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Un vaste périmètre à bien cerner

L’innovation, quoiqu’au cœur de toutes les stratégies, reste une notion floue. Avec un périmètre d’action très vaste qui reste à bien définir, l’innovation a avant tout vocation à répondre aux enjeux auxquels est confrontée aujourd’hui l’agriculture.

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Aujourd’hui, le mot innovation est sur toutes les lèvres du monde agricole. Mais derrière, qu’entend-on réellement ? « Une innovation, c’est quelque chose qui est adapté au marché. Une invention, c’est quelque chose qui peut être de rupture, mais qui n’a pas encore trouvé son marché et qui ne le trouvera peut-être jamais », résume Sébastien Neveux, l’un des agriculteurs invités à nos rencontres. Toutefois, cette définition s’applique-t-elle en agriculture ? Pour bon nombre d’entre nous, quand on évoque l’innovation, l’une des premières choses qui vient à l’esprit est l’expérimentation agronomique avec, notamment, les nombreuses plateformes d’essais mises en place par les distributeurs à l’intention des agriculteurs.

Notre baromètre Agrodistribution-ADquation fait ainsi le point sur la perception de l’innovation agronomique par les agriculteurs. Tout d’abord, deux tiers d’entre eux se disent intéressés par le sujet (66 %, dont 22 % très intéressés), et plus particulièrement par l’expérimentation de nouvelles pratiques et de nouvelles solutions agronomiques. Ils sont encore plus nombreux parmi les moins de 50 ans (79 %), en grandes cultures (75 %), dans les régions Ouest (76 %), Nord-Est (74 %) et chez ceux ayant plus de 150 ha de SAU (77 %). Le besoin d’innovation est important (voir infographie p. 29), principalement pour les techniques alternatives à la protection chimique (83 %) et les nouvelles pratiques culturales telles que l’ACS (84 %).

Des agriculteurs proactifs

Ce baromètre nous a également permis de mettre en avant l’implication et la proactivité des agriculteurs en matière d’innovation agronomique. Près de la moitié (43 %) expérimentent ainsi sur leur exploitation de nouvelles pratiques et solutions agronomiques, en particulier ceux ayant plus de 150 ha de SAU (57 %), en grandes cultures (55 %) et les moins de 50 ans (52 %). Et environ deux tiers testent de nouvelles pratiques culturales (64 %) ou de nouvelles variétés ou nouveaux produits (61 %). Enfin, 65 % des agriculteurs réalisant des expérimentations sont encadrés par leur distributeur, montrant ainsi le rôle essentiel de ces entreprises pour porter l’innovation. « On voit bien qu’on est plus que dans l’expérimentation produits, on est dans l’expérimentation des process et des méthodes », réagit Jean-Nicolas Simon, animateur de nos rencontres. « Le problème, c’est que le mot innovation est peut-être un peu galvaudé, alerte Bertrand Omon, de la chambre d’agriculture de Normandie. Partout et souvent, le raccourci innovation, expé et nouvelles techniques est fait, ce que je regrette. » Il regroupe pour sa part sous la notion d’innovation tout ce qui permet de répondre aux nouvelles questions et nouveaux enjeux qui se posent à l’agriculture.

L’innovation dépasse l’agronomie

« Pendant très longtemps, c’était la recherche agronomique qui amenait de l’innovation, mais aujourd’hui, ce n’est plus seulement de l’agronomie », insiste Jean-Nicolas Simon. L’innovation produits a longtemps été au cœur des préoccupations. C’était d’autant plus vrai pour les produits phytos qui, désormais, sont touchés de plein fouet par des contraintes et interdictions croissantes. Les agriculteurs doivent ainsi revoir leur façon de fonctionner en profondeur. « L’innovation, je la définis comme étant un changement de système, témoigne Sébastien Neveux. Les solutions produits, il y en a de moins en moins, les solutions variétés, on y croit beaucoup. Mais on a surtout besoin d’accompagnement vers de nouveaux systèmes. Du coup, l’expérimentation, ça sera de conduire de nouvelles cultures, et l’innovation sera l’accompagnement qui va nous apporter des solutions pour cette diversité de cultures. » « On cherche aujourd’hui des substitutions dans cette évolution de l’innovation, on n’attend plus grand-chose du côté des phytos, analyse Christophe Richardot, le DG de Dijon céréales. En revanche, il y a les semences, la génétique, les nouvelles cultures, l’allongement des rotations, ainsi que le machinisme, la méthanisation et, au travers de tout cela, la notion de données qui est très importante. Pour moi, l’innovation est l’interconnexion de cet ensemble. »

Mais alors, qu’est ce qui motive l’innovation aujourd’hui ? Outre les impasses techniques, l’agriculture doit faire face à de nombreux autres enjeux. « Il y a d’autres indicateurs de réussite, les agriculteurs nous ramènent sur la partie environnement, la rémunération, mais aussi les parties sociale, notamment avec le renouvellement des générations, et sociétale », assure Michel Bottollier, responsable du réseau Étamines. Parmi ces enjeux, l’un ressort tout particulièrement : le changement climatique impactant directement et durement l’agriculture française depuis plusieurs années. « Il y a quelques années, il y avait encore des sceptiques ; aujourd’hui, il n’y en a plus. On sait tous que ça va changer et qu’il va y avoir des évolutions dans les dix ans qui viennent, affirme Christophe Richardot. Notre rôle, c’est de mettre cela en adéquation avec les demandes des agriculteurs, des consommateurs et du marché pour apporter de la valeur. »

Les filières au cœur de l’innovation

L’une des réponses au changement climatique est l’introduction de nouvelles cultures. « Mais il n’y a pas de nouvelle culture sans filières et débouchés », plaide Lancelot Leroy, directeur innovation et développement de Terrena, qui pointe la nécessaire adaptation des organismes collecteurs. Toutefois, le développement de nouvelles filières est aussi tiré par les enjeux économiques, de rentabilité des exploitations, ainsi que par les attentes sociétales de plus en plus pointues. « Aujourd’hui, il y a une pression sociétale qui nous motive, nous oblige à évoluer et à innover », affirme Emmanuel Bechet, directeur commercial du négoce GN Solutions. Les filières sont ainsi au cœur de l’innovation, à la fois impulsées par elle mais motivant également cette innovation. « Pourquoi est-ce que les agriculteurs revoient leur façon de faire, pourquoi par exemple allongent-ils leurs rotations ? Certes, il y a l’aspect produit, mais il y a aussi l’aspect filière », confirme Arnaud Clomenil, agriculteur. Bertrand Omon résume ainsi la situation : « On tourne quand même sur la multiplicité des enjeux et leur évaluation. Il y a des enjeux de biens communs et des enjeux de biens privés. Néanmoins, le côté économique existe tout le temps. Je pense qu’aucun agriculteur ne fait les choses pour ne pas gagner sa vie. » Ce qu’appuie Xavier Reboud, chercheur à l’Inrae : « Un agriculteur ne change ses modes de production que si, derrière, il y trouve un intérêt financier. »

Des agriculteurs en quête de sens

L’innovation et l’ensemble des enjeux qui la motivent permettraient également d’apporter des réponses à des agriculteurs cherchant aujourd’hui à redonner du sens à leur métier. « Quand on part dans de nouvelles filières, ce qui est important à mon sens c’est de créer du lien, de savoir où va la marchandise qu’on produit, de retrouver de la fierté derrière », témoigne Sébastien Neveux qui évoque un retour économique sur investissement, mais aussi un « retour moral et sociétal » tout aussi important. « On a tous besoin dans l’existence de deux grands moteurs. Le plaisir hédonique, c’est-à-dire le plaisir que l’on prend à travailler et le sens, analyse pour sa part Lancelot Leroy. Aujourd’hui, un certain nombre d’agriculteurs n’ont parfois plus trop de plaisir à faire ce qu’ils font parce qu’ils se sentent regardés par la société, ils le vivent mal et cherchent un sens à ce qu’ils produisent. » Laurent Maillard, responsable réseau chez Be Api, dresse le même constat : « Des agriculteurs se sentent à bout de leur système, ils ne trouvent plus de plaisir et de sens à ce qu’ils font, donc ils passent à l’agriculture bio ou à d’autres systèmes, et là ils retrouvent du plaisir et de l’innovation. » Cependant, il reste difficile pour l’agriculteur de réellement se lancer dans le changement. « Il se retrouve parfois dans un entonnoir où même s’il a envie, il a peur ou il n’est pas prêt à changer de système parce qu’il prend trop de risques, notamment financiers, ajoute-t-il. En agriculture de précision, le retour économique s’avère la préoccupation majeure de l’agriculteur. »

Entre contraintes et opportunités

« L’innovation est-elle donc là juste pour répondre à des contraintes ? », questionne alors Jean-Nicolas Simon. « On a des enjeux climatiques, environnementaux et sociétaux, mais on a aussi des enjeux politiques, avec des décisions qui nous touchent directement, et il faut qu’on s’adapte à tout cela, explique Christophe Richardot. Néanmoins, l’objectif de nos organisations est quand même de produire de la valeur et de sortir des éléments économiques qui tiennent la route. Il faut donc essayer de ne pas vivre tout ça que sur des éléments de contraintes, mais aussi sous forme d’opportunité. C’est déjà bien assez compliqué d’emmener nos équipes et nos adhérents, il est donc essentiel de se dire qu’on va profiter de ce qui se met en place. »

Cette notion d’opportunité fait mouche, notamment auprès d’Emmanuel Bechet, « l’innovation est réelle et permanente et, surtout, elle est sans limite. Je ne vois pas trop de freins aujourd’hui, je vois surtout des opportunités, c’est ce qui permet d’avancer. Peut-être qu’à un moment donné on touchera les limites, mais en rassemblant les forces vives on va toujours plus loin. »

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