COLLECTE Le scénario catastrophe de la moisson 2016
Avec des millions de tonnes manquantes, la moisson 2016 est un coup dur pour toute la filière. Chez les OS, le mot d'ordre est aux économies. L'année va peser lourd sur les entreprises et la campagne prochaine s'annonce délicate.
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« On se souvient de 1976, mais 2016 va laisser des séquelles. » Patrick Moron, administrateur de Terrena, résume bien le sentiment général : l'année est catastrophique pour le monde agricole. La campagne avait pourtant bien commencé. « A la sortie de l'hiver, le potentiel était très élevé et il le restera jusqu'à fin mai », rappelait mi-juillet Christophe Grison, président de la coopérative Valfrance. Il s'en est suivi un cycle infernal de révision à la baisse des prévisions. Le 1er juillet, Agreste estimait une récolte de blé à 37 Mt. Mi-juillet, on parlait de 33 Mt. Le 5 août, FranceAgriMer, Terres Inovia et Arvalis donnaient 29,1 Mt. Une estimation qui tombe à 28,68 Mt pour Agritel (au 9 août), et 28,2 Mt pour Offre et demande agricole (au 1er août). Le blé n'est pas la seule culture qui voit ses volumes partir en fumée : toutes les cultures sont touchées, même si le colza s'en tire un peu mieux (voir ci-contre).
Des volumes parfois divisés par deux
« En gros, la France est partagée en trois, résume Sébastien Picardat, DG de la FNA. Au sud d'une ligne Bordeaux-Lyon, les rendements sont corrects, en phase avec les moyennes. Dans le grand Ouest, soit la Bretagne, les Pays de la Loire et la façade atlantique, les rendements sont en léger retrait, de 5 à 10 %. Et plus on va vers l'Est, pire c'est. Avec deux points noirs : le Centre et la région Champagne-Ardenne-Picardie, avec une partie de la Lorraine et la Bourgogne, où les pertes atteignent 50 %. » Germain Bour, directeur général de Cerepy, témoigne : « Tous produits confondus, la collecte est divisée par deux par rapport à 2015, et recule de 40 % par rapport à la moyenne décennale. » En blé, la coopérative de l'Yonne accuse une baisse de 60 %. Chez Vivescia, les volumes, tout confondus, chutent de 35 %. « La moyenne de collecte en blé est à 55 q/ha, contre près de 84 q/ha habituellement », chiffre Jean-Olivier Lhuissier, directeur des activités agricoles. Même son de cloche chez Soufflet. « Les volumes de blé sont divisés par deux, indique François Berson, directeur de la collecte de Soufflet Agriculture. C'est plus d'1 Mt qui s'est envolé, sur toutes les productions. »
Des poids spécifiques au plus bas
Et la qualité est un problème : « On a des blés de m... », soupirait un opérateur fin juillet. « Les blés sont quasiment impossibles à commercialiser en direct, il y a un gros travail de nettoyage à faire », relate François Berson. « En moyenne, on a un tiers d'épis vide, un tiers avec des petits grains, et un tiers correctement rempli », analyse Sébastien Picardat. Pour le coup, les taux de protéines sont bons, entre 11,5 et 13 %. C'est du côté des poids spécifiques que ça coince. Chez Soufflet, la moyenne est à 71 kg/hl. Chez Vivescia, elle avoisine les 70, avec 25 % des blés avec un PS inférieur à 68. Chez Cerepy, la moitié est en dessous de 70. Sur les marchés, les prix ne sont pas là, la récolte ayant été nettement meilleure à travers le globe. Chez ODA, Renaud de Kerpoisson reste optimiste : « La récolte mondiale n'est pas si record. Et la consommation augmente. Les prix vont repartir. »
Plans d'austérité chez les OS
Dans tous les cas, pas de quoi compenser une telle baisse des volumes. Les finances des agriculteurs et des OS vont s'en ressentir. Pour accompagner les premiers, les seconds ont d'ores et déjà pris des mesures : réfactions revues, paiements reportés, etc. (lire ci-dessous). Et pour les OS eux-mêmes, l'heure est aux économies. « Nous avons arrêté nos contrats saisonniers avant l'heure, témoigne Patrick Beauvillard, directeur commercial d'Ile de France Sud. On a tout fait avec les camions de la coopérative, sans faire appel à un transporteur, quitte à ce qu'il y ait des blés dehors. » Axéréal chiffrait fin juillet son manque de collecte à 1,3 Mt, soit une perte de chiffre d'affaires de 10 %. Le groupe coopératif s'est séparé de ses 550 saisonniers dès le 20 juillet, et se limite à des investissements de sécurité. Chez Vivescia, il va manquer près d'1 Mt. « Le faible volume de moisson a permis de mettre en place un système pour que les agriculteurs livrent directement aux silos expéditeurs, ce qui limite les coûts de transport », explique Jean-Olivier Lhuissier. Chez Cerepy, « nous avons lancé un plan drastique, indique Germain Bour. Tous les investissements sont reportés ».
Double peine avec les appros
Avec des trésoreries affaiblies dans les exploitations, « les réflexes de consommation vont être différents pour la campagne 2016-2017 », analyse Jean-Olivier Lhuissier. « C'est le deuxième impact de la moisson : le financement des appros pour la campagne à venir, alerte Sébastien Picardat. C'est ce qui présente le plus de risques pour nos entreprises. Comment gérer le risque client ? » Les distributeurs planchent déjà sur le sujet. Ainsi, Coop de France et la FC2A, porte-parole du commerce agricole, ont soumis leurs doléances au gouvernement, notamment concernant les délais de paiement... pour essayer de limiter les dégâts.
Marion Coisne
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