La multiplicité des typologies, projets et besoins des nouveaux installés pointe les défis à relever pour faire partie de leur écosystème.
Pendant très longtemps, le nouvel installé était jeune, majoritairement fils ou fille d’exploitant, bien souvent salarié mal rémunéré. La problématique n’était pas l’innovation, mais bien l’acquisition d’expérience, plus ou moins forcée par la ou les générations précédentes présentes au quotidien sur la ferme. Une caricature qui a bercé et facilité le travail des distributeurs agricoles. Progressivement, l’ensemble de la filière a vu arriver des nouveaux installés moins jeunes, mieux formés et surtout ayant acquis une expérience en entreprise avant de faire le choix d’être agriculteur. La féminisation a suivi avec, aujourd’hui, 26 % de cheffes d’exploitation. Les six témoignages qui suivent soulignent ces évolutions et une attente essentielle vis-à-vis de leurs potentiels partenaires : qu’ils soient fiables.
Une autonomie responsable Cette nouvelle génération est marquée par l’ambiance actuelle et ne veut plus d’une marginalisation du monde agricole. Elle veut être considérée comme un secteur économique normal qui ne vit pas de subventions parce que les politiques ont décidé depuis les années quatre-vingt d’offrir aux consommateurs de la nourriture à bon marché, dévalorisant le prix réel du travail agricole. Les nouveaux agriculteurs aspirent à une autonomie responsable avec une juste rémunération comme dans d’autres secteurs de l’économie.
Cette nouvelle génération a bien compris que les générations précédentes se sont laissées abuser par le « produire plus » au détriment du « produire mieux » et veut désormais respecter la terre et son écosystème. Depuis 1992, l’environnement est censé faire partie intégrante du quotidien agricole et elle l’a pris en compte, en dépit d’une administration de plus en plus lourde. Elle a également bien compris sa nouvelle mission face au réchauffement climatique et met en place la virtuosité pour être un acteur neutre, voire négatif, en carbone.
Un pacte avec la société Cette nouvelle génération a peur non pas de sa capacité à répondre aux défis environnementaux et climatiques, mais de l’environnement international complexe dont elle subit de plein fouet les répercussions : crise du Covid, guerre en Ukraine, conflits commerciaux Amérique/Chine, écologie radicale, politique débridée sans stratégie définie… Comment gérer sereinement son activité dans un tel contexte ?
Cette nouvelle génération souhaite un pacte avec la société et les consommateurs et dit halte à la versatilité, aux dogmes, aux idées préconçues, à la violence gratuite et à une médiatisation culpabilisante afin de préserver une certaine autonomie alimentaire et une ruralité vivante. Elle est prête d’ailleurs à s’investir en communication vers le grand public, comme le prouvent les jeunes adhérents de Bourgogne du Sud (p. 36), à condition d’avoir une chance d’être entendue.
Cependant, elle doit rester vigilante sur certains points. Ainsi, elle doit veiller notamment à ne pas perdre le lien avec le terrain dans un monde toujours plus digitalisé, comme le souligne David Coiffard (ci-dessous), installé depuis 17 ans et très impliqué en matière d’agroécologie.
DAVID COIFFARD, agriculteur bio depuis 17 ans
« Attention à la perte du bon sens »
Installé à 22 ans dans la Vienne sur 30 ha en 2006, très impliqué dans l’agroécologie, David Coiffard gère aujourd’hui, en Gaec avec son frère, une exploitation en bio de 620 ha et 700 limousines valorisées à 70 % en vente directe auprès de professionnels. Il nous livre sa vision sur son cheminement et les nouveaux agriculteurs. David Coiffard Quel sentiment vous laisse votre parcours ? D. C. : J’ai l’impression d’avoir fait une boucle. Je vais fêter mes 40 ans, une étape qui amène à réfléchir sur soi. Et je me dis qu’il ne faudra pas attendre 60 ans pour vivre pleinement sa vie de couple, de famille et d’entreprise. On nous a demandé de nous investir dans l’écologie, un idéal pour moi. Nous sommes alors passés en 100 % bio et à l’agriculture de conservation des sols. Mais je suis aujourd’hui déçu de voir mes productions vendues au prix du conventionnel avec, du fait de leur nature, des rendements inférieurs. Or, la survie d’une entreprise passe par la rentabilité et le moyen de dégager des revenus pour investir.La nouvelle génération d’agriculteurs est-elle différente ? D. C. : Oui et non. C’est un métier passion et il le reste. Mais il faut être un « MacGyver », capable de faire sept jours sur sept le gérant, le plombier, l’agronome, etc. Cette diversité nous plaît. Et je reste, comme mes confrères, émerveillé par le cycle des saisons et de la nature. Les nouveaux installés sont pareils. Mais ils sont davantage branchés téléphone portable, digital ou accro des cotations de marché. J’observe avec inquiétude un mouvement vers la perte de l’observation et du bon sens au profit d’une technologie de plus en plus pointue. La nouvelle génération devra être vigilante sur ce point.Quel rôle pour les coops et négoces ? D. C. : Les coops et négoces ne peuvent plus se contenter d’être une force de vente. Ils doivent être des partenaires de confiance, capables de fournir un conseil, notamment économique, afin de nous aider à relever les défis. Mais c’est très dur pour eux, car ils sont en première ligne sur les retournements de marché. C. D. Valentin, de l’autonomie avant tout
Avec la perspective de s’installer en janvier prochain, à 22 ans, Valentin Wherter cherche à être le plus autonome possible et attend de ses fournisseurs qu’ils méritent sa confiance.
Valentin Wherter, 22 ans, hors cadre familial, est en stage parrainage dans une exploitation laitière bio de 85 vaches, avec un objectif de 700 000 l/an, et 130 ha de céréales et prairies. À partir du 1er janvier 2024, il va reprendre la ferme à un couple partant à la retraite progressivement sur deux ans. À cette échéance, son ami d’études, Benjamin, parti se former en Nouvelle-Zélande, le rejoindra. « C’est une aventure extraordinaire faite d’une forte volonté de développer une agriculture vertueuse capable de répondre aux défis majeurs du réchauffement climatique et de la régénération de sols. » Valentin Wherter va s'installer en janvier prochain en lait et grandes cultures bio. Membre actif de FranceAgriTwittos Valentin a parfaitement assimilé dans le développement durable les notions d’économie et de rentabilité. « Être chef d’entreprise, c’est avant tout savoir mener sa barque et être le plus autonome possible. J’espère acheter le moins possible à l’extérieur. » Et quand il aura affaire à des fournisseurs, il se dit prêt à une relation de confiance. « Mais la confiance se mérite et doit répondre à mes objectifs clairement affichés d’une production saine, loyale et écologiquement responsable. » S’il a choisi le bio pour sa production laitière, ce n’est pas par dogme, mais parce que, selon lui, c’est le mode de production qui, dans ses pratiques, respecte le plus l’animal. Le jeune homme est très optimiste quant à ce nouveau chapitre de sa vie. « J’ai bien conscience des défis qui se présentent comme celui de retrouver la confiance de nos concitoyens. Je suis d’ailleurs un membre actif de FranceAgriTwittos. Il faut toujours expliquer ce que nous faisons à une majorité qui ne sait pas et se laisse endoctriner par divers courants radicaux. Par exemple, en Vendée, cela fait plus de dix ans que nous avons des “bassines” bien plus grandes que celle de Sainte-Soline et qui fonctionnent très bien avec la bénédiction et le respect de tous. »Une double collaboration pour Thomas
Avec l’appui de la coopérative Stanor et d’un exploitant voisin, Thomas Delfau, pomiculteur, trace sa route selon ses aspirations après avoir quitté le Gaec familial.
C’est après une mûre réflexion que Thomas Delfau a procédé à sa seconde installation en 2019, laissant le Gaec familial, rejoint en 2014, pour suivre sa propre voie et se consacrer uniquement à la production de pommes sur les 23 ha de verger acquis à ses débuts. Ce projet a été rendu possible grâce à la collaboration mise en place avec un voisin pomiculteur, Bertrand Rehlinger. « J’assure le suivi technique de son verger et reçois une prestation qui m’aide bien au démarrage », précise Thomas qui a constitué également avec lui un groupement d’employeurs. « Nous avons ainsi une grande équipe qui travaille sur nos deux exploitations ; ce qui permet des économies d’échelle tout comme les commandes groupées. » (© Blue Whale) Très proche de sa coop D’autre part, le jeune arboriculteur s’est rapproché de la coopérative Stanor (groupe Blue Whale), que préside d’ailleurs Bertrand Rehlinger. Une adhésion qui le satisfait pleinement en raison du suivi technique très régulier proposé par la coopérative et de la transparence de son fonctionnement. « Stanor invite chaque mois ses 25 adhérents à faire un point sur son activité commerciale et un point technique. Nous nous sentons ainsi très proches de la coop. » Cette coopérative compte une dizaine de jeunes dont quatre futurs installés. Certains d’entre eux, à l’image de Thomas, participent actuellement à la formation Atout jeunes proposée par Blue Whale. Travailler avec la coopérative lui apporte une meilleure connexion au marché et lui permet de se concentrer sur la production en étant notamment plus présent sur le terrain. Il compte ainsi renouveler 10 à 15 % de son verger (des variétés étant obsolètes) grâce à des droits d’exploitation obtenus avec la coop. « J’ai encore des compétences techniques à acquérir avant de m’impliquer davantage dans la coop », avance Thomas qui reconnaît avoir déjà bien progressé au contact de Bertrand et de Stanor.Bastien, paysan-boulanger salarié d’une CAE
Après un essai sur une ferme-test d’une coopérative d’activité et d’emploi, Bastien Paix s’est installé comme paysan-boulanger en bio et compte travailler avec une coopérative.
Installé à 31 ans, en 2021, sur une exploitation de Seine-et-Marne, Bastien Paix fait partie de la catégorie des « Nima », avec toutefois un bagage d’études agricoles puisqu’il est ingénieur agronome de l’Ensat. Il sort des profils dits conventionnels car il a fait le choix de devenir paysan-boulanger sur une ferme partagée à plusieurs et dont les terres sont louées à la fédération Terre de Liens, un pas qu’il a franchi après cinq ans d’animation au Gab Île-de-France. Bastien Paix (à g.), paysan-boulanger installé sur 60 hectares en Seine-et-Marne. (© Les Champs des Possibles) Avant de s’installer, Bastien Paix est passé par la ferme-test de la CAE (coopérative d’activité et d’emploi) Les Champs des possibles, qu’il côtoyait au Gab et dont il est maintenant entrepreneur salarié. Une ferme-test qui accueille des porteurs de projet autour d’un atelier de polyculture (céréales et oléoprotéagineux), de maraîchage, d’un élevage de chèvres, d’un fournil ou encore d’un laboratoire de transformation alimentaire.Suivi par un tuteur Aujourd’hui, sur les 60 ha qu’il loue, 40 ha vont être dédiés aux céréales, transformées en partie en pain, et ont été ensemencés jusque-là en luzerne dans le cadre de leur reconversion en bio qui arrive à son terme. « L’agriculture bio est un des modèles à préserver pour répondre aux enjeux comme celui de la biodiversité », tient-il à souligner. Une fabrication de pain est cependant déjà assurée à partir de la farine de la ferme de la CAE. « J’avais fait des stages en boulangerie avant de me lancer. Quant à la gestion de la ferme, je l’ai apprise sur le terrain grâce à l’accompagnement d’un tuteur de la CAE, relate Bastien Paix. Une semaine après mon arrivée sur la ferme-test, je semais des lentilles alors que je n’avais conduit un tracteur que trois ou quatre fois. » Pour le matériel, il mise sur l’entraide avec les voisins. Les investissements ont été en fait surtout dédiés au laboratoire de transformation en pain. Pour la fourniture en semences et la commercialisation de l’excédent en céréales, Bastien étudie actuellement avec laquelle des coopératives de son secteur il va travailler en fonction de la proximité géographique.Fanny, adepte du collectif
Pour mener à bien ses deux structures d’exploitation, Fanny Gaudin compte notamment sur la force du collectif avec sa famille et les coops partenaires.
« Le système coopératif me convient très bien car j’apprécie beaucoup le collectif. D’ailleurs, j’ai toujours pratiqué du sport d’équipe comme le rugby », avance Fanny Gaudin, agricultrice en Charente-Maritime. En effet, la jeune trentenaire fréquente quatre coopératives : deux en appro-collecte et alimentation animale (de façon historique Terre Atlantique, et la Cavac pour la lentille, le maïs et le tournesol), une en lait (Terra Lacta) et une en bovin viande (Ter’élevage-Terrena). (© YANN WERDEFROY) C’est en 2019 que Fanny s’installe sur 100 ha acquis auprès d’un cousin retraité (qui travaillait avec la Cavac) et crée un atelier de 120 chèvres, La cabane des biquettes, avec un laboratoire de transformation fromagère. Et en août 2023, elle reprend l’exploitation familiale de 350 ha, dont 50 ha de prairies pour 55 charolaises. Dorénavant, la jeune cheffe d’exploitation gère deux structures distinctes, une SCEA axée sur le végétal et une EARL pour l’activité animale, avec six personnes salariées, dont son jeune frère diplômé d’un BTS Acse et gérant aussi 20 ha qui lui sont propres, son père devenu salarié retraité, et sa mère (en fromagerie).Avoir accès à toute l’offre L’esprit du collectif fait partie du patrimoine familial. Son père, Daniel, fut en effet vice-président de Terre Atlantique (et avant d’Agrinieul). Et il présidait la Cuma dont Fanny est devenue secrétaire. De ses partenaires actuels, elle attend surtout un appui en matière d’itinéraires culturaux et de commercialisation, n’ayant pas suivi d’études agricoles (elle est diplômée de l’école de commerce de La Rochelle), et « un accès en toute transparence à l’ensemble des offres ». Et ce, pour avoir les intrants les plus adaptés à son contexte et éviter tout incident de parcours.Les synergies à quatre
Ils sont trois agriculteurs et une agricultrice de 28 à 49 ans réunis sur une même ferme, dans le Nord, autour de quatre activités complémentaires.
« Seul, on va plus vite, à plusieurs, on va plus loin », clament ensemble Maxime et Stéphane Brabant, et Julien et Charlotte Beague. Les premiers, deux frères âgés de 37 et 49 ans, à la tête de la ferme Brabant, travaillent en partenariat avec l’exploitation agricole des seconds, des jumeaux de 28 ans, autour de la méthanisation et du matériel. « Nous avons sur notre ferme quatre activités qui sont sources de synergies, précise Stéphane Brabant. Les 340 ha de cultures et prairies et l’élevage laitier (50 vaches laitières et 1 500 l/jour) au sein d’une SCEA, la vente directe (deux magasins, 67 % en vente directe et 33 % en livraison revente, pour près de 1 M€ de CA annuel) dans une SARL de deux associés, et la méthanisation (CA de 2,4 M€) avec huit associés dans une autre SARL. Tout est fait pour optimiser l’efficience économique, agronomique et fiscale. » De gauche à droite, Maxime Brabant, Charlotte et Julien Beague, et Stéphane Brabant, lors de l'inauguration de l'outil de biométhanisation, commun aux quatre exploitants. Éviter le suréquipement Travailler en commun est dans les gènes de la famille Brabant. Déjà le grand-père avait créé des associations de moyens avec ses fils et ses voisins. « Nous voulons éviter le suréquipement, aussi pour ce qui est de la récolte, moisson, arrachage et ensilage, le matériel et son achat sont en commun, avec ce jeune duo de voisins qui vient de s’installer », ajoute Maxime Brabant. Pour les assolements et l’achat des intrants, chacun le gère à son niveau, ainsi que pour le matériel de semis et d’épandage, car celui-ci doit trop souvent être utilisé au même moment sur les différentes exploitations. Stéphane, Maxime, Julien et Charlotte s’entendent à merveille et se font évoluer et grandir. « C’est un apport considérable pour nous tous. » Alors demain, pourquoi ne pas élargir le cercle, pourquoi ne pas aller plus loin dans le partage ? Les grandes décisions stratégiques sont discutées ensemble mais chacun garde sa liberté d’action. De même, le choix des fournisseurs est individualisé. Quel que soit le statut de l’entreprise fournisseur, les principaux critères sont la confiance, le respect de la parole donnée et la fiabilité.Georges, double actif
Quarantenaire, Georges Toulemonde a repris les terres familiales en 2020 tout en continuant son métier de cadre et s’appuie sur la société Agriland pour le volet technique.
Cadre à Paris dans les nouvelles technologies et âgé aujourd’hui de 45 ans, Georges Toulemonde a passé un bac agricole et effectué plusieurs stages avant de s’installer en 2020 sur les terres appartenant à sa famille depuis cent ans. Les 50 ha en propriété sont passés à 70 ha avec un objectif à court terme de 120 ha tout en donnant du sens à cet héritage. « Je ne suis pas un bobo bio parisien, mais je suis très sensible au réchauffement climatique et à l’appauvrissement de la ferme France. »Une solution répandue dans l’UE Pour s’occuper de ses terres, Georges Toulemonde s’est tourné vers une société spécialisée, Agriland. Une solution jugée « idéale et répandue dans les autres pays de l’Union européenne ». Cette société d’origine belge, présente en France depuis 2015, a été choisie car elle respecte « le projet, la terre et l’environnement ». Les décisions techniques et agronomiques sont prises après discussion. « Nous nous parlons chaque semaine, voire plus durant les périodes de travaux. » L’idée est de faire de cette exploitation une entité économique et écologique viable composée de grandes cultures, zones humides, prairies et bois. Sur cette base, Georges Toulemonde compte remplir au mieux les trois piliers du développement durable. L’économie : « Ne pas perdre d’argent et rentabiliser nos investissements ». Le social : « Aider nos voisins et choisir des cultures capables d’être porteuses d’emploi ». L’environnement : « Trouver l’équilibre le plus juste dans les intrants sans bannir le chimique, mais en le réduisant, préserver la faune et la flore et émettre le moins possible de CO2 ». Et l’agriculteur espère un jour ouvrir ses portes « au public pour faire de la pédagogie ».Sommaire Séduire les nouvelles générations d’agriculteurs