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Alpina Savoie pionnière sur le blé dur bio et sans résidu de pesticides

Jean-Philippe Lefrançois, directeur général d’Alpina Savoie depuis 2013.

Le plus ancien semoulier-pastier de France, à l’origine d’une filière blé dur bio il y a dix ans, se lance désormais dans le « zéro résidu de pesticides » et s’engage de manière inédite en faveur de la restauration de la biodiversité.

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Née en 1884, Alpina Savoie a bien failli dévisser en 2007 lorsque les cours du blé dur ont flambé. L’entreprise de Chambéry, qui se place sur le créneau « des pâtes de haute qualité, issues d’un savoir-faire traditionnel, transmis de génération en génération », se retrouve alors en redressement judiciaire, puis est sauvée par le groupe Galapagos, lequel contrôle toujours aujourd’hui 40 % du fabricant de pâtes aux côtés de Crédit mutuel Equity (40 %), le solde étant détenu par la BPI, la Banque de Savoie, le DG et le Daf. « Alpina Savoie s’est d’abord recentrée sur les produits à forte valeur ajoutée en abandonnant les MDD avec lesquelles elle perdait de l’argent. Puis en 2015, après une nouvelle remontée des cours, on a revu notre politique d’approvisionnement avec l’instauration de contrats triennaux basés sur des volumes et des prix garantis », indique le DG, Jean-Philippe Lefrançois. Un système qui devrait permettre de lisser la nouvelle envolée des prix du blé dur (lire ci-contre), même s’il va falloir renégocier à la fois avec les enseignes et les agriculteurs.

Huit cahiers des charges

L’industriel, spécialiste des « filières blé dur exigeantes », en conventionnel ou en bio, gère aujourd’hui, au-delà de ses propres référentiels, cinq cahiers des charges dans les pâtes, parmi lesquels une filière baby food (500 t avec Natura’pro), C’est qui le patron ? (1 000 t avec les Ets Souchard) ou encore la filière qualité Carrefour (2 500 t avec le groupe CAPL Provence-Languedoc, les Ets Bosc et Izarn et la Drômoise de céréales). « À partir de 1 000 t, il faut répartir le risque en se fournissant chez plusieurs OS », soutient-il.

Dans un contexte où le consommateur s’interroge de plus en plus sur ce qu’il achète, même en bio, Alpina Savoie a souhaité aller encore plus loin en 2019 : être « la seule entreprise à produire des pâtes bio 100 % françaises issues de blé garanti sans utilisation de pesticides, même ceux autorisés en bio ». Cet engagement se matérialise désormais par l’apposition d’un macaron « zéro résidu de pesticides » (ZRP) sur les pâtes concernées. « C’est un objectif de résultat inédit sur le marché du bio, plutôt habitué aux objectifs de moyens », se félicite le directeur. Alpina Savoie ne part pas de zéro puisqu’elle s’est lancée il y a dix ans dans la structuration d’une filière de blé dur bio en Camargue, autour de Biosud et Sud céréales (Agribio Union), qui couvre aujourd’hui 1 000 ha, et dont elle achète environ 95 % de la production, soit 3 500 t, pour sa référence Bio de France, première à devenir ZRP.

Pâtes filière française (1 000 t avec Val de Gascogne), en conventionnel, est sa deuxième marque propre à passer ZRP. Elle est d’ailleurs certifiée par le collectif Nouveaux champs (engagé dans le ZRP) auquel la PME adhère. L’entreprise a également mis deux références de couscous pour la grande distribution en ZRP. Ce qui reste minoritaire car son couscous est vendu surtout sur des créneaux à moindre valeur ajoutée (IAA, grossistes, RHD, export).

Soutenir les rotations

Pour Marc Thomas, président de Biosud, qui travaille de longue date avec Alpina Savoie, « cela fait plus de dix ans que nous n’utilisons aucun pesticide sur nos cultures, y compris ceux tolérés en bio ».

En revanche, le changement avec cet engagement « zéro résidu de pesticide » consiste en la mise en place, sur plus de 500 molécules, de contrôles libératoires : trois au champ (aux stades 3 feuilles, floraison et récolte) prélevés par l’OS et envoyés à un laboratoire, et deux à l’usine (au moulin et lors du conditionnement). Avec déclassement des lots si besoin.

Même si la Camargue bénéficie de conditions climatiques défavorables aux pathogènes, il a fallu mettre au point des techniques culturales pour réussir à se passer complètement de phytos. En plus d’opter pour des variétés résistantes, Biosud a raisonné la rotation sur cinq ans pour limiter l’enherbement et les maladies : « Deux ans de luzerne pour enrichir le sol en azote et nutriments, une année de riz, qui permet de dessaler les sols et les nettoyer des bioagresseurs, et deux ans de blé dur », détaille Marc Thomas.

Pour développer sa zone de fourniture en bio, et aussi parce que le blé dur n’est pas à la fête dans le Sud-Est, Alpina Savoie imagine déjà des rotations avec légumineuses en Occitanie ou avec des tomates en vallée du Rhône. Elle vient d’ailleurs de lancer un coulis ZRP, et compte dès mars 2020, « afin d’accompagner les rotations de nos partenaires agriculteurs », conditionner et vendre du riz bio de Camargue ZRP (avec Biosud) et du quinoa berrichon bio ZRP.

Un programme de mécénat

Pour prouver les bénéfices environnementaux de la production de blé dur sans utilisation de pesticides, le fabricant de pâtes a décidé de financer pour trois ans une étude « Agriculture et biodiversité en Camargue » avec la fondation Tour du Valat, un institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes. Ce programme vise à évaluer l’impact de cette filière sur la biodiversité camarguaise (insectes, mollusques, amphibiens, oiseaux, chauves-souris), identifier des actions bénéfiques pour la régénération des écosystèmes et inspirer de meilleures pratiques agricoles, en Camargue, mais aussi sur l’ensemble du territoire national. L’institut a déjà montré en 2017 que la riziculture bio permet de retrouver deux fois plus d’espèces d’invertébrés et six fois plus d’amphibiens que sur les parcelles conventionnelles.

« L’hypothèse que nous souhaitons tester, indique Thomas Galewski, chef de projet à la Tour du Valat, est de savoir si la présence d’infrastructures agroécologiques, ces espaces non cultivés au sein du paysage agricole, permet d’augmenter la biodiversité dans les champs et si cette augmentation profite aux agriculteurs. Afin de convaincre le plus grand nombre d’entre eux, nous avons besoin d’apporter la preuve que contribuer au retour de la biodiversité ne réduit pas le rendement et qu’il peut même les aider dans leur activité. »

Renaud Fourreaux

© Renaud Fourreaux - Géré par Antoine Chiron (6e génération), le moulin de 40 000 t de blé dur/an, équipé d’un groupe froid, est l’une des cinq semouleries de France. « On travaille aussi à façon pour près de 20 % de notre activité, informe-t-il. Cela nous permet d’être en prise avec le marché. »

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