La consommation d’azote en question
Selon notre sondage, les utilisations d’azote par les agriculteurs semblent orientées à la baisse cette campagne. Qu’en est-il vraiment ? Et pour la prochaine ? Car le risque sur les niveaux de récolte est réel.
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La campagne 2021-2022 restera exceptionnelle à bien des égards. Mais ce qu’on pourra retenir, c’est qu’en un an, les prix des engrais azotés ont tous été multipliés par trois à quatre. Si l’azote est traditionnellement un produit peu sensible aux variations de prix, qu’en est-il finalement cette année ? Notre sondage réalisé à la mi-mars paraît sans appel : environ deux tiers des agriculteurs interrogés envisagent d’utiliser moins d’azote en 2021-2022, par rapport à la campagne précédente. Cette proportion est légèrement plus élevée dans le Sud (68 %) et chez les éleveurs (68 %). Seuls 28 % envisagent d’en utiliser autant.
Un retrait de 5 à 10 % envisagé
Selon ses statistiques à fin janvier, l’Unifa fait également état d’une baisse cette campagne de 6 % des livraisons d’azote (de 21 % du P2O5 et 9 % du K2O) qui intervient après une campagne 2020-2021 déjà en fort retrait (− 18,1 % pour l’azote). Et en théorie, la consommation finale pourrait être proche des livraisons à la distribution, puisque plus que jamais les distributeurs ne prennent des commandes que s’ils sont sûrs de vendre. Après, les agriculteurs vont être aidés, par chance, par des reliquats élevés en sortie d’hiver (lire encadré). En outre, ils pourraient finalement choisir d’assurer leur rendement pour bénéficier à plein des cours très élevés de leurs productions. C’est en tout cas ce que pense Cyril Sacré, chez Terre Atlantique (lire ci-contre). « Contrairement aux PK et NPK, je ne pense pas qu’on aura une forte baisse de consommation en azote simple, peut-être 5, 10 % grand maximum, estime de son côté Thierry Corlay, directeur marché nutrition des plantes chez Impaact. Ce qui est certain, c’est que les éleveurs n’ont pas la trésorerie, et nous constatons depuis le 20 mars un arrêt quasi-total des achats d’engrais dans les régions d’élevage, ce qui correspond grosso modo au réappro. » Mais cela n’a qu’une influence marginale.
Sans doute pas de baisse massive de la consommation globale d’azote donc, mais probablement une optimisation renforcée : ajustement des doses à la baisse pour viser l’optimum économique, fractionnement en quatre apports, décalage des apports les plus élevés vers la fin de cycle… En tout cas, les céréaliers, surtout ceux qui ont anticipé leurs achats l’an dernier, n’ont aucun intérêt à trop rogner. « Si on perd 30 unités d’azote sur un total de 180, on peut d’ores et déjà réduire notre potentiel de rendement de 5 %. Sans compter la moindre qualité si des impasses sont réalisées sur les derniers apports d’azote », analyse Nathan Cordier, chez Agritel. La société de conseil continue néanmoins de travailler ses estimations avec un rendement moyen pour le blé tendre.
De possibles pénuries dès 2022
Tous les regards sont donc tournés vers la moisson qui approche à grands pas, mais aussi vers la suivante. Quels vont être les comportements d’achat cet été par rapport aux prix exceptionnellement élevés des engrais et au potentiel risque de pénurie ? Y aura-t-il des anticipations de décision d’approvisionnement ou le marché va-t-il subir un coup d’arrêt ? À première vue, les achats de morte-saison démarrent doucement. Sans parler des engrais de fond…
Et les disponibilités se tendent à mesure que le conflit russo-ukrainien s’enlise. Même s’il n’y a pas d’embargo sectoriel sur les engrais russes, « les contraintes actuelles (banques, assurances, logistique) rendent de fait les achats de matières premières quasi impossibles », indique Maxime Godart, responsable matières premières chez Timac Agro International. Alors que la Russie était en 2021 le premier exportateur mondial d’azote et le deuxième exportateur mondial de potasse et phosphate (en outre bas cadmium), et représente 20 % des importations européennes sous forme NP et NPK. Par ailleurs, les délais logistiques entre l’achat de matières premières et l’arrivée dans les usines se rallongent. « Avant le Covid, ils étaient de trois semaines à un mois, ils sont désormais de deux à trois mois », signale-t-il. Quoi qu’il en soit, « il reste indispensable de suspendre sans tarder les droits de douane à l’importation d’engrais azotés venant de zones ne faisant pas l’objet de sanctions européennes et de reporter la réglementation cadmium programmée », exhortent les associations spécialisées grandes cultures de la FNSEA.
Stockage d’ammo : projet suspendu
Pour faire face à cette nouvelle donne, le ministère de l’Agriculture a annoncé dans le cadre du plan de résilience la mise en œuvre d’un plan de sécurisation des engrais pour la prochaine campagne d’automne 2022. Il comporte notamment la mise en place d’un groupe de travail réunissant les représentants des fabricants, des distributeurs et des producteurs pour suivre de manière régulière l’état des importations de matières premières et de la production d’engrais sur le territoire français. Il propose aussi « l’adaptation ou le report de mesures réglementaires pouvant impacter la disponibilité des engrais en 2022 ». Ainsi, le projet d’abaissement du seuil de déclaration pour les stockages d’ammonitrate est suspendu. Mais il n’y a pas d’illusion à se faire : il reviendra par la petite porte tôt ou tard, l’ammonitrate 33,5 étant devenu persona non grata. Ce qui laisse en tout cas du temps à la profession pour faire une étude d’impact puisqu’« il nous a été reproché de ne pas en avoir fait », indique Florence Nys, déléguée générale de l’Unifa.
Recours marginal aux organiques
L’accent est enfin mis sur le développement de l’usage des engrais organiques, à court terme comme à moyen terme, à travers le plan souveraineté azote. Sauf qu’aucune réunion n’a encore eu lieu à ce sujet, confirment les syndicats de producteurs d’engrais. Et d’ailleurs, personne ne voit bien comment avancer sur ce point. Laurent Largant, délégué général d’Afaïa, souligne qu’il y a de moins en moins de ressources avec la baisse structurelle des effluents d’élevage et des coproduits d’abattoirs.
Si l’utilisation d’engrais organiques, le pilotage minutieux de la fertilisation et l’intégration de légumineuses dans les rotations et en association seront des appuis bienvenus pour gagner quelques unités d’azote et quelques quintaux, ils ne joueront qu’un rôle marginal. Dans une étude publiée fin mars, Alessandra Kirsch, directrice des études du think tank Agriculture Stratégies, prévient sans détour : « Sur le terrain, on risque de devoir faire face à la campagne 2022-2023 avec la moitié des engrais azotés disponibles en temps normal. Une atteinte anticipée et violente des objectifs Farm to Fork. »
Renaud Fourreaux
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