Délit de fuite

Les deux hommes arpentent la parcelle de blé tendre fraîchement levée. " J'ai mis 5 ha de plus que prévu. " Grégoire, jeune agriculteur de 27 ans, se baisse et scrute les jeunes plantules. Mickaël l'accompagne dans son geste. Technico-commercial depuis trois ans sur ce secteur, il commence à bien cerner la centaine de clients de son portefeuille. " Et tu as eu assez de désherbant alors ? ", interroge le TC. " Oui, oui, je me suis débrouillé ", répond rapidement l'agriculteur.

De retour dans la ferme, ils vont faire un tour dans le local de stockage de produits phytos. " Tiens, voilà les deux bidons de fongicide que je n'ai pas utilisés en colza. Tu me fais la reprise comme prévu ? " Grégoire tend les deux produits à son technico qui confirme d'un " oui, sans problème ".

En raccompagnant Mickaël à sa voiture, l'agriculteur lui demande de le rejoindre dans son bureau. " J'ai à te parler de quelque chose. " L'air soucieux, le TC s'asseoit près de Grégoire affairé devant son ordinateur. " Je cherche une info sur une nouvelle culture de printemps que je pourrais introduire dans mon assolement. Tu as peut-être de la doc dessus. "

Une bonne demi-heure s'écoule durant laquelle les deux hommes échangent sur les avantages et inconvénients d'une nouvelle production. Le tout nouveau logiciel de simulation de Mickaël fait son effet. " Super, ton truc là. Il donne même les marges nettes. Dis donc, je vais pouvoir revoir tout mon assolement avec cela. Tu y penseras juste après la prochaine moisson ? "

Grégoire remarque alors la mine renfrognée du technico. " Que t'arrive-t-il ? Quelque chose coince ? " " Euh, oui, non. En fait, voilà, comment dire... " Mickaël a du mal à trouver la bonne formulation. Mal à l'aise, il finit par donner la raison de son changement d'humeur. " En sortant du local tout à l'heure, j'ai remarqué un bidon à moitié plein d'un désherbant que je ne vends pas. Tu peux m'expliquer ? "

" Oh, mais c'est du produit acheté au gars du négoce qui habite pas loin de chez moi. Il y avait une promotion dessus et comme je rajoutais mes cinq hectares de blé. Mais t'inquiète, ce sont tes conseils que j'applique ", lui rétorque avec un grand sourire Grégoire.

Hélène Laurandel