MATHIEU TOULEMONDE, fondateur de TerraTerre by Agoterra « Relocaliser et donner du sens à la finance carbone »
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Mathieu Toulemonde a fondé en 2020 l’entreprise à mission TerraTerre by Agoterra, qui connecte des agriculteurs français à des entreprises souhaitant compenser leurs émissions carbone. Il livre sa vision de ce marché naissant.
Vous avez fondé TerraTerre by Agoterra pour rapprocher les agriculteurs et les entreprises engagés dans une transition bas carbone. Quel est l’enjeu ?
Il est énorme ! Seuls 3 % des crédits carbone achetés par des entreprises françaises en 2021 ont financé des projets en France, et 1 % concernait l’agriculture. L’écrasante majorité finance des plantations d’arbres, souvent très loin… L’enjeu est de relocaliser et donner du sens à la finance carbone. Or l’agriculture est le premier puits de carbone en Europe. Et en même temps, il y a un gros sujet autour des sols agricoles dégradés. Soutenir la transition agroécologique permet de faire d’une pierre deux coups : séquestrer du carbone et améliorer le fonctionnement des écosystèmes.
L’autre enjeu est de créer du lien entre le monde agricole et le monde de l’entreprise, qui se connaissent mal. Entre agribashing et soupçons de greenwashing, il y a des clichés de part et d’autre… C’est pour cela que nous avons coorganisé l’évènement CarbonConnect en mars, à Lyon, qui a réuni 250 professionnels du monde agricole et d’autres horizons.
En quoi votre approche de la compensation carbone est-elle innovante ?
Nous créons un lien direct, local et transparent entre des agriculteurs et des entreprises engagées dans une trajectoire bas carbone. Concrètement, nous proposons aux entreprises d’acheter des crédits à des agriculteurs situés à moins de 100 km 100 % des projets sont audités par un organisme indépendant et répondent au label Bas carbone reconnu par le ministère de la Transition écologique. Une plate-forme web permet de suivre au fil du temps les actions réalisées par l’agriculteur (avec des photos des haies plantées, par exemple). Et nous proposons aux entreprises de visiter l’exploitation agricole qu’ils financent. Elles-mêmes doivent prouver la sincérité de leur démarche, à travers un diagnostic carbone et des efforts de réduction de leurs émissions.
Aujourd’hui, nous avons référencé 1 800 agriculteurs engagés dans une démarche sur cinq ans, accompagnés par des structures partenaires sur le terrain. Plusieurs centaines ont déjà signé un contrat tripartite avec TerraTerre et une entreprise. Celle-ci paye environ 50 € la tonne de carbone, soit dix fois plus que la moyenne mondiale sur le marché du carbone volontaire… 70 % de ce prix est reversé aux agriculteurs.
Quel rôle peuvent jouer les coopératives et négoces agricoles ?
Ils ont la légitimité et les compétences techniques pour accompagner les agriculteurs dans des démarches bas carbone. Une cinquantaine de coopératives travaille ainsi directement ou indirectement avec nous. Grâce à l’accompagnement technique, chaque exploitation peut choisir d’agir sur les leviers plus pertinents pour maximiser les impacts positifs à l’échelle de la ferme et du territoire : lutte contre l’érosion, bien-être animal, rétention d’eau des sols, biodiversité, paysages, qualité de l’eau, etc. Car même si la tonne de carbone est l’indicateur central pour mesurer la progression et rémunérer les agriculteurs, les cobénéfices sont aussi importants.
Le secteur agricole et agroalimentaire est-il aussi acheteur de crédits carbone ?
Il y a encore beaucoup d’inertie à cause d’un flou juridique concernant la notion de double-comptage. Les coopératives, industries agroalimentaires et sociétés de négoces émettent des gaz à effet de serre qu’elles peuvent chercher à compenser. Mais si elles accompagnent leurs agriculteurs dans des labels Bas carbone, peuvent-elles revendiquer les économies de carbone ainsi réalisées ? Des clarifications sont attendues au niveau européen pour éviter de comptabiliser deux fois les crédits carbone dans la chaîne de valeur… Le risque serait de casser la confiance envers ce marché émergent.
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