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Les insectes à toutes les sauces

PAULINE DE COURREGES/YNSECT

La production européenne d’insectes, destinée à la nutrition humaine et surtout animale, devrait connaître en 2020 des évolutions majeures, que ce soit aux niveaux réglementaire ou industriel.

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En 2019, 6 000 t de production européenne d’insectes, en 2020, 100 000 t, et en 2025, 1,2 Mt ? L’incertitude est grande, mais cette production devrait connaître cette année plusieurs tournants essentiels. D’une part, plusieurs usines de taille industrielle sont en train de sortir de terre, dont les deux plus grandes en France (Ynsect à Amiens, InnovaFeed à Nesle). D’autre part, la réglementation européenne doit leur ouvrir les portes de plusieurs marchés. La situation des dossiers pour la nutrition humaine devrait en effet se clarifier avec l’obtention d’agréments dans le cadre de la réglementation Novel Food. Le marché reste en attente d’un rapport de l’Efsa et les producteurs espèrent une homogénéisation au sein de l’UE, les États membres appliquant de manières différentes l’esprit du texte qui impose un dossier lorsque l’aliment n’a pas été couramment consommé avant 1997.

Du côté de la nutrition animale, après l’aquaculture en juillet 2017, les monogastriques pourraient s’ouvrir aux protéines d’insectes. La décision des autorités européennes était suspendue au fait de disposer de tests capables de différencier l’origine des protéines dans l’alimentation des animaux, afin d’assurer l’absence de cannibalisme. Les tests sont disponibles désormais, reste aux experts puis aux législateurs à ouvrir les marchés concrètement.

Améliorer l’autonomie protéique

L’un des premiers enjeux est d’améliorer l’autonomie protéique des élevages. Elle n’est en effet que de 27 % dans l’UE. Et, même si elle atteint 63 % en France grâce à sa diversité d’assolements dont le colza, la demande s’accroît pour des aliments issus de matières premières locales. Avec 55 % de MAT (matières azotées totales), les farines d’insectes mises sur le marché présentent un profil intéressant pour les volailles, notamment pour les formules garanties sans OGM. Toutefois, les prospectives comme celle réalisée par le Céréopa dans le cadre du projet Vocalim, montrent que les volumes seront d’abord consommés par l’aquaculture (qui en avale déjà 70 % en remplacement des farines de poisson) puis par les petfood, avant de devenir disponibles en volumes et en prix pour les autres espèces.

Les huiles y sont déjà autorisées puisque les petfood, l’aquaculture, la nutrition des volailles et des porcs n’ont aucun interdit en la matière. Mais elles sont peu utilisées car elles coûtent en moyenne 10 fois le prix de l’huile de coprah. Leurs caractéristiques physiques sont proches, mais la nature animale de l’huile d’insectes dresse de surcroît des obstacles psychologiques chez les formulateurs (lire encadré). Les Néerlandais n’ont pas tant de blocages, comme le montre Protix qui, fondée en 2009, a inauguré en 2019 la plus grosse unité de production européenne actuelle et dont les produits sont valorisés dans la filière Oirei, des œufs de poules nourris aux insectes.

Des millions de tonnes d’engrais

Si la production de protéines d’insectes atteint les 3 Mt en 2030, selon les prévisions de l’Ipiff (1), elle générera aussi 10 Mt de frass, engrais organique issu de déjections d’insectes. Composé des excréments des larves et du reste des supports d’élevage, ses caractéristiques varient donc en fonction des substrats utilisés : coproduits des IAA, fruits et légumes, céréales ou leurs mélanges. L’aliment support des insectes est encadré par la réglementation européenne qui interdit l’usage d’excréments, de déchets alimentaires, de protéines animales transformées autres que des farines de poissons, et fixe les limites en matière de contaminants (règlements 767/2009 et 999/2001).

Les produits frass sont déjà sur le marché. Ainsi, l’YnFrass de Ynsect affiche une teneur NPK 4-3-3, avec un taux de matière organique avoisinant les 90 %. InnovaFeed indique de son côté que son FrassiNova est utilisable en agriculture biologique. L’Ipiff a édité, le 19 septembre 2019, sa contribution, demandant notamment à l’UE de clarifier précisément le statut de ses frass afin qu’ils soient inclus dans les fertilisants organiques au même titre que tous les autres fumiers ou lisiers animaux.

Plusieurs accords industriels

Anecdotique dans les années 2010, la réalité de la production d’insectes intéresse désormais les investisseurs : l’Ipiff chiffre ainsi à 600 M€ le montant déjà rassemblé par ses adhérents. Outre les financeurs de start-up, plusieurs acteurs de la nutrition animale se sont également lancés. C’est le cas de Cargill qui, en sus de la filière montée avec InnovaFeed pour la production de truites aux insectes en France en 2018, a annoncé en juin 2019 nouer avec elle un partenariat stratégique pour la production d’aliments pour poissons à base de protéine d’insectes en sécurisant ses approvisionnements à la source. C’est aussi le cas de la Ciab, Coopérative interdépartementale des aviculteurs du bocage qui, via sa filiale Arrivé Nutrition animale, est actionnaire d’un autre producteur d’insectes, Next­Alim, même si sa part est faible (1 %). L’entreprise de Chasseneuil-du-Poitou a par ailleurs signé en juin 2019 avec une autre coopérative, NatUp, un accord de partenariat pour implanter une usine en Normandie. Du côté de l’approvisionnement des sites de production, le partenariat le plus emblématique reste celui entre InnovaFeed et Tereos. L’usine de ce dernier sera en effet reliée directement à la nouvelle unité pour nourrir les insectes avec ses coproduits. Pour son site pilote (Gouzeaucourt), l’alimentation est fournie par Nealia, expliquait Cédric Letissier, directeur développement des activités de la coopérative, lors de la journée « Insectes » organisée par l’Aftaa en collaboration avec l’université de Tours, en novembre dernier : « Nous produisons 10 000 t d’aliments humides complets spécialement formulés pour les insectes. » Le breton Paulic Meunerie, de son côté, développe sa propre production de sons dédiés à l’élevage d’insectes et vendus sous la marque Nourrifibre depuis 2018. Ils sont traités par ozonation selon son procédé, Oxygreen, qui réduit la concentration en mycotoxines et en moisissures tout en améliorant leur concentration en fibres solubles au bénéfice de la croissance des animaux.

Yanne Boloh

(1) L’Ipiff, plateforme internationale pour les insectes destinés à l’alimentation humaine et animale, a 22 membres producteurs dont 10 en France.

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