La semence,premier levier de l'agroécologie
Aujourd'hui, pour tenter de répondre aux attentes de nos concitoyens en termes de biodiversité, réduction du recours à la chimie ou productions bio, sélectionneurs et distributeurs s'emparent du levier variétal.
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Tout le monde en convient, la génétique a permis d'améliorer de façon considérable la fourniture d'aliments et un progrès colossal a été réalisé au cours du XXe siècle. En France, le rendement moyen en blé est passé de 10 q/ha en 1900 à 70 dans les années 2000. Dans le monde, la production de blé a fait un bond de 180 Mt dans les années 1950, à 744 Mt en 2018. Elle a été multipliée par quatre en soixante ans ! L'utilisation d'engrais et de phytos est bien sûr passée par là, mais le progrès génétique a assuré l'essentiel des gains de productivité. D'après une étude de HFFA Research (1), reprise par l'European Seed Association (ESA), au cours des quinze dernières années, la production annuelle de blé en Europe a augmenté de 22 Mt, et 80 % de cette hausse est dû à l'amélioration génétique. Le progrès génétique a également permis d'augmenter de 15 % la production européenne de pommes de terre, de 33 % celle de tournesol, et de 3,3 Mt celle de colza. « Sans l'amélioration génétique, l'Europe serait importatrice nette de beaucoup plus de denrées agricoles et les prix des produits agricoles seraient plus élevés, souligne Steffen Noleppa, auteur de l'étude. L'amélioration des plantes a permis de fournir assez de calories pour nourrir 160 millions de personnes en plus. »
Effets positifs sur l'environnement
En France, le bilan économique de la filière reste, d'année en année, largement positif. « La France est toujours le premier producteur de semences en Europe, avec 360 000 ha produits sous contrats par 18 600 agriculteurs et une filière qui compte 17 000 salariés, précise Catherine Dagorn, directrice générale du Gnis. La France est aussi le premier exportateur mondial de semences agricoles, avec en 2018 un chiffre export de 1,6 milliard d'euros sur un CA total de 3,3 Mds€, et une contribution positive à la balance commerciale de 947 M€. »
La semence a aussi des effets positifs sur l'environnement. « Toutes productions confondues, l'absence de progrès génétique pendant les quinze dernières années en Europe aurait nécessité de cultiver 19 millions d'hectares de terres agricoles en plus, prises sur les forêts, les marais et les autres surfaces non cultivées, ajoute Steffen Noleppa. Le progrès génétique en grandes cultures a permis à lui seul d'économiser 160 Mt par an de CO2, soit l'équivalent de l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas. » Contrairement à ce que le grand public a l'habitude de penser, la semence contribue également à la biodiversité. « C'est parce que des sélectionneurs se sont intéressés à l'amélioration des plantes qu'ils ont cherché à identifier et à préserver les ressources génétiques », souligne François Desprez, président du Gnis. En créant de nouvelles variétés, les sélectionneurs élargissent aussi la biodiversité. Ils permettent de modifier les protéines d'une céréale ou les acides gras d'un colza pour mettre à la disposition des consommateurs des matières premières au profil technologique plus favorable. Accroître la biodiversité, c'est aussi augmenter la diversité des cultures implantées sur l'exploitation.
Malgré ces multiples contributions positives, nos concitoyens sont de plus en plus critiques vis-à-vis des semences. Face à ces incompréhensions, le Gnis s'est mis en ordre de bataille afin de mieux comprendre ce que la société civile attend des semences, et mettre tout en oeuvre pour y répondre (lire p. 24). Et aujourd'hui, alors que les agriculteurs sont en train de s'emparer de l'agroécologie et que le bio monte en puissance, les semences constituent le tout premier levier qu'il est possible d'actionner. La semence pour réduire le recours à la chimie, cela va de soi. Mais ça va tellement de soi qu'on a parfois tendance à l'oublier !
Dans leurs travaux sur la résistance aux maladies et aux virus, les sélectionneurs ont été soutenus par le CTPS, comité technique permanent à l'inscription. Cet organisme, qui juge de l'inscription des variétés à partir des essais réalisés par le Geves, oriente par le poids qu'il accorde aux différents critères mesurés, les axes de sélection.
L'écart de rendement entre essais traités et non traités diminue
« Les écarts de rendements qui se réduisent entre parcelles traitées et non traitées traduisent les progrès réalisés par les nouvelles variétés », souligne Josiane Lorgeou, spécialiste des variétés chez Arvalis-Institut du végétal. « Les apports de la génétique depuis quinze ans, en matière de résistance aux maladies, ont été très significatifs, reconnaît Étienne Regost, directeur général de la nouvelle union de coops, Exélience. Il faut que les agriculteurs en bénéficient, et une coopérative comme Unéal l'intègre depuis plusieurs années. » « On cite souvent le blé, mais en orge, nous disposons désormais de variétés résistantes à la JNO, c'est un grand pas après l'interdiction des néonicotinoïdes, remarque Florent Cornut, responsable développement chez Secobra. Nous regardons aussi d'autres gènes de résistance au virus de la mosaïque et aux maladies. » « En pommes de terre, nous avons inscrit des variétés plus tolérantes au mildiou depuis 2008, remarque Philippe Laty, du Grocep. Ça a pris du temps avant que les agriculteurs s'y intéressent. Mais ça y est, on sent depuis quelques mois qu'ils sont prêts à franchir le pas. » Si des progrès sont notables contre certaines maladies, des résistances sont encore très attendues contre d'autres bio agresseurs, par exemple contre le virus de la jaunisse en betteraves, ou le sclérotinia du colza.
« L'arrivée des listes de variétés donnant droit à des CEPP va aussi sensibiliser davantage les équipes de conseillers sur le terrain », ajoute Étienne Regost. Une liste des variétés de blé ouvrant droit à des CEPP vient d'être établie par le Geves et Arvalis. Des listes ont également été publiées en pommes de terre, betteraves sucrières et colza, et sans doute prochainement en orge. Elles seront aussi très utiles en bio.
Des semenciers comme Agri-Obtentions, Lemaire Deffontaines ou Semences de l'Est s'intéressent à ce créneau depuis longtemps. De nombreuses autres entreprises les ont rejoints et l'offre de semences bio a fortement progressé pour la plupart des espèces. « La réglementation impose l'utilisation de semences bio lorsqu'elles sont disponibles, mais accepte pour certaines espèces des dérogations, précise Michel Straebler, du Gnis. Le nombre de cultures où les dérogations sont acceptées diminue tous les ans. Le maïs et le triticale sont hors dérogation déjà depuis plusieurs années, le blé vient d'y passer. » Ce sera le tour de l'orge cette année, des pommes de terre en 2020, puis du soja, du tournesol... L'objectif de la filière, d'ici à 2025, est de passer à un approvisionnement à 95 % en semences bio, toutes espèces confondues.
DOSSIER RÉALISÉ PAR BLANDINE CAILLIEZ
(1) Humboldt Forum for Food and Agriculture Research pour le compte de l'European Technology Platform (ETP) « Plants for the future », et reprise par l'ESA, European Seed Association.
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