Vu en Roumanie
Constantza, plaque tournante du commerce mondial
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Le port de Constantza, en Roumanie, aura un rôle majeur dans les dix prochaines années pour le trafic maritime des céréales. Il s’affiche d’ores et déjà comme le leader en tonnage en Europe.
«Constantza, station balnéaire sur la mer Noire, a toujours eu une vocation de commerce, amplifiée depuis 1987, quand le régime communiste a l’idée géniale de creuser un canal de 95,6 kilomètres qui relie le Danube au port, permettant ainsi l’approvisionnement de toute l’Europe centrale », souligne Serban Hieusor, président d’un important club de producteurs impliqués dans le port.
Excellentes connexions logistiques
Le port de Constantza, qui emploie 13 000 personnes, c’est la vie de la cité. Avec ses 4 000 ha et ses 30 km de quai, il est le plus vaste d’Europe. Les 21,3 millions de tonnes de transit en ont fait le premier port européen d’exportation de céréales.
Au carrefour des routes commerciales reliant les marchés des pays européens enclavés à l’Asie centrale et au Moyen-Orient, Constantza a d’excellentes connexions logistiques avec les pays d’Europe centrale et orientale grâce au rail, à la route et au Danube. Zone franche depuis le 1er janvier 2007, le port, avec ses installations modernes et une profondeur qui va de 9 à 17,6 m, est une plaque tournante pour le trafic des grands bateaux et des conteneurs en mer Noire. Capable d’accueillir tout type de panamax, il répond aux grands marchés internationaux d’État, notamment ceux du Moyen-Orient et du Maghreb. La moitié de l’approvisionnement des céréales est fluviale via le Danube, le reste à parité par train et par route. « Nos grandes exploitations roumaines livrent directement par la route, précise Serban Hieusor. Le reste arrive de toute l’Europe via les organismes stockeurs et les traders par le Danube. »
Vers un doublement des capacités
Le port est en perpétuel chantier. Il est multimodal et multitrafic (charbon, pétrole, céréales…). Les céréales représentent plus de 30 % du volume total. « Ce qui est remarquable à Constantza, c’est que les 4 000 hectares actuels peuvent devenir 8 000 sans difficulté. Un nouveau port est en construction dans sa partie sud de 350 000 tonnes. Il succède à celui de 200 000 t qui a été finalisé en 2019. Des travaux, notamment des émirats, sont aussi en cours pour gagner sur la mer comme à Dubaï », précise Silviu Radulescu, du groupe agro-industriel américain ADM.
L’ensemble des multinationales sont présentes. Celles qui l’avaient abandonné, comme Louis Dreyfus en 2000 au profit d’autres ports de la mer Noire, sont revenues en 2019. Glencore et Bunge ont acheté des capacités dans le nouveau port. Les Chinois y ont pris place depuis 2014. Nouveaux venus, les investisseurs du Moyen-Orient s’y précipitent. Une partie du port est même appelée « port Koweït ». « Il faut dire que la situation est privilégiée pour aborder les marchés en croissance que seront l’Afrique et le Moyen-Orient, le tout avec des marges de fobbing très intéressantes, ce qui en fait un atout majeur pour nos entreprises à la recherche de gains rapides avec des rotations fortes dans les silos », sourit Silviu Radulescu. Cofco, Ameropa, Cargill, ADM, CHS et Glencore représentent 90 % des volumes traités en 2020.
Le projet d’une autoroute maritime qui traverse l’Europe
En 2010 commence la véritable compétition commerciale que livre le port à ses concurrents en mer Noire, mais aussi à Rotterdam en mer du Nord. Rapidement conscients de cet enjeu, les responsables du port néerlandais ont proposé aux Roumains, en 2016, de gérer leurs infrastructures portuaires. En dépit des 3 500 km de navigation entre les deux ports, une telle alliance permettait à la Roumanie et aux Pays-Bas d’assurer le leadership de la logistique de toute l’Europe par voie fluviale et maritime.
Les Roumains en ont décidé autrement, préférant garder la main, et l’ont réaffirmé fin 2019. Delia Constantinescu, directrice marketing du port, précise : « Le fait que nous puissions être reliés à la mer du Nord n’est pas si important pour nous. Nous devons capter les marchandises d’Europe centrale, Hongrie, Autriche, République tchèque qui, actuellement, vont vers Rotterdam, en complément des productions roumaines, bulgares et serbes. C’est ce que nous avons comme défi pour les dix prochaines années. » Une belle ambition, sachant qu’en 2050, la nourriture d’un homme sur deux dépendra du commerce international, contre 17 % aujourd’hui.

Port de Constantza : avec ses 4 000 ha (2019) et 30 km de quai, il est le plus vaste d’Europe, sinon du monde.
Trafic : 66 Mt traitées, dont 21,3 Mt de céréales, avec un triplement du trafic céréales en dix ans (+ 19 % entre 2018 et 2019).
4 176 navires de mer.
10 395 navires fluviaux.
40 100 conteneurs pour 6,5 Mt.
Effectif : 13 000 personnes.

La situation géographique du port de Constantza, sur la mer Noire, le rend directement concurrent avec les ports russes (Novorossiysk, Sochi) et ukrainiens (Odessa, Mykolaïv) et, dans une moindre mesure, bulgares (Varna, Bourgas). Il s’affiche aujourd’hui comme le leader en tonnage de céréales en Europe et souhaite devenir une référence mondiale.
« C’est un port qui fonctionne très bien avec de bonnes infrastructures et une profondeur qui permet les panamax, confirme Jean Philippe Everling, directeur de Transgrain France. Nous, Français, ne sommes pas directement concurrents, sauf éventuellement sur les ventes Égypte. En effet, les transits de blé sont surtout en fourrager et en maïs. Par contre, il est vrai que les Roumains peuvent être une sacrée concurrence à Rotterdam. »