Les engrais décarbonés font causer aux Rencontres de l’Afcome
Aux Rencontres internationales de l’Afcome, les 3 et 4 novembre à Pau, les fabricants d’engrais ont présenté leurs solutions, dont certaines sont en passe d’être mises en marché, pour décarboner le secteur. La distribution demande à voir comment les délivrer sur le terrain.
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Aux 17es Rencontres internationales de l’Afcome, qui se sont déroulées les 3 et 4 novembre à Pau (Pyrénées-Atlantiques), il était beaucoup question de décarbonation des engrais, les fabricants étant fortement mobilisés sur le sujet. Il est en effet inévitable que produire à plus faible empreinte carbone guide les marchés à l’avenir.
Des premières livraisons imminentes
Fertiberia a ainsi rappelé qu’elle a été la première entreprise du secteur à annoncer sa neutralité carbone pour 2035 aux portes de ses usines et qu’elle s’apprête à commercialiser ses premiers engrais « zéro impact », d’abord en Espagne, puis en France, mais dans des volumes assez confidentiels au démarrage. Produits à partir d’ammoniac vert, ces fertilisants seront rassemblés au sein d’une gamme « Impact 0 ».
Yara devrait aussi livrer ses premières tonnes d’engrais décarbonés en 2023, un premier accord de distribution ayant été passé avec la coopérative suédoise Lantmännen. Au niveau mondial, le fabricant norvégien a l’ambition de décarboner un tiers de sa production d’ammoniac à l’horizon 2030, soit 3 Mt sur les 9 Mt produites annuellement. « 2,4 Mt sont déjà engagées contractuellement, dont 2 Mt en ammoniac bleu et 0,4 Mt en ammoniac vert », fait savoir Nicolas Broutin, président de Yara France.
De plus en plus d’ammoniac bleu et vert
Par opposition à l’ammoniac dit « gris », issu du gaz naturel, l’ammoniac est qualifié de « bleu » lorsqu’il est produit toujours à partir de gaz naturel mais que le CO2 rejeté est capturé et stocké, ou de « vert », lorsqu’il est issu de l’hydrogène d’électrolyse produit par des ressources renouvelables. Pour avoir un ordre d’idée, le rapport de coûts actuel entre les trois est le suivant, selon Nicolas Broutin : 3 pour l’ammoniac gris, 5 pour l’ammoniac bleu et 10 pour le vert. Mais il estime que les coûts convergeront à horizon 2035-2040.
Borealis, dont l’activité azote est en cours de rachat par Agrofert, a de son côté, avec son partenaire Hynamics, le projet d’installer au niveau de son site d’Ottmarsheim (Haut-Rhin) une station d’électrolyse de 30 MW pour la production de 4 300 t/an d’hydrogène bas carbone. Alimentée par le mix électrique bas carbone français, cette station fournira de l’hydrogène à l’usine afin de produire 24 000 t/an d’ammoniac bas carbone (15 % de la production du site) à l’horizon 2025-2026.
Il n’y a d’ailleurs pas que les engrais azotés qui vont subir une décarbonation. Ainsi, K + S a évoqué son engagement à produire du MOP vert et ICL envisage de ne plus utiliser que du phosphore recyclé dans ses produits phosphatés à terme.
L’industrie agroalimentaire en soutien
Y aura-t-il un marché pour ces produits, certes vertueux, mais tout de même largement plus onéreux, même en période de cours du gaz très élevés ? se demandait alors la distribution lors des Rencontres de l’Afcome.
« Il faut flécher ces marchés, car il ne faudrait pas que ça génère une destruction supplémentaire de la demande, répond Nicolas Broutin. En temps normal, la fertilisation, c’est 1 centime sur la baguette, ça va doubler. On a besoin des pouvoirs publics. L’intervention politique et le soutien des États est fondamental. » « Mais si ça prend trop de temps, le risque est de voir arriver de l’hydrogène décarboné importé, reprend Bertrand Walle, directeur climat et énergie chez Borealis France. Il faut améliorer la rentabilité de l’électrolyse de l’eau et être capable de déployer de fortes quantités d’électricité. »
Pour Fertiberia, ce sont l’industrie agroalimentaire et les filières qui vont faire bouger les lignes. D’ailleurs, le fabricant espagnol vient de signer un accord (non encore dévoilé) avec un brasseur qui est « prêt à payer à l’agriculteur la différence de prix entre un fertilisant classique et un fertilisant vert », assure Clément Knockaert, chef de produit Impact Zéro chez Fertiberia. « Avec ce type de produits, on n’est plus dans la valorisation en fonction des coûts de production, mais en fonction de la valeur perçue par le marché », signale Jean-Luc Pradal, DG de Fertiberia France, refusant toutefois de donner un ordre de prix pour ces engrais tant qu’il n’y a pas un vrai marché.
« On va marcher sur un fil »
« Il va falloir qu’on s’habitue à passer d’acheteur gris à acheteur vert, conclut Patrick Loizon, DG de l’UDCA depuis cet été, et ancien responsable fertilisants chez Inoxa. On va marcher sur un fil entre la vertu de ces produits et la nécessité économique de les délivrer dans les meilleures conditions pour les agriculteurs. Ça sera assez coton. »
« Ça risque d’être sportif, reprend Alexis Portheault, président de l’Afcome et vice-président de NatUp. Pour le consommateur, ce seront quelques centimes à mettre en plus dans son alimentation, car cette production plus propre ne doit pas être au détriment de l’agriculteur. Mais je peux vous assurer que Dominique Chargé a été impressionné par la décarbonation en marche dans le secteur. »
Renaud FourreauxPour accéder à l'ensembles nos offres :