Céréales et oléagineux Des marchés durablement soutenus
Depuis cet automne, en raison d’un resserrement progressif de l’offre mondiale et d’un appétit sans borne de la Chine, les cours des céréales et des oléagineux ont retrouvé le chemin de la fermeté. Laquelle pourrait bien durer encore quelque temps, dans un contexte de volatilité exacerbée. Par Renaud Fourreaux
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En 42 ans de carrière, il n’avait jamais vu un tel renversement de situation. Dan Basse, président du cabinet américain AgResource, mondialement connu dans le secteur des grains, a marqué les esprits lors de la 5e édition du Paris Grain Day. C’est en effet dans un contexte de hausse record des prix depuis six mois que s’est tenu le rendez-vous européen du marché des matières premières agricoles, organisé par Agritel en visioconférence fin janvier : en l’espace de quelques mois, céréales et oléagineux sont passés d’un contexte d’offre lourde à un marché très tendu.
Au plus haut depuis huit ans
Le changement majeur repose sur une accélération de la demande, la pandémie mondiale incitant les grands pays importateurs à sécuriser chez eux des stocks alimentaires. En premier lieu, « la Chine, portée par sa croissance et une demande domestique insatiable, entraîne toutes les matières premières, hors pétrole, à la hausse dans des proportions jamais atteintes depuis huit ans », analyse-t-on chez Agritel. Là-bas, on assiste au grand retour de la capitalisation du cheptel porcin, même pas encore revenu à son niveau d’avant la survenue de la peste porcine africaine, et à une politique de constitution de stocks de maïs par les fabricants d’aliments locaux. Ainsi, pour la première fois, la Chine deviendrait le premier importateur mondial de maïs.
La céréale est donc aux avant-postes et s’affiche comme le leader de cette campagne : rien que sur la dernière semaine de janvier, « la Chine a acheté un peu moins de 6 Mt de maïs américain, soit une quantité plus importante que les exportations moyennes des États-Unis vers ce pays lors des dernières campagnes », rapporte l’AGPM. Selon AgResource, les importations chinoises de céréales américaines devraient être comprises entre 25 et 27 Mt, dont 18 à 20 Mt de maïs. Et l’élection de Joe Biden ne devrait pas remettre en cause, du moins dans l’immédiat, l’accord commercial conclu par son prédécesseur.
Que ce soit en maïs, mais aussi par effet de ricochet en orge et en blé, la Chine aspire tout ce qui est disponible. Ainsi, sur cette première partie de campagne, 93 % des orges françaises exportées vers les pays tiers y étaient destinées, et 40 % des blés (1,6 Mt, + 144 % par rapport à l’an dernier !). Ce qui génère en France des stocks de report prévisionnels au plus bas depuis le début des années 2010. Même si on s’attend à ce que ce courant soit un peu moins dynamique en deuxième partie de campagne.
Mais de l’avis des experts présents au Paris Grain Day, l’empire du Milieu devrait continuer d’importer massivement pendant encore plusieurs années afin de garantir sa sécurité alimentaire qui, en vrai, même si elle est vantée par les autorités locales, ne cesse de se dégrader. « Tous grains confondus, les experts chinois l’estiment plutôt à 80 % dans les années à venir au lieu de 90 % aujourd’hui », chiffre Philippe Heusèle, président de France export céréales.
Le colza à 450 €/t
Pour tous les oléagineux, la situation est également sous tension. En soja, la production américaine est certes la 4e plus élevée jamais enregistrée, « mais la demande est tellement forte que les stocks pourraient être les plus bas depuis 2013-2014 », rapporte Cynthia Nickerson, adjointe à l’économiste en chef au ministère américain de l’Agriculture. La récolte sud-américaine sera déterminante pour équilibrer le bilan, mais les premières récoltes étaient décevantes. Au-delà des 450 €/t (+ 65 €/t en 4 mois), le colza Euronext est au plus haut depuis mai 2013. Le Canada peinera à venir à la rescousse. « Malgré une récolte de canola prévue en hausse de 1,7 Mt en 2021, les stocks devraient encore baisser, fait remarquer l’analyste canadien Chuck Penner. Il n’y a pas vraiment de répit en perspective. »
Le Paris Grain Day Consensus est particulièrement révélateur de l’effervescence actuelle. Issu du vote des 300 acteurs internationaux de la filière des grains présents à l’évènement, et censé refléter leur sentiment de marché, il affichait une tendance haussière pour l’année 2021, avec une note de 3,63 sur 5 (5 étant très haussier). Pour rappel, cet indicateur s’élevait à 3,08 début 2020.
Cette spirale est accentuée par les fonds d’investissement, par le weather market et par la volonté des grands pays exportateurs de protéger, eux aussi, leurs propres marchés domestiques de l’inflation galopante des prix, comme l’Argentine ou la Russie (lire encadré).
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