « Nous allons essayer de nous différencier auprès des agriculteurs par rapport à notre gamme et on travaille sur le service. Le plus compliqué, c'est de travailler sur une grille tarifaire à l'échelle nationale. »

Sur le terrain, si on s'applique à mettre en oeuvre la loi, les distributeurs ont du mal à voir l'intérêt en matière de baisse de l'utilisation des produits phytosanitaires. Sans compter l'épée de Damoclès de la séparation conseil et vente, dont les modalités ne sont pas encore complètement connues.

DOSSIER RÉALISÉ PAR MARION COISNE

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