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Drones Un marché en observation

Coops et négoces n'ont pas encore forcément bien appréhendé ce marché émergent, qui fait parfois l'objet de fantasmes et pour lequel ils ont peu de visibilité. Obligation est donnée aux technico-commerciaux de bien connaître cet outil et aux managers de bâtir une offre et une organisation adaptées.

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Cocorico ! S'il y a un secteur où la France ne peut pas être taxée d'immobilisme, c'est bien celui du drone civil. On la dit même championne du monde. Ayant loupé le coche dans le drone militaire, il y a quelques années, la France a été le premier pays à mettre en place un cadre réglementaire en 2012 pour le drone civil. Au point que les apparitions de ces objets volants tout comme les entreprises liées à ce secteur se sont multipliées. Il y aurait maintenant plus d'une dizaine de constructeurs en amont et, surtout, 1 387 sociétés exploitantes recensées en France en 2014, dans l'audiovisuel, le BTP, l'agriculture... Revers de la médaille : les services administratifs sont engorgés, et plusieurs semaines d'attente sont parfois nécessaires dans certaines régions pour délivrer des autorisations de vol. Une refonte de la réglementation (lire p. 29), que certains appellent déjà de leurs voeux, est néanmoins risquée car elle pourrait durcir les conditions d'utilisation, après les récents survols sauvages de certains lieux stratégiques.

Deux acteurs principaux

Si un certain nombre d'acteurs s'intéressent plus particulièrement au secteur agricole, au risque de voir apparaître des « francs-tireurs », la mayonnaise n'a pas pris partout. Azur drones notamment se retire de l'agricole. « Pour faire voler des drones, on cherche des surfaces significatives et de la récurrence, témoigne son DG, Stéphane Morelli qui est aussi président de la Fédération des drones civils. L'agriculture réunit ces deux conditions, mais le ticket d'entrée sur le plan technique n'est pas évident. » Au final, seuls deux acteurs se partagent de manière opérationnelle le marché agricole (lire p. 26). Le pionnier, Airinov, a une longueur d'avance sur Drone agricole. Partie du Poitou, où elle enregistre près de la moitié de ses vols, Airinov s'est déployée vers le Centre, le Nord, la Bretagne. Cantonnée dans le Nord-Est, Drone agricole rayonne autour de son bastion de l'Aisne, mais, comme son nom ne l'indique pas, privilégie largement l'ULM. « D'une part, l'ULM est beaucoup moins sensible que le drone aux conditions météo, et d'autre part, 30 % du territoire n'est pas survolable par des drones sans autorisations, lesquelles peuvent mettre deux semaines à arriver voire plus », justifie Timothée Barbier, cofondateur de Drone agricole. Par abus de langage, on désignera d'ailleurs par drones l'ensemble des vecteurs (drones, ULM ou avions), relevant de l'imagerie aérienne, à « mi-chemin » entre le satellite et les outils au sol (manuels ou N-sensor), le drone en tant que tel étant le plus utilisé actuellement en agriculture. C'est pour l'instant dans le pilotage de la fertilisation azotée que cet outil d'observation commence à décoller, où en premier lieu il vient concurrencer (ou compléter, c'est selon) l'imagerie satellitaire. Le leader sur ce créneau, Farmstar expert, connaît des faiblesses et n'est pas forcément adapté aux petites et moyennes entreprises. Voyant le ralentissement de la progression de Farmstar ces dernières années (665 000 ha en 2014), Arvalis ne s'y est pas trompé et travaille sur la possibilité au sein du service d'utiliser des drones. C'est en ce sens qu'Arvalis et Airbus Defense and Space ont conclu un partenariat avec Delta drone, qui accéderait ainsi au secteur agricole. Une solution commercialisable est attendue au printemps 2016, plutôt pour le blé. « Chassons de l'esprit que Farmstar et les drones sont concurrents, balaye Jacques Mathieu, le DG d'Arvalis. En France, il y a 10 à 12 Mha qui devraient relever de ces technologies alors qu'il y en a à peine 1 Mha aujourd'hui. » Sachant que sur la campagne 2014-2015, un peu plus de 100 000 ha devraient être facturés avec une technologie de type drones. A comparer à 30 000 ha maximum en 2013-2014 ! Et pourtant, 86 % des agriculteurs interrogés dans notre sondage ADquation-Agrodistribution déclarent ne pas être intéressés par l'utilisation d'un drone agricole. Un chiffre qui semble presque étonnant tant le fantasme dont fait l'objet cet outil est palpable.

A noter, toutefois, que les producteurs de grandes cultures sont 18 % à paraître sensibles à cette technologie et que 25 % des exploitants ayant plus de 150 ha de SAU se disent intéressés. Ce qui n'est pas rien. Mais dans le Sud, ils ne sont que 6 %. Les opérateurs ne s'y sont pas encore risqués.

Des projets dans les cartons

« Un parcellaire plus morcelé, une moindre concentration des organismes stockeurs et des cultures dont les modèles de traitement des images ne sont pas encore aboutis peuvent l'expliquer », selon Stéphane Ballas, chargé de projet chez Ovalie innovation regroupant les activités R & D de Vivadour et Maïsadour. Ce qui n'empêche pas les projets d'émerger. D'ailleurs, Terres du Sud, Ovalie innovation, et Arterris ont lancé officiellement, le 9 avril dernier avec la PME Delair-tech, le projet Agridrones services. Programmé pour quatre ans, il devrait permettre d'alimenter un OAD. Chacune des coops concernées se chargera de suivre sur son territoire une ou plusieurs cultures en fertilisation, phytos et gestion de l'eau et les résultats seront mis en commun. Un autre projet en grandes cultures est en train de naître dans le Sud-Ouest autour du négoce Vitivista et son entreprise-soeur Jade, déjà impliqués dans l'usage du drone pour la fertilisation en vigne et l'organisation des vendanges. L'idée est de faire retraiter les images obtenues sur le maïs et le tournesol par le spécialiste des télécommunications Telespazio. Des contrats particuliers sont visés (grosses exploitations, maïs doux, maïs semence, expérimentation).

La distribution sans visibilité

« L'imagerie aérienne va venir remplacer les agriculteurs, de moins en moins nombreux et sur des exploitations de plus en plus grandes », croit Eric Laborde, responsable marketing grandes cultures, chez Vitivista. D'autres sont moins enthousiastes et voient juste un marché de niche pour les drones. L'écart entre les perspectives est tel, que coops et négoces ont peu de visibilité sur le développement de cette technologie qui leur apparaît pourtant ludique et peut être de nature à renouer la proximité. Ils s'interrogent, ils s'observent, mais en tout cas, ils veulent en savoir plus. Cette curiosité pour les agridrones s'est illustrée au Sima 2015 avec un colloque dédié organisé par Arvalis. Laurence Gosseaume, PDG du négoce Phytoservices s'y trouvait : « J'avais vu une émission sur les drones à France 2, début février. Dès le lendemain, j'ai pris contact avec l'opérateur Redbird (NDLR : encore au stade de la R & D dans le secteur de l'agriculture de précision), puis je me suis rendue au colloque du Sima. » Fin avril, elle vient de lancer sa marque Go'Drone Précision et part avec Airinov ! Loin d'être hésitants, c'est la manière d'appréhender la vente de ce service qui laisse les distributeurs perplexes. « Le secteur agricole n'a pas du tout anticipé les usages », confirme Romain Faroux, directeur commercial et cofondateur d'Airinov. Tout reste à faire. Comment s'organiser en interne ? Comment bien expliquer aux équipes terrain cette nouvelle technologie pour qu'ils puissent la démocratiser auprès des agriculteurs ? Quelle offre proposer ? Sur ce dossier, les coopératives semblent avoir une longueur d'avance, selon notre sondage, 59 % des agriculteurs s'étant déjà vus proposer une prestation incluant le vol d'un drone par une coop. Néanmoins, « le drone n'est pas une fin en soi », rappelle Christophe Viguié, PDG du constructeur Delta drone. Et Benoît de Solan d'Arvalis d'ajouter que la question n'est pas de savoir « que puis-je faire avec un drone ? », mais « de quel type de données ai-je besoin ? ». En tout cas, cette vraie première campagne commerciale pour la plupart des distributeurs est à haut risque. Attention, à ce que le ciel ne leur tombe pas sur la tête !

DOSSIER RÉALISÉ PAR MARION COISNE ET RENAUD FOURREAUX

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