Débrouille-toi, ramène des clients !

« Bruno, tu as refait la liste de tes prospects pour nos nouvelles actions commerciales ? » Son patron, Jean-Louis observe le technico-commercial affairé à ranger des dossiers. « Heu, non pas encore. Mais pas de soucis. Je reprends ceux de l'an dernier et ça roule. » Avec ses quinze ans de boutique chez ce distributeur du Nord, Bruno a pris ses habitudes et a peu à peu structuré son portefeuille clients. « Passe quand même me voir à 14 heures. Je voudrais revoir cela avec toi. » Le sourcil levé, le TC qui vient juste de passer la quarantaine, s'étonne de la réaction de son boss. « Mais tout va bien, rassure-toi. Et puis, cet après-midi, j'ai prévu d'aller chez Lucas des Vieux Moulins. » Soupirant, Jean-Louis hausse les épaules et s'en va rejoindre son assistante qui vient de le héler.

Deux semaines plus tard, à la fin d'une réunion technique, il recroise Bruno. « Bon, cette fois-ci, tu ne vas pas y couper. Rendez-vous demain à la première heure au bureau. J'ai quelques mots à te dire. »

7 h 30. Siège social de Graindépi. Ne comprenant toujours pas pourquoi Jean-Louis s'intéresse tant à cette liste de prospects, le technico s'installe face à lui l'air préoccupé.

« Ne fais pas cette tête-là. J'ai parlé à Alexandre Moisan de Pont Neuf. Il s'est mis en Gaec il y a trois ans. Il paraît que tu ne vas plus le voir depuis ce temps-là. » Faisant la moue, Bruno l'interrompt : « Il n'a jamais vraiment voulu bosser avec nous. Et son associé est réputé pour être difficile en affaires. Je n'ai plus envie de me casser les dents avec eux. »

Secouant la tête, son dirigeant rétorque. « Ce n'est pas une raison. Je l'ai senti prêt à faire le pas avec nous. Leur fournisseur n'a pas été réglo sur une commande. Ils ont quand même 400 ha à eux deux. T'as ta liste de prospects ? Pourquoi tu as mis des points d'interrogation devant ces deux autres Gaec. Et celui-là qui est dans le nord de ton secteur. Ce ne sont pas des petites fermes. Faut te remuer Bruno. » Gêné, le TC grommelle. « Mais bon, je les ai déjà visités. Ils sont indécrottables. » Passablement énervé, son patron finit par lâcher : « Nous avons perdu des clients partis à la retraite. Faut compenser. Alors débrouille-toi mon gars mais ramène-moi du monde. »

Hélène Laurandel