Responsabilité sociétale Quand l'entreprise s'engage
S'intéresser à la responsabilité sociétale des entreprises est en passe de devenir incontournable. Ce concept prend peu à peu de l'ampleur. Loin d'être inaccessible et déjà bien vivant sur le terrain, il peut redonner du sens et de la légitimité à l'entreprise, notamment dans un secteur agricole souvent chahuté.
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La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) pointe de plus en plus son nez dans les AG, les rapports d'activité, les réunions... Ce concept s'intéresse aux éléments non financiers d'une entreprise : la gouvernance, l'environnement dans son sens écologique, le social et le sociétal. C'est autour de ces quatre piliers que sont déclinés les sept axes de travail de la norme internationale de la RSE, l'Iso 26000 (voir ci-contre).
La RSE est une façon de gouverner au travers de filtres peu usités jusque-là, amenant plus de maturité et d'ouverture dans les modes de fonctionnement et les échanges. Dans une approche B to B, elle est présentée comme un levier de compétitivité. Ce dernier, toutefois, peut dépasser le simple cadre économique, observe la Plateforme nationale RSE, créée en 2013. La RSE, c'est aussi et, avant tout, du bon sens et un sujet très fédérateur. Cette notion existe depuis des années et a vue la création du GRI en 1997, et du Pacte mondial de l'ONU en 2000 auquel adhèrent Euralis, Scara et Limagrain.
Une norme non certifiable
Cependant, à l'ère du tout réglementaire, ce concept peut en faire reculer plus d'un. Est-ce un arbre qui cache une forêt de contraintes ? Certes, il existe une norme. Mais, comme le précise Benjamin Perdreau de l'Afnor, « une norme est d'application volontaire. D'ailleurs, son processus de création est très RSE, car elle naît d'un consensus ». En outre, l'Iso 26000 n'engendre pas de procédure stricte car elle n'est pas certifiable. Elle s'en tient à des lignes directrices pour guider les organisations sur la voie du développement durable. « Elle n'a pas été rendue certifiable car nous avions conscience qu'il aurait été rarissime qu'une entreprise soit excellente sur les sept axes, surtout sur la relation client-fournisseur », précise Michel Doucin, secrétaire général de la Plateforme RSE qui a participé aux travaux de cette norme. A souligner, la forte mobilisation internationale : une centaine de pays y ont travaillé et plus de soixante-dix l'ont signée.
Une touche réglementaire
A ce jour, la seule touche réglementaire en RSE est instaurée par les pouvoirs publics français, suivis depuis par Bruxelles avec la directive européenne du 22 octobre 2014. En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001 a imposé aux entreprises cotées en bourse d'introduire dans leur rapport annuel des éléments extra-financiers, relatifs à l'impact social et environnemental de leurs activités. Cette obligation de reporting est désormais étendue, par un décret du 24 avril 2012 (né de la loi du Grenelle), aux sociétés de plus de 500 salariés et de plus de 100 M€ de CA, depuis le 1er janvier 2014. Les SAS ne sont pas concernées. Mais cette exclusion fait l'objet d'un débat que devrait trancher la transposition de la directive européenne. Une vingtaine de groupes coopératifs agricoles (dont Axéréal, Cavac, Triskalia, Vivescia), tous secteurs confondus, sont concernés par cette obligation, et pour les négoces, deux des filiales du groupe Soufflet, Moulins Soufflet et Les Malteries Franco-Belges.
Accélérateur de croissance
Quant à la nouvelle directive européenne, elle impose un reporting extra-financier, à l'horizon 2017, uniquement aux entités d'intérêt public (entreprises cotées, banques et assurances). Dans la transposition de cette directive à finaliser pour 2016, la France pourra garder ses dispositions actuelles, précise Michel Doucin (lire l'encadré).
Qu'est ce qui pourrait alors inciter une entreprise à formaliser une démarche RSE ? Beaucoup s'accordent à dire qu'il serait dommage d'y voir juste une contrainte de reporting, alors qu'elle peut contenir un réservoir de progression, voire de pérennisation. Le terrain s'en fait d'ailleurs l'écho. « Nous voyons dans la RSE un accélérateur de croissance que notre direction n'imagine pas sans le respect des ressources naturelles, avance Jérôme Legrip de Vivescia. En outre, des grands donneurs d'ordre tels Heineken et Royal Canin souhaitent que les enjeux sociétaux soient pris en compte. » « Nous avons là sûrement un véritable levier d'amélioration continue », affirme Laurent Legand d'EMC2. « C'est un facteur d'attractivité pour le recrutement des jeunes. Nos annonces font référence à notre politique de développement durable et de RSE », avance Marielle Marjollet, responsable RSE de Maïsadour, évalué selon l'Afaq 26000 en 2011. Et pour Pascal Maisier, directeur DD d'Euralis, il s'agit de « renforcer la confiance des parties prenantes avec des actions labellisées RSE ».
Un droit d'accès au marché
L'argument économique n'échappe pas à la liste des motivations. Certaines filières se prêtent peut-être plus à une valorisation que d'autres. Ainsi, dans la filière vin, « les démarches environnementales et sociétales se valorisent sur les marchés mondiaux sur le plan pécuniaire, mais deviennent aussi un droit d'accès au marché. C'est le cas avec le Canada qui développe un label éco-responsable », commente Yann Chabin, expert RSE et universitaire à Montpellier, coanimateur du groupe de travail Afnor sur la déclinaison de l'Iso 26000 en vin. La coopérative Caves de Rauzan, classée en niveau confirmé après une évaluation Afaq 26000, en novembre dernier, estime que « cette évaluation conforte notre crédit. Nous nous donnons de nouvelles chances pour notre avenir commercial ».
Pour sensibiliser les dirigeants, la Plateforme RSE propose un quadruple argumentaire : éthique (intérêt général et souci de transparence), stratégique (pérennité et cohésion), économique (gains par la qualité des produits, la réponse aux attentes du marché, la fidélisation, l'image de marque) et social (dialogue généré via les préoccupations sociales, la sensibilisation).
Déjà en marche
A ce jour en appro-collecte, seules Maïsadour et la Scara se sont fait évaluer selon l'Afaq 26000, un des référentiels existants. En vin, le mouvement est plus dense. La coopérative des Vignerons de Buzet est la première coop agricole à avoir été évaluée en novembre 2010, juste après Kenzo Parfum, première entreprise française évaluée. Cependant, l'évaluation du degré de maturité d'une politique RSE par un tiers n'est pas un passage obligé. On peut faire de la RSE et s'inspirer de l'Iso 26000 sans passer par cette case. Mais, les parties prenantes externes peuvent y inciter. Les dirigeants peuvent aussi faire ce choix pour progresser comme c'est le cas avec l'Afaq 26000 et ses quatre niveaux de maturité.
Le monde de l'appro-collecte se rend compte qu'il est déjà dans le mouvement (lire p. 30-31). Des entreprises s'organisent en interne et formalisent leur démarche par un diagnostic, un plan d'actions, etc., soit en la gérant elles-mêmes soit en se faisant accompagner (lire p. 32-33).
Coop de France, qui a rejoint la Plateforme RSE en novembre dernier, propose un accompagnement avec souvent une première approche des comités de direction. « Nous leur démontrons qu'ils en font déjà et que c'est un levier de compétitivité qui peut permettre de se différencier. Nous apportons une vision rassurante car le développement durable a souvent été vécu comme une contrainte », commente Florent Varin, directeur opérationnel de Services Coop de France. Pour Marielle Marjollet, « la clé de la réussite est d'être pragmatique et concret tout en avançant pas à pas ». Et, de son côté, Isabelle Hazouard, de la Scara, souligne « qu'il faut accepter des aspects moins porteurs comme les phytos et les engrais ». La RSE n'a pas fini de faire parler d'elle notamment à travers la notion d'achats responsables, objet d'une réflexion dans plusieurs entreprises et d'une norme Iso 20400 en cours. Dans le vin, un guide des achats responsables a été initié. Par ailleurs, un projet de loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l'égard de leurs filiales et sous-traitants, déposé le 12 février, sera examiné fin mars.
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
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