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Vu en Roumanie Agricover : comment rester maître du jeu

À l’accueil, une fresque dessinée par les salariés sur les activités d’Agricover. Un bel engagement pour le groupe qui ambitionne de couvrir un quart du marché national.

Agricover offre une transversalité de services qui va de la vente d’intrants à l’assurance en passant par le financement. Une stratégie qui devrait lui permettre de garder le leadership de l’agrofourniture à long terme.

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«A la sortie du communisme, en 1990, l’État a souhaité garder le monopole de la collecte de céréales et des outils de transformation comme les abattoirs ou les laiteries », se souvient Liviu Dobre, le directeur général de l’entreprise roumaine Agricover. Très rapidement, faute de compétences et de financement, ces entreprises sont parties en déconfiture. La privatisation s’est faite en 2000. Une occasion unique pour quelques hommes d’affaires d’investir. C’est ce qu’a fait Jabbar Kanani, roumain d’origine iranienne qui détient 80 % des actions du groupe. « Il a racheté des silos et une usine de trituration pour faire de l’huile alimentaire », précise le DG.

Remplacer les banques classiques

En 2000, tout est à faire dans cette agriculture qui se remet difficilement d’une privatisation des terres qui a créé plus d’un million de fermes, dont 90 % de moins de 5 ha. « Il fallait apporter de la performance. Nous avons eu l’opportunité de racheter en 2005 une entreprise spécialisée dans la vente d’intrants qui a complété notre offre en collecte », se remémore Liviu Dobre. Un achat qui a pu se faire avec la revente à Bunge de l’usine de trituration. Le marché de l’appro est très fragmenté ; les huit premiers distributeurs font 50 % du marché, le reste se partage entre 250 entreprises locales. « Sur les 21 000 fermiers ayant de plus de 40 ha, 6 000 travaillent avec nous. Nous souhaitons demain couvrir 25 % du marché national. Après la période communiste, il y avait 9 Mha qui n’étaient pas cultivés. Aujourd’hui, il en reste encore 6, nous pouvons être l’un des acteurs qui favorisent ce développement », dit-il en souriant. En revanche, ne lui parlez pas de bio, sinon la réponse fuse : « C’est de la daube, les agriculteurs ne veulent perdre ni en rendement, ni en prix. »

Les besoins de financement des structures agricoles pour absorber les investissements fonciers et industriels étaient très importants. Pour y faire face, Agricover a créé son propre organisme de financement en 2008, dans le but de remplacer les banques classiques. « Nous avons estimé qu’il y avait un racket des banques alors que le pays connaissait des inflations à 4 chiffres. Il fallait réagir et permettre aux agriculteurs d’envisager l’avenir plus sereinement. » Agricover est aujourd’hui la principale institution financière dédiée au financement de l’agriculture.

Moins de deux ans plus tard, dans une logique de banquier, le groupe se fait certifier pour devenir assureur. Agricover crée alors un système d’assurance récolte et personnel qui est lui aussi aujourd’hui leader.

Fort de son positionnement, le groupe se voit offrir des opportunités de reprises. « Plusieurs de nos clients agriculteurs avaient développé de gros élevages porcins qui utilisaient un abattoir, ancien kolkhoze en dépôt de bilan. Nous les avons aidés via notre banque et sauvé l’abattoir en 2013, relate le DG. 500 000 porcs y sont abattus chaque année. »

Fini la collecte, vive le trading

Le groupe maîtrise la filière porcs « de la fourche à la fourchette », de l’achat des porcelets jusqu’à sa propre marque consommateur Peris, développée dans ses magasins dans quelques villes ou avec des accords de distribution avec des revendeurs et la grande distribution. « Ce n’est pas un axe de développement filière que nous voulons renouveler. On dépense beaucoup d’énergie pour une faible rentabilité. »

Agricover part du principe qu’il faut d’abord gérer les risques dans une agriculture encore très fragile et fortement dépendante du climat. « Nos financiers nous ont imposé de ne jamais vendre plus de 50 % des intrants nécessaires dans une grande exploitation. Les systèmes de compensation de vente d’intrants en contrepartie de la récolte ne sont plus admis dans l’entreprise. Nous voulons bien financer des projets, mais pas être les banquiers des agriculteurs à court terme. »

Depuis le 1er janvier 2020, Agricover a décidé de ne plus collecter. « C’était devenu impossible de gagner de l’argent. Les agriculteurs nous faisaient un chantage permanent sur les prix. En face de nous, il y avait les multinationales Cargill, Glencore, Cofco, ADM… qui se font livrer directement dans leurs silos au port de Constanza », soupire Liviu Dobre. Les 750 000 t de stockage ont été revendues soit à des agriculteurs (des silos de 30 000 t en moyenne), soit à des multinationales comme silos de report (les plus gros de 60 000 t). Six cents personnes ont dû quitter l’entreprise, embauchées en majorité par les agriculteurs. « Nous sommes devenus des traders. On achète aux agriculteurs et on revend directement à Constanza. Nous avons un objectif de 1 Mt d’ici deux ans. »

Nouvelle stratégie digitale

« Nous ne voulons pas uniquement être des faiseurs d’argent, mais souhaitons participer au développement de notre pays », explique Florian Ciolacu, directeur de la communication d’Agricover et du « Romanian Farmer’s Club », qu’il a créé pour représenter les agriculteurs à Bruxelles et dans les ministères (lire ci-dessous), l’un des deux axes majeurs définis par le groupe. Le deuxième axe étant la digitalisation qui doit permettre de donner plus de liberté d’entreprendre aux agriculteurs, gros comme petits, trop souvent endettés et intégrés. Les gros y trouvent les outils pour l’agriculture de précision, la météo, l’agriculture de conservation des sols… Les petits, une aide pour prendre les bonnes décisions sur les marchés. « Les agriculteurs peuvent être comparés à une profession libérale qui veut son indépendance, assure Florian Ciolacu. Nous souhaitons continuer à être les leaders du secteur et à former tous les agriculteurs. »

Christophe Dequidt

© C. DEQUIDT - La tour Cubic Center, située dans la banlieue de Bucarest, accueille le siège d’Agricover, laquelle est détenue à 80 % par Jabbar Kanani, roumain d’origine iranienne.

© C. DEQUIDT - Issu du milieu bancaire, après plusieurs années chez Renault, Liviu Dobre est aujourd’hui à la tête d’Agricover qui est devenue la principale institution financière dédiée à l’agriculture.

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